Dans une ferme isolée de la forêt de Codreni, village au sud de Chisinau, capitale de la Moldavie, une petite fille surgit. Le feu de bois crépite, les odeurs de plats mijotés embaument. Avec son grand-père paternel garde-forestier, la bambine s’émerveille des plantes, s’infuse des valeurs de la nature et de la tradition, l’embrasement de l’hospitalité, les vertus de l’accueil. Une assiette trône imperturbablement pour le visiteur de passage. Les joies ménagères ceignent toute l’enfance.
Le zeama, cette soupe de poulet composée de morceaux nobles de la volaille, de pâtes maison, de légumes frais, rituel de partage familial quotidien, bout toujours à petit feu dans la même casserole : « J’étais fascinée par le goût de ce bouillon, ce pot-au-feu acide scelle un morceau de mon histoire ». Les travaux de la métairie ne manquent pas, traite des vaches et fabrication du beurre : « la baratte, un traumatisme, je l’ai conservée dans ma cave ». A huit ans, un été, la rebelle affirmée goûte à la viande crue dans la marinade de cochon, au grand dam et à la stupéfaction de sa grand-mère.
La nuit tombée, la mamie pétrit le pain coutumier au maïs à partir de la botkala, la mère de levain naturel, souvenir inoubliable bis : « Je n'ai jamais trouvé d'équivalent aujourd'hui. Ma grand-mère commençait sa préparation le vendredi matin et elle le mettait au four le lendemain. La cuisson était très longue, et nous attendions sa sortie du four, parfois après minuit, alors que nous étions épuisés". Le père inspecte la cuisson au feu de bois de son poisson d’eau douce au bord de l’eau avec ses parents ukrainiens. Il verse un trait de vodka dans la soupe.
Le grand-père maternel trempe ses canards dans la saumure par moins trente degrés pour les festivités de fin d’année. La dessinatrice novice apprivoise le boucané. La sensation florale l’envahit au dégel des prairies : « Le perce-neige ne représentait pas une simple fleur mais le signe que l'hiver s'achevait, un avant-goût du printemps. Chaque racine, avec son petit goût de noisette verte et fraîche, formait un délice que j'attendais avec impatience. C'était l'un des premiers plaisirs de l'année avec une fleur en voie de disparition. Ma Moldavie natale vibre dans chaque plat que je crée, de la culture du fumé, où viandes et poissons acquièrent une saveur inimitable aux baies sauvages et au vin ». Chaque nourriture se métamorphose, tour à tour terrestre et céleste.
L’adolescente, par jeu, liberté, amour de la technique rêve de devenir pilote de ligne. Après son baccalauréat et des pérégrinations en Europe, elle choisit Bordeaux, à 21 ans, en jeune fille au pair éblouie par la culture française. La courageuse débordante de passions s’immerge dans la langue de Montaigne dont elle ne parle pas un traître mot mais également dans le terroir de sa ville d’adoption. Attirée par les arts, elle entreprend des études d’arts appliqués. Avec sa folle énergie, la bilingue Russe suit les cours de l’Ecole de Condé puis un master de langues étrangères appliquées.
Pourtant, en 2008, la graphiste insatisfaite bifurque vers un CAP Cuisine par correspondance à l’Ecole DUCASSE. En 2017, elle ouvre son premier restaurant intitulé CROMAGNON. Intimidée mais ambitieuse, elle se risque, par amusement, à la pratique ancestrale des viandes saisies sur pierres de sel chauffées. La prédominance du feu la pousse, en 2023, à la création d’INIMA, rue du Palais Gallien, pour réunir dans son assiette, tous ses métiers et ses expériences passés. Chemin faisant, sa liberté intime, sa cohérence justifiée, sa manière de rendre hommage à sa culture et son passé s’harmonisent.
Entre héritage et présences audacieuses nipponnes, épices et poivres millimétrés, baies et songes, Oxana CRETU avance par ses nuances, la simplicité sophistiquée de son jardin de mer. Les langoustines se pelotonnent entre kalamansi et maïs. L’omble chevalier enserre l’asperges et les feuilles d’oranger. Le merlu de Saint-Jean-De-Luz tonifie sarrasin et sureau. Le canard du Périgord apostrophe l’aubergine et l’aronia. Le parfait glacé melon et miel nous apaise jusqu’au prodigieux final : sorbet aux fleurs, pêche et chocolat blanc.
Ce paysage stylisé traversé par le goût des voyages aussi bien dans les pays de l’est qu’aux Etats-Unis, se condense dans le binchotan, cette cuisson singulière au charbon de bois japonais, sans jamais perdre de vue le legs moldave. Empreinte de poésie et de sensitivité, la cheffe artistique célèbre la nature, la sublimant et la respectant dans toute sa splendeur. Dans la grammaire et le grammage de la snowboardeuse, chaque séquence célèbre une liberté créative dans une profondeur émotionnelle. La skateuse compose ses accords à l’instinct et à l’étreinte distanciée d’une amitié.
Dans le nuage de lait matcha, concombre, avoine et poivre de Sichuan vert se lient dans une délicate accolade. Oxana CRETU maîtrise, en outre, l'art de la cuisson instantanée dans sa truite aux pêches de vigne et à l’épine-vinette où le feu et la fumée courtisent la finesse fruitée. La fleur d'acacia et le sureau se transmuent en sorbets désaltérants ou en sirops métaphysiques. De la coarne, une baie moldave, elle tire compotes et jus vivifiants. Du coquelicot, de l'hibiscus et de la fleur de sakura, elle extrait des vinaigres ainsi que des fleurs et feuilles séchées ou saumurées.
Dans la « crevette safran lavande », le crustacé impérial s’inscrit dans une vision florale. Dans l’« Huître Jasmin Fumée », sa fascination pour la saveur saline du coquillage percole la glace au thé fumé de l’enfance avec l’écume de jasmin. Dans la « seiche Wasabi, Kiwi et Glace Obione », le kiwi instille une acidité tonique tandis que la glace aux herbes marines intensifie la salinité quintessenciée de l’obione, ce faux pourpier salé croquant à souhait. « Chaque repas doit être un moment de plaisir gustatif mais aussi une contribution positive au monde ».