PORTRAIT DE CHEF
Stephane THORETON Palace de Menthon

Par Fabien Nègre

En bordure du lac d’Annecy, l’un des plus romantiques décors naturels de France propice aux noces estivales, dans un palace thermal de la Belle Epoque, à Menthon Saint - Bernard, titi de la rue du Paradis, malicieux directeur madré, concepteur d’idées culinaires décontractées non dénuées d’humour, ingénieux décomplexé, Stéphane THORETON, remarqué pour ses drôles de petites boîtes pique-nique fantaisie précieuses à Jean-Luc PETITRENAUD, trouble les émois gustatifs de la jeunesse annécienne dorée sous sa tente marocaine au fil de l’eau.  

Le 3 décembre 1971, les parents enfantent le petit, rue de Paradis, dans ce 10ème popu ceint de gares : Est, Nord, Saint-Lazare. Loin des histoires de bouche. Le père, armurier civil dans un campement militaire, à Satory, manie le beurre d’escargots avec précaution. La mère veille les enfants mais ne caresse aucune casserole. Notre parisien beau tain de la rue des porcelainiers idéalise pourtant ce « plaisir du plaisir ». Happé par le métier manuel, il adore « faire des choses avec trois fois rien et dessiner ». Au lycée Lamartine, à 14 ans, un conseiller de désorientation le charge de poursuivre ailleurs lors même qu’il avançait d’un an. « J’aimais la tentation de la matière ». Fin de troisième, notre gosse entame cuisine direct. « Rendre des inconnus heureux ».



En 1984, l’établissement d’apprentissage, dégoté par maman grâce au directeur des Brasseries FLO, ne ressemble en rien à un Palais : « Terminus Nord », Gare du Nord.

Un cauchemar éveillé. « J’ai mangé, 800 couverts par jour, je cravachais, à cette époque, seuls les demeurés faisaient CAP Cuisine. Christophe MICHALAK parle de punition. ». Le sévère Paul DELBART, qui fit l’ouverture de la Coupole lors de son rachat par le Groupe, ne froisse pas que de la dentelle. Ulcère. A 16 ans, notre enragé sort semi-chef de partie. « FLO apprend tout : le service, la grillade, la choucroute, les entremets, les sauces ».

Le désamour péremptoire du complexe chrématistique ne tarde pas.

« La course à la consécration pousse en moi». 1988 : Direction Barcelone. Secousse catalane, palissade de la langue. Notre boulimique de l’ouverture d’esprit ne renonce pas malgré les billevesées sur sa précocité.



Organisé, structuré, manager en herbe hanté par une énergie folle, notre « foudre de rage » présente des qualités inquiétantes pour ses patrons : célérité, « jugeote », malice. Solitaire empathique, acharné sympathique, confiné bondissant, le futur Chef du VIU se forge un caractère à toutes épreuves. « La terrible expérience de la vie enseigne le combat ». Avide de connaissance, il envisage une mention complémentaire en pâtisserie. A 18 ans, « Le Moulin de Mombreux* » à Lumbres (62380), dirigé par le Chef Jean-Marc GAUDRY, l’accueille. A 23 ans, second au Presbourg (75008) puis TAILLEVENT, LEDOYEN, DROUANT. Notre « Toque Blanche Internationale », cuisinier particulier en maison bourgeoise, armé d’un solide parcours de coups de cœur modulés, maîtrise toute la chaîne de valeur. « Un CV en Or ».



A 24 ans, dans une caserne d’officiers, à Rueil-Malmaison, il déchiffre la rigueur et la hiérarchie, ouvre le « Concorde la Fayette » (75017), Porte Maillot. En 2001, il inaugure « Le Roland Garros ». « Tout intégrer, tout lier dans un seul et même poste ». Georges ROUX le parraine pour le préparer aux concours. Enquête de paternités : « Un grand Monsieur, mon père ». « Guy KRENZER incarne le modèle absolu. MOF deux fois. Un monstre, Chef exécutif du groupe LENOTRE et membre du Directoire ». Jean-Pierre VIGATO, «super génial cuisinier», lui propose TAHITI mais la rencontre avec Jean-Paul FONTAN, président du directoire de SOGERES et Christian BIMES, président de la Fédération Française de Tennis, permute la donne. « Je me retrouve comme un idiot avec mon contrat, halluciné ».



A 35 ans, conseiller culinaire de SODEXO Prestige, notre « Directeur de la restauration » gage une autre péripétie. En 2006, François BENAIS, président du Groupe BUILDINVEST, lui propose LE PALACE DE MENTHON : « résoudre une énigme par une échappée belle, une envie d’avancer, je m’ennuie vite, je fonctionne à la passion, l’affectif l’emporte. Seul le défi m’excite ». Le « VIU » : « cabaret » moderne, lieu stylé, vue ahurissante sur le lac et les montagnes alentours. Le « PALACE BEACH », symbolise une cuisine de plage, détendue et différentiable, dans une palmeraie chérifienne. Notre « Membre de l’Académie Culinaire de France », réverbère les lieux, sarcle de jeunes esprits. Le projet engage décontraction et modularité.



Le « PALACE HOTEL », édifié en 1906 puis 1911, par les Frères GRUFFAZ (l'un chef de cuisine, l'autre maître d'hôtel, qui possédaient également un hôtel à Monte-Carlo) comprend un court de tennis et un héliport. La plage appartenait à la Société des Bains de Menthon, créée à la suite de la découverte, à la fin du XIXème siècle, des sources sulfureuses, déjà connues et exploitées par les Romains. En 1924, Monsieur et Madame René MARTIN acquièrent le PALACE ; tous deux issus de famille hôtelière (Saint-Gervais, Megève, Nice). Le PALACE comporte alors environ 100 chambres dont 10 avec salle de bains (grand luxe à l'époque) auxquelles s’ajoutent les vingt chambres de l’annexe l'Hôtel des Bains. La distinction entre Chambres de Maîtres et Chambres des Courriers s’expliquait par le déplacement des familles avec force nurses et chauffeurs. Durant toute cette période, l’immense parc privé reçoit de nombreuses personnalités tant politiques qu'économiques, des arts ou du spectacle.



Les patrons ne font et défont plus les maisons avec des mains de fer et des accueils royaux. Le client épouse le lieu, s’imprègne de ses usages. « Ni tartiflette, ni omble chevalier, ni fera. Cuisine d’aujourd’hui : simplissime sans délire ». Des cuissons simples, à la plancha. De la mâche avant toute chose. Loin des sondes, l’irrégularité tactile prévaut. Loin des pointes de sauce, les jus revivent. Loin des sémaphores, « tous les produits jouent les stars ». Bon, beau, simple, populaire. Notre ancien responsable recherche et développement chez Saint Clair Traiteur développe l’idée des apprêts ludiques et surprenants : dévorer, croquer dans la curiosité réflexive du lien. Le liant de la conversation fait pendant aux ballades parfois brutales aux prises avec le goûteur. Capter l’essence de la sensation sans programme. Improviser un instinct sur dix notes.



« Je mets la tête dans le frigo de quelqu’un en arrivant dans sa maison. La loi du poker. En Province, il faut s’ouvrir aux plaisirs de la transgression avec des intitulés clairs, précis, drôles ». L’ami de Yoann CONTE comble un vide, une connaissance de la proximité. Dans ses assiettes hommage aux arts contemporains, des images sensorielles sans barrières se partagent le posé et l’instinctuel. Une imagination de clientèles, des voyages immobiles, des labyrinthes intérieurs. Cette technique-fusion n’omet pas la cuillère de l’enfance. Elle œuvre la caudalie du palais. Equilibre, harmonie, quantité. Elle architecture des valeurs confortées par des rencontres. « J’aime le choc non violent. Le fil conducteur : l’amour de la transmission, l’amour des gens ». La garniture instinctive s’adosse aux cuissons directes du moment sans droit à l’erreur.



La surprise mesure le cran sans jamais perdre le goût du pain dans le cul du poulet. Autant de souvenirs de vie, de la brioche au boudin, autant de communions de noël entre la transmission invisible de la tradition épiphanique et le site hyperbolique d’un partage de l’offrande du dehors. Vient le temps de la paix des viandes : rassir, arroser, reposer, nourrir leurs fibres dans l’intimité viscérale contre la linéarité sous vide. Une cuisine de tendresse et non de tendreté.



Stéphane THORETON, en amoureux audacieux, saura l’euphorie jouissive du matin, chambre avec vue sur les miroitements du Lac. La convivialité ne disparaitra pas. « Le meilleur repas du monde ne nous consolera pas mais la gratuité du bonheur montre l’universalité de la cuisine ».


 
 

PALACE DE MENTHON

Dans cette superbe bâtisse de 1911 dont la vue donne sur le lac d'Annecy, le restaurant " Le Viu " est entre les mains du talentueux chef Stéphane Thoreton.
Menu du déjeuner à 25Euro. Découvrir le restaurant

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