Dans la petite ville portuaire de Takasago blottie à l’embouchure du fleuve Kako, abondent sanctuaires shintos et temples bouddhiques, pins et cerisiers. Ci-devant bondit un tendre énervé de la Cité nuptiale le 12 juin 1980. Les proches ne se tapent pas la cloche. Le collège s’écoule et le lycée coule dans la porte des esprits, Kobé, capitale de la préfecture de Hyōgo. Le petit homme gourmand file à Osaka trompette sous le bras. Un seul rêve, une seule envie, une unique vie : la musique. « Je ne gagnais pas bien donc j’ai commencé la cuisine ».
A sa majorité, l’autodidacte touche à la gastronomie italienne au kobéen « Tutto Bene » : « J’ai adoré la mentalité, l’esprit des cuisiniers, des gentils qui travaillent tout le temps comme des fous, c’est violent, physique, monotone mais faire la cuisine ne m’intéressait pas ». A 20 ans, le jeune homme sideman émince, hache et découpe aux côtés de Philippe JOUSSE, fidèle second d’Alain CHAPEL, dans son célèbre établissement de Kobé, logé dans un hôtel de luxe. Pendant cinq ans, il s’imprègne de l’esprit du génial chef de Mionnay avec le sous-chef japonais de la maison qu’il suit dans son propre établissement : « Je ne connaissais rien à la cuisine japonaise ».
En 2006, poussé par la volonté de prouver son innocence dans un parfum de jazz, il dévale à Paris par le feu de l’action dans une table qui n’en manque pas : L’Ami Jean 75007. Stéphane JEGO le conforte : « Il impressionne, tout le temps à fond, là, devant, présent, il travaille vraiment. Il prenait toutes les bêtes entières, les gibiers, impossible de voir cela au Japon ».
A l’ouverture de l’Agapé, en 2010, dans le 17ème, l’amoureux de la braise découvre un chef artiste : Bertrand GREBAUT. Il perfectionne ses cuissons, ses assaisonnements mais surtout les couleurs et les formes de ces assiettes « féminines ». Il se lie alors d’amitié avec son second, Katsuaki OKIYAMA, aujourd’hui étoilé en son petit « Abri » fort réputé. Masahide IKUTA, surnommé « Masa » dans le microcosme des gouteurs parisiens, capte illico la texture des matières, l’union des bouquets.
Il s’échappe quelques mois dans les montagnes basques pour parfaire son éducation culinaire chez Asador Etxebarri, auprès d’un gourou du braséro : Victor ARGUINZONIZ. Là, envoûté, il forge son amour du produit brut et parfois brutal qu’il corne sans complexe : « Un maître qui ne peut le faire qu’avec ses poissons, ses viandes qui viennent des environs, avec ses fours, ce charbon, cette qualité de l’eau, cette clientèle, cette ambiance ». S’il existe une manière très française de considérer le produit par une gestuelle, IKUTA le pousse très loin dans sa radicalité et sa pureté.
En 2013, l’alerte ravit son étoile avec Bruno VERJUS, chez TABLE : « C’est une question de génération. Bruno est spécial et son parcours unique. Il a le talent, les idées, l’esprit ouvert, l’intelligence, la culture ». En 2016, avec Franck ABOUDARHAM chez ENCORE, le paradoxe de l’évidence s’affirme. Au « Enfants du Marché », sa cuisine de plein air, brille de tous ses éclats avec ses petites portions gastronomiques en adéquation tonale avec les vins naturels si inédits puisés par Michael GROSMAN.
Entrelaçant la noblesse et la rareté aux productions plus simples ou humbles, guetteur du tempo de l’extrême fraîcheur du cœur de la saisonnalité, Masahide IKUTA souffle les drapées de la matière avant leur dimension esthétique. Tour à tour instinctif et instinctuel, dans une disparition concentrée de l’ego, il joue sa jetset du jour sur une terrasse nocturne brûlante : « Je ne dois pas trop réfléchir. La cuisine, c’est juste dix assiettes pour des amis. Quand on aime, c’est intrinsèque, différent, on ne travaille jamais ».
Aujourd’hui, sur un stellaire toit de Paris, invisible de la rue : Acte 2. Le souffleur du mouvement passe, dans le scintillement de l’exactitude, des produits très spéciaux (gros couteaux de plongée écossais, entrecôte semi-séchée), hors-normes (huîtres pied de cheval, grand chinchard, carabineros géantes), au fameux binchotan, ce barbecue au charbon végétal japonais, les empreintes marines de ses paysages oniriques : « Ormeaux sauvages de la Baie de Quiberon / cèpes des Vosges / foie gras des Landes / poivre à queue / feuille d’Achillée / beurre noisette / jus de canard laqué », « Cervelle de veau / beurre citronnée fumé / artichauts / caviar », « Sardine baie Quiberon / strachatella fumé/ basilic citronnelle/ son chapeau fleur de courgette / curry madras », « Filet de bœuf saisi à la braise / framboise / parmesan affiné 36 mois / câpres de Sicile / anchois de cantabile / basilic citron », « Anguille sauvage côte catalane à la braise / boudin noir kintoa / maïs Vendée laqué / oxalis des bois ».
Tout à la danse de la flamme, l’âme du jazz.