PORTRAIT DE CHEF
Jean-Marie AMAT

Par Fabien Nègre

En hommage au chef disparu en mars 2018. Sage distingué dans ses rêveries de promeneur solidaire, Jean-Marie AMAT, seigneur lormontais, « maximin du grand sud-ouest », tient son cap en bonne espérance.

Sage distingué dans ses rêveries de promeneur solidaire, brûlant lecteur, garnement paysan de Coutras, chef de file atypique du goût bordelais version 80, glorieux fondateur du Saint-James, «ducassien» adoubé parmi les «10 meilleurs chefs du monde», Jean-Marie AMAT, seigneur lormontais, « maximin du grand sud-ouest », tient son cap en bonne espérance.

Le Manoir du Prince Noir, à Lormont, surplombe la rive droite de la Garonne. Du pinacle de la colline, il contemple Bordeaux, à l'Ouest, le fleuve et le Médoc, au Nord, un abord imbattable jusqu'au Blayais, à l'Est, le plateau de l'Entre-Deux-Mers.

La Gentilhommière disposait, au Moyen Age, d'un exact emplacement martial. Habité successivement par les Ducs d'Aquitaine, les Rois d'Angleterre ou les Archevêques médocains dont un AMAT, en charge de l'église Sainte croix, le château abrita toute notre histoire telle que la négociation de la fin de la guerre de Cent Ans, la Fronde mais fut saccagé par les Révolutionnaires. En 1997, l'Etat Français rachète le bâtiment. En mars 2005, le Maire ainsi que le nouveau propriétaire, Norbert FRADIN, sauvegardent le Castel aujourd’hui enjolivé par Jean-Marie AMAT.

Humble chanceux, remuant précurseur, le chef le plus brillant de la génération étoilée d’Aquitaine attisa la belle endormie des seventies. « Tout éclatait. Il n’y avait plus de restaurants à Bordeaux ». Notre amateur de photo et d’art contemporain ou bien encore de design, nourri d’infinies lectures, gorgé d’expériences de voyages en altérité, nous montre la sagesse aiguisée d’un Prince Noir. Bien avant les glorioles locales, il a su faire vriller le goût, vibrer la cuisine chatoyante au quotidien, séduire les convives les plus blasés par respect des souffrances de la ménagère. Enorme cuisinier de la chasse, créatif démarqué, coloré embarqué, timide avoué, le maître AMAT s’impatiente toujours à « l’envie folle de parler cuisine » loin des années fastes et fric.

Il comprend l’explosion planétaire mais réalise le classique décalé de sa classe à la faveur d’un travail ultime d’élégance en perception proposable. «Je suis cuisinier avant tout, c’est mon métier. Je n’en ferai jamais le tour». Loin du bazar du moment, en cuisinier courtois, il n’oublie pas la galanterie sophistiquée du style d’existence. « Faire bon ». La fragile finalité d’une grâce agile ne tient à rien, à une bouchée en or dans une cuillère en argent, l’équilibre sublime de la cuisson d’un pigeon, une histoire de décision et de chemin, une veille marbrée de joueur. « La cuisine vous échappe ». Jean-Marie AMAT, à 65 ans, file en homme ardent, lai tibétain. Il sait que manger forme une vigie, invente un voyage, un sentiment, une transe.

« Faire à manger n’est jamais innocent ». Nourrir, c’est parfois mourir d’un grand plaisir, une plénitude volcanique qui s’ignore.

Dévorer en toute tranquillité s’accompagne de légèreté. « La cuisine : le plaisir de la paix. Une cuisinier apprend à partager ce qu’il aime ». Dans la profondeur de l’apaisement cultivé, notre éternel « double étoilé », apparaît dans la teneur tranquille de la verticalité sans superfétatoire arrogance. Cette volonté d’imperceptibilité, cette puissance d’anonymat n’exclut pas la surprise. « La cuisine surprend toujours » mais l’expérience produit la décantation de la maîtrise douce, enveloppe le mangeur.


Jean-Marie AMAT, en méthodique douteur, évalue les équilibres épurés sans gratuité. « La cuisine nous enseigne beaucoup. Elle impose une ascèse, une rigueur vers l’autre ». Une vie de cuisinier sédimente l’horizon des attentions sans intentions, conduit à un ascétisme gourmand. Les tablées se brassent, s’embrassent dans la haute brasserie, pour le plaisir. Notre Chevalier délivre l’élégance d’un toucher de personnalité, livre l’harmonie d’un savoir-faire acquis à l’image d’un vin décanté. « Faire simple, la chose la plus redoutable. L’invention demeure un leurre, un chef ne maitrise jamais rien». Avec le rouget, il s’amuse de sa mémoire. Il abandonne ses goûts et ses dégoûts dans la bibliothèque du souvenir. « Les plats du bonheur. La cuisine résiste mais nous lui résistons ».

L’homme excité par la palombe qui magnifie l’aujourd’hui transgressait parfois les interdits (bécasses, rouges-gorges, ortolans, pibales, caviar de gironde, alouettes) avec Régis BULOT et Bernard LOISEAU.

L’amateur de photographie, fasciné, de sourire : «L’ortolan se croque très chaud». Le Suzerain de Lormont sautille avec ses petits râbles de lièvre juteux, son lapin de Garenne giboyeux. Sa façon : « régionale par enracinement, évolutive par besoin irrépressible et dépouillée par nature ». Juste en face du pont d’Aquitaine, cette étrange forteresse où vécut Édouard de Woodstock (l’une des figures les plus sanguinaires de la Guerre de Cent ans), ses dépendances (classées aux Monuments Historiques) servent d’écrin à un vaste décor contemporain et lumineux où s’affichent des ouvrages et des œuvres.

Jean-Marie AMAT médite, répète l’art de converser la bouche pleine, raisonne une nouvelle physiologie du goût avec Jean-Didier VINCENT : « Manger seul : un acte contre nature. La cuisine a permis à l’homme sa plus grande découverte : l’Autre ». Déguster, loin de la crypte, oriente une clarté et un dépouillement, la transparence d’un bienfait. Le homard breton, en toute sérénité, habite au jardin, dans ses sucs de courgette iodée.

Photo de Jean-Marie Amat : www.deepix.com
 
 

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