Dans la maison campagnarde des femmes, mère, grand-mère, sœurs, un protégé perçoit la lumière des persiennes, le 3 décembre 1978. De la ville des puits d’eaux volcaniques, Pouzzoles, le père, «grand fan» de flacons nobles et de cuisine racée, Angelo, directeur chez Olivetti, s’absente souvent pour voyages d’affaires au Japon ou à Singapour. «
Les devoirs s’écrivent dans la cuisine, sur la grosse table d’hôtes, au beau milieu de la gente féminine, des pâtes, des gnocchis, des bouillons de volaille». Toute la famille jardine les fruits de sa terre.
Vaches, cochons, poules abondent en saucisses, jambons, coppa et consort. Le grand-père maternel, vigneron, initie son petit-fils à la surprise jubilatoire des rêves liquides. La «Mama», Adriana, ne vient pas de la Campanie, mais de Conegliano, en Vénétie. Dans cette singulière maisonnée à la grand-mère paternelle érythréenne, le précoce Marco ROSSI, à 10 ans, «
ne veut pas forcément faire de la cuisine». Il goute les belles heures du bonheur, une enfance béate, bercée par les nourritures terrestres et célestes, «
chouchouté » par les femmes.
Tout geste gastronomique fort s’origine dans les profondeurs enfouies de l’enfance. La différence s’enracine dans les gestes, les positions et les dispositions, une façon de poser, une manière de doser, autant de visions d’un paysage de bouche dans un bouillon de volatile que la main grand maternelle sublime, dans des pâtes fraiches dont le tour de poignet exalte la succulence. «
Le secret se tenait dans la poule, dans cette soupe aux petits oiseaux interdits, attrapés au matin, dans les pièges des vignes».
La caille, la petite cannette, le faisan, endormis dans une évanescence aromatique (thym, laurier, romarin), cerclent les contours merveilleux de l’identité napolitaine, unique. Naples incarne le berceau de la cuisine italienne : pizza, pâtes, mozzarella. Entre les monts Lattari et la côte amalfitaine, Gragnano invente la «pasta» tel le champagne rémois. En 1987, sa sœur ainée lui présente son fiancé, propriétaire d’une laverie pour les restaurants. Tout de go, le tourment gustatif l’emporte.
En préparant son baccalauréat général puis son Ecole Hôtelière, en 1990, à Naples, le futur prodige escorte son beau-frère pour faire ses preuves malgré les réticences paternalistes : «
La cuisine n’est pas un métier noble». A 14 ans, le «mignon» de ces dames qui file à l’anglaise, de table en table, passe en cuisine avec un vrai chef, dans le Restaurant « Di Francia », à Pozzuoli. «
Comment décrire une bataille, 1000 couverts le dimanche. J’ai appris la vitesse à la plonge, la friture à la friteuse, les salades de poulpes géantes, je dormais dans les vestiaires. Ma mère ne voulait pas que je continue car je ne gagnais rien ».
Pour monter en puissance, le père aujourd’hui comblé de trois petites filles, rejoue, loin de la difficile avant-garde, des plats traditionnels. La «Bolognaise», invention française, n’existe pas en Italie mais prédominent des ragoûts divers et variés. «
La France était le plus bel endroit du monde pour manger. La cuisine surgit du tréfonds de l’âme. Un voyage imprégné. La rencontre des gens de rue, leurs mouvements, m’inspirent quand je prends un café sur une terrasse».
En janvier 2000, trois mois au «Cala Moresca»***, à Bacoli, sidérèrent l’apprenti chef. Dans cette modalité de perception du goût, tout naissait d’un seul jardin, les fleurs, les légumes, les herbes. «
Je courrai prendre la feuille sur la plante, les digestifs fabriqués sur place, les confitures à la mandarine, l’huile d’olive. L’établissement le plus rentable du monde. 22 000 bouteilles en cave. Dans un lieu simple, des linguines à la sauce tomate. Très typique napolitain mais sublime. Très simple, très bon, un accueil magnifique».
En 2001, le désir d’Amérique (New-York, Los Angeles, Miami), pour voir sa famille, le pousse au large. Faute de passeport, Marco ROSSI atterrit rue Étienne marcel. La villégiature parisienne dure encore. Dans l’aventure, la faune à la mode croise les oiseaux de nuit. La haute couture des fêtes privées lui tend les bras. L’étrange regard porté sur les chefs italiens le surprendra tout de même. «
En Italie, je dîne chez Massimo BOTTURA, Alberto CRIPPA, Massimiliano ALAJMO, Carlo CRACCO, stars quasi inconnues en France».
Entre 2003 et 2008, le second de cuisine au « BARLOTTI », rencontre Raymond VISAN, personnage hors du commun, alors patron du Groupe BOUDDHA BAR. En 2009, la création du petit établissement au charme sudiste, «Rossi & Co», explose les phototypes par une audace peu commune dans la capitale. Dans ce lieu festif sans prolepse, d’abord conçu pour sa famille, ses amis et voisins, Marco ROSSI exige la cime : «
J’aime l’adrénaline qui monte avant le service, pendant le service, rentrer dans la psychologie d’un client. Je regarde les clients».
Dans un exercice spirituel pourtant bien charnel, une vision du marché du jour advient. Par-delà l’hexagone et la botte, une signature très personnelle assise sur un réel bagage technique déploie des expériences singulières intimes. «
L’émotion vient des enfants, d’un rien. Avec mes souvenirs, un câlin d’une mère ou d’une grand-mère, une identification. Je cherche l’amertume, la texture, l’acidité dans un plat. J’adore le vin. Le produit prime, la terre va mal, je cherche des produits exceptionnels. Le poisson, la viande, le gibier, sans limite. Le client trouve un ravissement dans la mozzarella fumée, un instant de joie».
Enamouré du futur humain, soucieux du moindre lopin de terre à protéger, Marco ROSSI cuisine pour renforcer l’espace et le temps. «
Prendre un apéritif, tirer une vitole, puis passer à table avec élégance et classe, vivre des soirées parisiennes, une fête qui change chaque soir». De l’Italie à l’Ailleurs.
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Rossi & Co
10, rue Mandar - 75002 Paris