PORTRAIT DE CHEF
Carlos CAMINO

Par Fabien Nègre
  • Chef Carlos Camino
  • Restaurant Miraflores
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  • Restaurant Miraflores

Péruvien prodromique, seul inca constellé d’Europe étampé aux bouchons et maîtres lyonnais, Carlos CAMINO transmue avec intellection poétique la sensorialité andine de sa genèse d’altitude, de ses rêveries côtières d’enfance en sensation contemporaine intime, entre piments œuvrés et produits autochtones ouvragés.      

En 1980, paraît à Jauja, dans la première capitale du Pérou érigée par Francisco Pizarro le 25 avril 1534, un indocile. Dans cette petite ville de pommes de terre et de céréales perchée à 4000 mètres, les parents du rebelle professent dans les écoles. Le père gamberge ses plats classiques de littoral iodé : ceviches, homards et langoustes. La grand-mère maternelle, dans sa ferme, passe à son petit-fils la fantastique quintessence de la nature. A cinq ans, le marmouset plume ses canards, bine son potager : « j’ai aimé tout de suite la terre des campagnes ».
 
Tous les six mois, les festivités du tue-cochon saisissent le garçon d’effroi et de fascination mêlés : « je me souviens du cri, du sang, de la gorge, il existe toujours la nostalgie de tuer l’animal qu’on a nourri ». Planter des piments ou traire les vaches ne s’enseigne pas à l’école. L’éducation se déroule entre deux présences, celle des pommes de terre, des céréales, des animaux sauvages et celle des poissons entiers dont il lève tantôt les filets. A 17 ans, l’élève à l’Ecole Hôtelière de Lima file la trame de la cuisine traditionnelle péruvienne.
 
L’auréolé d’un BTS Hôtellerie Restauration se frotte à tous les terrains, aux techniques de cuisson, aux piments domptés, parcourant les consulats, ambassades et autres restaurants coutumiers. A 23 ans, il rejoint sa sœur, étudiante à Lyon mais ignore encore tout de la célébrité de la capitale du Rhône : « Je ne savais même pas qui était Bocuse, je ne connaissais rien à la cuisine française ». Là, dans une candeur virginale, le farouche recommence, cogne à toutes les portes en damné, glisse dans un stage trimestriel chez Pierre ORSI* pour une formation pratique et théorique. Il ne baguenaude point.  
 
Tout s’entrechoque dans un carambolage inédit : « La culture, le climat, je tombe malade au bout d’une semaine mais j’étais venu chercher autre chose ». Il résiste, fignole ses connaissances gestionnaires. A dessein, l’impétueux repasse un BTS au CFA François Rabelais, à Dardilly : « j’étais lancé, je me suis dit pourquoi pas ». En 2009, l’apprenti au Bouchon « Les Lyonnais », un des 23 établissements véritables labellisés par la Chambre de Commerce et d’Industrie de la ville, engrange toute la grammaire du gâteau de foies de volaille au coulis de tomates fraîches.
 
Dans cette entreprise typiquement familiale, il s’accoutume à toutes les authenticités de la rue de la Bombarde bien loin de ses paysages andins : œufs meurettes, andouillette à la fraise de veau tirée à la ficelle, quenelle de brochet sauce homardine, tablier de sapeur (gras-double ou bonnet nid d’abeille), caviar des soyeux (salade de lentilles vertes au cervelas), gratin de ravioles de la Mère Maury à la crème, poulet au vinaigre des fameuses mères lyonnaises, cervelle de canut, Saint-Marcellin de la Mère Richard, tarte aux pralines roses.
 
En 2011, il s’élève dans un autre monde, celui du haut goût, à La Rotonde**, à Charbonnières-les-Bains, aux côtés de Philippe Gauvreau, ex lieutenant fidèle du grand Jacques Maximin. En 2013, Carlos CAMINO baptise sa « fusion franco-péruvienne » au MIRAFLORES. Loin du folklore, sa manière moderne et ancrée, identitaire et novatrice, bouscule. En 2015, une première consécration éclaircit l’horizon : « Espoir GaultMillau Rhône-Alpes ».

En 2017, l’étoile flamboie sur une sensibilité déliée, des histoires de sources et de souvenances : « je réinterprète le dessert de mon village dans cette argile avec du lait, les fourmis amazoniennes frites, la transparence d’une truffe sur une pomme de terre de montagne, une dinde en plat de fête de Noël de ma mère, avec ces raisins épluchés de nos mains ». Les piments variés mettent en scène les saveurs sous un jour nouveau, approfondissent la texture, colorent les sauces, transfigurent les desserts ou les cocktails.        
 
Ce style empreint de structures dialogiques et de nouages imprévisibles reconstitue, au vrai, des produits bruts : « les blocs de cacao retravaillés, le café, le sucre, les céréales proviennent uniquement de coopératives ».  
 
Le chef du boulevard des Belges qui sillonne chaque année sa Cordillère des Andes méduse même ses compatriotes : « les péruviens ne connaissent pas ce que je sers. Mon ceviche provient d’une région spécifique où vous trouvez au même endroit fourmis, bananes, piment et herbes sauvages ». Cette monstration sans démonstration joue avec la technique hexagonale pour concevoir un métissage de confidence entre cultures autochtones depuis des millénaires : « Citron d’Asie, tomate et pomme de terre du Pérou, la cuisine française est une fusion comme chez nous ».
 
Le premier chef péruvien étoilé en Europe déménage en 2019 pour distinguer sa bistronomie de sa gastronomie. L’accès au restaurant se trame par une petite porte presque cachée qui se déboucle sur une pérégrination feutrée. Cette traversée métaphorise l’invitation à l’intimité. Le piment en trompe-l’œil entonne d’emblée sur la table avec du pain et du beurre. Il symbolise le passage éminemment exclusif dans le monde péruvien : « ma sincérité signifie une absence totale de concessions, on ne va pas à l’encontre de la folie de quelqu’un. Je ne suis aucun code, aucune étiquette ».       

Chercheur autodidacte qui s’extrait de l’ordinaire, voyageur inlassable en Espagne, aux Etats-Unis d’Amérique, en Allemagne, l’ami d’Albert et de Ferran ADRIA échange sur les solutions techniques de la nouvelle cuisine moderne. Son indépendance d’esprit présente une signature singulière dans laquelle les traditions et les productions de la PACHAMAMA relatent une histoire de pensée de l’ailleurs fondée sur les produits naturels, rares et originaux de son pays. Témoin ce charriot des granités expressifs de la rue.  
  
La balade hivernale au Machu Picchu allèche par un hypnotique beurre piment harmonisé à une angélique brioche pomme de terre dont on s’allaiterait bien tout au long de ce diner au tempo hors de toute temporalité. Le croustillant de quinoas, cushuro (caviar des Andes, algue des lagunes des hautes montagnes), sauce huancaina (sauce crémeuse populaire à base de piment aji amarillo et de fromage) trouble autant que la bouchée de chuno (pommes de terre déshydratées des Andes centrales), aguaymento (coqueret), truffe d’été emmaillote en bonté.  
 
Le taco vert, chicha de jora (boisson fermentée) maïs et caviar osciètre uruguayen, attise. Le singulier ceviche amazonien de maigre sauvage, banane verte, lèche de Tigre (marinade au fumet de poisson, herbes et aromates) au charapita (piment intense et fruité) et san pedro (cactus), pain boulanger complet de quinoa éblouit. La pota (calmar géant) en linguini al olivo, chips de riz et camote (patate douce) émeut.
 
Le quinotto (risotto au quinoa) royal, façon chaufa (riz frit), sauce au tamarindo (tamarin) resplendit ainsi que ce plat d’enfance de dinde, aji panca (piment doux côtier fruité, boisé et fumé), coriandre sauvage, raisins garnis de pomme de terre. La glace de maïs morado (noir), espuma de gin virgin, vodka de quinoa émerveille avant le cacao-eucalyptus criollo, argile chaco, raspadilla (granité) mélisse, le cocaron feuille de coca et son cannelé yuca (manioc), cacao criollo, mangue. 
 

MIRAFLORES

Le restaurant Miraflores du chef Carlos Camino propose une gastronomie franco-péruvienne étoilée. Menu du restaurant...

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