PORTRAIT DE CHEF
Julien ALLANO

Par Fabien Nègre
  • Le chef Julien Allano
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Au village de l’épistolière Marquise de Sévigné, crèche de la truffe drômoise provençale, sous la verrière du jardin d’hiver, aux flancs du Château DE GRIGNAN, Julien ALLANO, d’une cordialité toute intègre, convie à une évolution régressive ornée des charmes et des carmes d’une maison bourgeoise du 17ème si loin des bruits du monde, si proche du bruissement des fontaines.  

Une « belle âme » traverse la lumière du jour le 9 novembre 1982 dans la « Cité des Papes ». Le père, cuisinier de métier, trop tôt fauché, à 23 ans, en août 1986, ne verra pas grandir son fils unique. Afin de survivre à cette tragédie, pour un petit garçon de quatre ans, la maman cultivera toujours le goût de la mémoire et la mémoire du goût. La photo encadrée du paternel trône dans le vestibule. On y aperçoit le Chef ALLANO Senior, aux côtés de Monsieur CAROMB, réputé chef étoilé du Sofitel Avignon de l’époque.



Cette vie dans le respect du souvenir, emplie de l’imago paternel, laisse présager, malgré tout, un avenir et un radieux devenir. Les grands-parents maternels, pieds noirs algérois et oranais, préservent les règles de l’art : «Ma grand-mère passait sa journée dans sa cuisine, levée dès 4 heures, elle réalisait un merveilleux couscous avec une semoule tamisée trois fois, d’une légèreté absolue». Dans les bouquets du subtil métissage de la graisse d’agneau et des épices douces, du poisson et des boulettes de viande, l’enfance rêvée s’enroule toutefois dans un paradoxe.



«Je voulais rendre hommage à mon père par procuration mais s’il était encore là, je n’aurais peut-être pas choisi ce métier». Les saveurs d’enfance enivrent et submergent pourtant le Chef du « Clair de la Plume ». Les aïeux ESPOSITO-LONGOBARDI ne plaisantaient pas avec le marmiton : pâtes fraîches à la sauce tomate, calamars farcis, cocas, chaussons fourrés avec une garniture à base de légumes, tchoutchouka, ratatouille à base de tomates et poivrons.

Deux ultimes émotions affleurent pour le dodu grignanais; la mouna, cette brioche oranaise en forme de dôme, traditionnellement confectionnée pour les fêtes de Pâques, dense pâte levée à laquelle on adjoint de l’huile, le jus et le zeste d’oranges (ou de la fleur d'oranger) et une tisane d’anis ou du rhum; la Ginette, fondant pâtissier au sucre glace.



A 14 ans, Julien ALLANO déménage dans l’Aveyron. Les trois premières années de scolarité s’effectuent dans l’ombre du fondateur, une absence si présentifiée : «Je me mettais la pression, sans cesse au bord des larmes». Ce cap passé, le plaisir de l’épanouissement l’emporte : «j’ai construit mon histoire à la mémoire de mon père et dans la présence de ma mère». Du côté des grands-parents paternels albigeois, l’ambitieux adolescent acquiert déjà le généreux, lumineux et vrai produit.



En 3ème, le couperet décisionnel annonce : «je veux devenir cuisinier comme papa». Dans cette scolarité, à Plan-d'Orgon, le fils choyé, s’ennuie. En 1998, à l’Ecole hôtelière de Villefranche-de-Rouergue, tout coule de source en deux ans. En cours de Bac Pro, en 2001, il officie aux côtés de l’étoilé Michel TRUCHON, au SENECHAL, à Sauveterre-de-Rouergue. Dans ce refuge d’humilité et de simplicité, le néophyte enjoué s’initie aux belles viandes de l’Aubrac, aux bons poissons en sauce, aux légumes infinis.



Au bout d’une semaine, le chef éveilleur l’honore de sa tendre intronisation : «je vais te botter le cul !». En 2002, le roublard aux sonores éclats de rire passe au « BATELEUR », à Vaison-la-Romaine, un établissement solide qui donne « du frais sans prise de tête ». Là, un chef franco-australien lui enseigne la « fusion-food » très en vogue. Après le maniement des épices et du lait de coco, en 2003, l’ami du pâtissier Jean-Christophe VITTE arrive à « La Mirande »*, restaurant au jardin intérieur de l’un des plus beaux hôtels d’Avignon, au poste de « Chef de partie ».



Il y comprend les œuvres du soleil dans une table d’hôte où cuisine au feu de bois, poêlage (cuisson au four, à couvert avec une garniture aromatique), dressage, s’exposent devant les clients. A 23 ans, au titre de « Chef », il pratique déjà le bio et rejoint « Le Palm Beach »*, à Ajaccio. Captivé par les succulences iliennes pendant 14 mois, il se rapproche de sa famille à la suite d’une deuxième naissance.



Le mardi 7 janvier 2013, il entre au « Clair de la Plume » avec «une envie de mieux faire encore, de grandir avec une équipe soudée, des bons produits sertis dans l’histoire des producteurs» : le pigeon si rare de Monsieur DURAND à Roche-Saint-Secret-Béconne, la caille de Montoison élevée 90 jours, la pintade de Monsieur QUINTIN, à Allan, non loin de Montélimar. Les jardins drômois, des volailles presque sauvages au cochon du Ventoux, produisent le meilleur.  



L’avignonnais jovial cherche la limpidité des goûts, la noblesse des provenances afin de restituer l’origine, la juste cuisson, l’exact assaisonnement. La complexité tient dans le corps du produit « twisté », dans une tonalité différente qui ne dénature jamais. L’authenticité définit une mise au service de la matière sans aucune magie. «Un grand chef n’est pas un magicien. Un grand produit est un produit frais, absolu». Dans le canard à l’anchois, la salinité se noue à une petite carotte glacée, des artichauts et un beau jus de rôti.



Au pays de la truffe, miracle du terroir, sémaphore émotionnel, «éminemment authentique pour les grignanais», la taille importe, la texture en dés appelle le croquant, les copeaux la saveur. «Noble, à bon escient». Dans un lieu marqué par l’histoire aristocratique, ancienne « Conserverie de truffes & de pâtés truffés », non loin de Richerenches, premier marché de la truffe en Europe, l’homme aux yeux d’enfant, perçoit, lors des cavages, le lien intime entre le chien et le précieux tubercule.



Loin de l’esbroufe, il discerne les initiales aux parfums herbacés, noisettes, boisés, des ultimes, aux notes animales de cuir de Russie. Julien ALLANO, au plus clair de sa plume, Membre du prestigieux réseau hôtelier « Châteaux & Hôtels Collection », veut aboutir ses assiettes par effacement dans l’évidence nécessaire, sans babiole, sans «intellectualiser la cuisine». Cohérent et conséquent dans une globalité épanouissante, il suit «une évolution dans la tradition» où ses hôtes, dans l’esprit d’une demeure bourgeoise, dégustent une cuisine régressive alliée à un sens des repères.



Le boeuf carotte confie un clin d’œil amusé. Le rouget, avec sa réduction de soupe de poissons épicée, écailles croquantes, sublime la méditerranée. La crème au Lagavulin 16 ans libère le pigeon à la truffe. Cette manière vivante et colorée, fondée sur une tradition et une intégrité, évite la rupture salé/sucré par le dialogue intergénérationnel. Le sorbet mandarine équilibre le croquant du zeste et l’acidité finale. «Je me dois de ne jamais trahir par une cuisine rassurante, un art de recevoir pour l’émotion des instants et des moments».



Le paysage l’inspire par sa respiration : «le coucher de soleil rasant, le château illuminé, un apaisement pour goûter, le temps». Témoin cette «blanquette de veau de ma mère dans ses vol-au-vent aux coques». Terres et mers, contours et détours, surprise et déprise. Dans son «rizotto à la truffe», crémé et riche, à l’huile d’ail et aux lames de truffe, le jus de viande animal, sapide, stabilise l’acidité de l’écume au vin blanc. L’esquinado (araignée de mer en provençal) dans sa pâte raviole maison, avec sa bisque qui ne bisque plus, danse au jardin du fenouil, perles de citron caviar, pousses de salicorne.



A 32 ans, celui qui voulait devenir « garde-forestier » sur le tendre conseil de l’une de ses tantes qui lui avait rapporté une carte postale des forêts canadiennes, cultive aujourd’hui fièrement son héritage dans la grande traversée de la vie, filiation imaginaire de sa sensibilité. «Je ne sais même pas pourquoi je suis cuisinier, par le souvenir irrationnel de mon père, zéro marge de manœuvre».



Photos Alain Maigre.


 
 

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