Cette histoire d’un succès de familles souffle la braise de motards du far ouest dans le ventre du coteau de Kaysersberg. La geste des frères NASTI renverse les lignes de partage entre la carte et le terroir dans la possibilité enjouée de la granulosité du réel par-delà nos petites graines de réalité. Un grand Dimanche à la campagne.
A la fin des seventies, 9 décembre 1966, la jeunesse s’alanguit dans une ferme, entre Delle et Belfort. Le « garçon-vacher », aime à aider le boulanger du coin, « la main à la pâte ». La mère, comptable dans une grosse entreprise des alentours, ni le papa italien, n’appartiennent au monde du bec. A 12 ans, l’ambition noue déjà le corps de l’adolescence fermière. Le tissage de l’apprentissage, chemin faisant, remplit son ouvrage. Sortir du cursus, travailler enfin. Les animaux de la ferme peuplent l’imaginaire : la traite des vaches et son lait, 1300 moutons au foin. A 14 ans, « je voulais devenir paysan puis boulanger mais ma mère ne considérait pas ces métiers comme assez nobles ». Le besoin de liberté explose dans les cueillettes de baies sauvages : mirabelles, quetsches, prunes. Notre franc-comtois, alsacien adoptif avisé, s’exerce au négoce dans les restaurants.
Avec son énergie hors normes, ses tournées de pain en Citroën, portes ouvertes, il accoste la vie toute gorge dehors. « J’allais de l’avant ». La boulange le chatouille encore. En 1984, une place s’offre au Château Servin de Belfort, alors double étoilé Michelin. Cet apprentissage direct confronte à rude école mais il se conclut par l’obtention d’un CAP de cuisine le 28 juin 1985. La voie se dévoile dans un métier manuel, la chance de la prédisposition à la sensation. « Bien dans la cuisine ». Chez Jean SCHILLINGER à Colmar, auprès de la famille HAEBERLIN à L’Auberge de L’Ill, Olivier NASTI arpentera toute la diversité du terroir alsacien. « Je ne renie rien, l’Alsace est ma patrie ». Le 15 mars 1993, notre exigeant frondeur s’installe au Caveau d’Eguisheim. En 1995, le chef de l’Alsace décalée, obtient le trophée du meilleur espoir décerné par le magazine « Le Chef ».
Le 1er novembre 2000, les NASTI Brothers acquièrent, à Kaysersberg, un des plus charmeurs sites de France, un Hôtel où, jadis, Marius CHAMBARD, chasseur, célèbre entrepreneur local et bon vivant inventa la « truite aux amandes » dans les années 30. A force de visions du paysage, à l’horizon nippon sans jamais opter pour « une approche japonisante », Olivier NASTI se révèle dans l’adversité du terrain à conquérir, pas à pas. Il construit son monde dans un autre monde, relie la tradition dans son intériorité par le mouvement de son temps. Le 7 mars 2005 : son travail s’avère justement récompensé par une première étoile. Une touche singulière traverse la manière, une cohérence d’italianité embrasée par une estime de la valeur du travail, entre les travaux, le clan, la patrie et l’exil. « Mon entreprise, je veux la rendre plus belle tous les jours ».
Cette volonté déterminée de s’aventurer et de découvrir hors de chez soi, de gagner la confiance des autres, de comprendre les formes d’altérité dans un désir d’infini, ne lasse pas d’impressionner dans le feuilleton NASTI. « Je vis dans la nature, je pêche le saumon à la mouche, mais aussi le thon en Casamance ». La conjugaison ténue entre l’élément terrien et les caprices marins, adjointe à une sélection des vins proprement éblouissante (750 références dont 200 vins alsaciens) élaborée par Emmanuel NASTI, ne quête aucune consécration tant elle doute de son enquête afin d’avancer dans sa douce fragilité consciente de ses propensions. Notre chef fonceur qui apprécie autant la loyauté de ses amitiés que le coup de fourchette de ses fidélités, fait corps avec son décor dans un dialogue ininterrompu avec ses fabuleux fournisseurs découverts au fil de ses promenades sur la route romaine de la campagne natale du Docteur Schweitzer et de Saint-Jacques de Compostelle.
Jean-Paul GUIDAT, la haut, à Orbey, à 1000 mètres d’altitude, élève de merveilleux poissons ; grosses truites de montagne arc en ciel, ombles chevaliers, truitelles, saumons de Fontaine dans des sources maintenues à 8°, été comme hiver. Celui qui se prend au jeu du terroir en bousculant les terroirs affirme sa mémoire du goût affranchie de toutes les bannières et les barrières. L’escargot oscille entre viande et poisson dans une logique du moderne ancrée et ouverte, ici et là. « Une pioche » féconde dans un kazabuchi rappé sur un bout de sandre dans son lit de sel. Le jeu des parfums dans le scintillement du braisage confine au ludique des couleurs. La flammekuche, cette pizza élémentaire du 14ème siècle, se métamorphose en tarte flammée à quatre mains avec ses amis multi étoilés : Jean-Georges KLEIN, Marc HAEBERLIN.
Notre iconoclaste au cœur gros à fleur de peau établit des « concepts costauds » sous ses airs finauds. Au milieu de la tablée, il lance, tel un coup de dés, le risotto, restitue la cuisson du poisson dans la sérénité de la convivialité. « Profitez de ses amis, accroître le partage ». Ce cueilleur de printemps trompe la mort dans le safran, poudre autochtone d’Hervé BARBIZAN. Passetemps de l’aquarelle : pistil orangé, noir du champignon. Ce style en fragments de discours amoureux prépare l’Alsace au prochain siècle, redistribue la question du terroir et du territoire. Ultramoderne, impliqué, inventif, il tourne autour du salé et du sucré. Olivier NASTI entreprend, plus loin, plus haut pour frapper toujours fort, poursuivre la modernisation de son passage dans le décalage respectueux du décollage, entre histoire et souvenir.
L’azote : simple technique invisible dans une pratique. Le piano tout induction : une cuisine propre qui façonne la cohérence d’un projet de vie dans la mesure du panorama. «Grandeurs de Ferran ADRIA». L’homme du CHAMBARD manie la fluidité contemporaine des technologies de la communication, stratégie de clientèles et d’image bien comprises, avec une envie de bien faire irrésistible. De mutations en transmutations, une « cosmogonie » toute personnelle émerge : historique dégrafé dans le plat, façons de guetter les héritages à venir. « Admirations pour Jacques MAXIMIN ». Depuis le MOF, notre technicien des bibeleskaese de grenouille transmet les états d’âme de son assiette, entre différence et répétition, variante et variation. La narration plonge, quelque part, entre la carte emplie et le menu indivisible, dans le débordement jubilatoire de la nostalgie du futur ou la volonté explicative de la mélancolie gaie.
Au vrai, le Trophée GaultMillau d’Or 2009 diffère par sa vision du produit : une coque d’oignons doux des Cévennes, une soupe de girolles, des amandes fraîches juste cueillies dans un champ quasi sauvage nommé « Mandel Berg ». « Immensité de Pierre GAGNAIRE. Un gamin timbré qui ouvre son frigo ». Jeu rituel avec la circonstance des stances qui embellit l’existence, l’aspiration de cuisine d’Olivier NASTI s’origine dans la pudeur d’un socle monumental. « Manger c’est vivre, passer à table occasionne toujours une grande rencontre de joie et d’amour ». La délicate féminité de ses cuissons s’explique peut-être par les mystères du gynécée familial. Notre grand affectif «recherche, avant toute chose, à être rassuré, à tout moment». Mouvements et gravité.
Notre brave précautionneux, conquérant indépendant, fragile bâtisseur conscient de ses loyautés, dans les calmes lames de sa pêche à la ligne, accepte d’en découdre avec le saumon, s’efface devant la majesté des éléments. «Une grande famille à la campagne le dimanche autour d’une grande table en bois». Il colle à la Nature avec sa nature. Dans sa demeure de «vieille renommée» transformée, aujourd’hui, en hôtel de luxe ultra moderne (SPA, magnifiques suites baptisées des prénoms des enfants, avec vue sur la rue centrale et ses petites maisons ornées à colombage), entre des miroitements de surface et des scintillements de profondeurs, il perce l’étonnement de la terre, retourne sa terre. Subvertir le paysage, ranimer le terroir.
Olivier NASTI surgit d’un ailleurs pour réinventer la baroque fraîcheur de son Alsace, exposer des topoi et des logoi. Le tissage du travail du clan installe la scène primitive d’une saga. Entreprendre et comprendre fusionnent dans une proximité émouvante de la construction mouvante du lieu Chambard et de ses satellites médités en résonance : «Flamme & Co Strasbourg», « Flamme & Co », « L’Hôtel**** », « La Winstub », « Le Kouglof ». Une force inquiète nous prend où la subtilité le dispute à la rupture dialectique de la reprise, le débordement intérieur aux fondations. Sans tambours ni détours, une réputation virevoltante du goût ouvre le ciel de l’aliment. Cette maestria déterritorialise le territoire dans un bäkeofe de foie-gras qui mine la ritournelle, dans une illusion au beurre noisette qui trompe les trompettes de la mort. Recueil d’un accueil sur une terre gourmande.
La déclinaison oblique des saveurs s’inscrit dans un art intense de vivre aux côtés des épouses, Patricia et Corinne, des enfants, Virginie, Johanna, Manon, Clara, Louis, Emma et Paul, des grands-parents. Un jour, peut-être, dans le vieux Belfort non loin des remparts de la Citadelle et du Lion de Bartholdi, les NASTI auront envie d'ouvrir une belle table gourmande.
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