Le 17 juillet 1978, sous le ciel de Brescia scintille un nouveau-né. Sur les rives de la Mella, non loin du Pô, l’air campagnard attise l’appétit. Avec sa maman, « excellente cuisinière », l’enfant fabrique son saucisson maison dans son garage. « Mes parents tuaient le cochon ». Des années passées dans les champs agrestes romains « ultra bio avant l’heure », émane le puissant souvenir du goût. « L’été, c’était la sauce tomate et les confitures ». Le Collège s’évanouit. « A 14 ans, j’aimais cuisiner tout le temps ». En 1997, les extras puis l’armée l’emportent chez les chasseurs alpins.
Du ski, de l’escalade et des marches de nuit apaisent le véloce. A l’adolescence, le brescian « bricole des caisses à savon dans l’atelier de ses amis ». Le sport automobile le fascine : roulage de mécaniques, sidération de la vitesse, moteurs au cœur des motos. A 14 ans, la cuisine restitue ses sensations vigoureuses et premières. « Je voulais faire des gâteaux, la rigueur de la pâte, la précision des cuissons m’empêchaient de déborder ». L’école hôtelière, désertée au bout de trois ans, n’enseigne pas vraiment la science exacte.
Un professeur perspicace, Piétri PALAZZO, meilleur pâtissier du monde, projette le jeune homme aux velléités sucrées à « LA CASA », un restaurant réputé des bords du Lac de Garde. Le Chef, Alvaro CERRI, discipline de Georges BLANC et d’Alain DUCASSE, l’initie aux arts culinaires : la logistique, les mises en place, les ustensiles, le volume et la gastronomie. « Les samedis soir, aux beaux jours, je me souviens des fabuleux mariages dans les villas viticoles privées ». Ces maîtres lui soufflent « l’idée d’une cuisine raffinée ».
A 20 ans, le chef de partie, lecteur assidu de livre de recettes, découvre la gastronomie française à « Osteria oenoteca italiana », le meilleur italien de Dijon. « Mes parents ne voulaient pas me laisser partir, un déchirement ». Le patron, Monsieur VELLI, ancien boucher, découpe ses bêtes entières sur place. Ses échanges fructueux avec Bernard LOISEAU, client assidu, lui donne un aperçu du goût des français pour la cuisine ultramontaine dans une région gastronomique. « Les pâtes, les sublimes produits locaux, les filières courtes, c’est du très haut niveau ».
En septembre 2002, Emmanuele TAMUSSI rejoint « Les délices d’Ugano », un petit restaurant cave à vins près de la place de la Madeleine. Nicolas VERNIER, chef du reconnu « IL CORTILE » et alors très proche d’Alain DUCASSE, lui propose une place de chef chez ITAL. En novembre 2003, le futur chef d’ENOTECA gagne ses lettres de noblesse au minuscule « IL BUCO », rue Léopold Bellan. La carte familiale figure l’ardoise magique du jour. Le bonheur du marché se traduit dans une cuisine improvisée inspirée. « Autour d’un produit, je m’amusai ».
Se structure une identité culinaire italo-française condensée, par exemple, dans le risotto au foie gras. En novembre 2009, Emmanuele TAMUSSI prend les rênes de FARNESINA. Dans les beaux quartiers de la capitale, les politiques et les célébrités viennent déguster une cuisine familiale napolitaine réorientée sur la finesse et le luxe. La truffe domine dans un style plus réfléchi non pas rustique mais symbiotique avec des crustacés glorieux, langoustines de Bretagne ou des plats à la commande comme les tagliolinis au homard.
En liberté, avec ses raviolis à la truffe blanche, Emmanuele TAMUSSI n’apprécie pas les formules mais juste les formulations tout en portant une attention singulière aux accords. « Très tôt, j’ai goûté du vin. J’ai eu la chance d’avoir des sommeliers avec lesquels j’échangeai vraiment. J’ai fait des formations en sommellerie en France ». Suite à « coup de foudre amical et professionnel » avec Alexandre CHAPON, depuis juillet 2019, à l’Enoteca, il pratique une vraie cuisine italienne à Paris, entre souvenirs d’enfance et retour de vacances, entre nostalgie du bleu de bufflonne affiné seize mois dans des grottes et fregola sarda resituées en risotto agrémenté de cèpes bouchon.
« Il y a une grande culture culinaire italienne à Paris mais les parisiens ne connaissent pas encore tout, loin s’en faut. L’esturgeon, par exemple, avec les beaux accords suggérés par Roberto FACCANI et Margerita SALA. Nous cherchons la fluidité ou le contraste en fonction du moment. Il faut distinguer les sensations ».