Sur les rives du Rhin arrive un fringant le 11 juin 1979 à Rhinau. Le grand-père paternel officie en maire maternel. La maman, bretonne du pays du Léon, adoucit le lait ribot hanté par l’oignon rosé. L’âme virevolte entre le Nord du Finistère et les méandres silencieux de l’Ill. A quatre ans, l’attirance pour le métier de vétérinaire s’efface bien vite devant l’appétence pour la chair. « J’adorai manger, j’étais très gourmand. Je chipais aussi tous les bonbons du marché ». En 1984, le chef de famille, fin cordon bleu, directeur de la promotion de Grand-Marnier, l’emporte au Cap Ferret, en voyage culinaire.
Les grands parents colmariens transportent les esprits dans leur distillerie KUHRI. « Je me perdais dans les fragrances des liqueurs du verger en suivant les fêtes de chasse ». Le goût paraît de cet hybride énigmatique de sensations, d’expériences et de souvenirs de recettes. A 12 ans, dans cette grande famille de six garçons et une fille, le lauréat 2014 de TOPCHEF se ressouvient du périple, en voiture, entre Genève et la maison de sa grand-mère alsacienne qui préparait toujours une « palette de porc aux pommes de terre ».
« Ce plat délicieux qui se mange à température ambiante résumait tout : ce souci de recevoir, cette volonté de faire plaisir, la joie de se retrouver et de s’attabler. Des moments de bonheur en mangeant ». Ce frisson de bouche, l’adolescent le perçoit encore dans ces huîtres tsarskaya, fermes, charnues, affinées dans les parcs Saint Kerber, à Cancale où se rejoue une baignade en haute mer avec son grand-père breton. Les images tracent dans l’imaginaire du sensible marin à fleur de terre, de la pêche côtière des tourteaux, des coques, des crevettes grises aux araignées.
Le bon élève bravache enfourne des tartes aux pommes, submergé par sa réceptivité. « Je jouais au basket, je voulais suivre sport études pour la compétition et le dépassement de soi mais je faisais l’andouille ». A 12 ans, un déjeuner avec son père, dans la famille HAEBERLIN, le bouleverse. « Je déguste un canard en plusieurs façons, je visite les cuisines, je décide de devenir chef ». Claude LEGRAS, MOF, chef étoilé genevois, son « second papa », au Parc des Eaux-Vives, fait son apprentissage sans école, à 16 ans. « Nous pratiquons un métier de transmission, de passion, toucher le produit, maîtriser le feu ne s’apprend pas dans les livres ».
Conscient de sa chance, l’ancien sous-chef de l’Auberge de l’Onde*, à Saint-Saphorain-Lavaux, non loin de Vevey, concrétise son rêve. « Je me disais, ce n’est pas un métier, nous ne travaillons pas, nous donnons du bonheur, nous rendons les gens heureux ». La quenelle de brochet à la texture onctueuse et gourmande, par sa sauce à la fois puissante, ronde et crémée, le marque. La maîtrise des plats classiques forme la condition sine qua non de la modernité. L’aspirant désire tout aspirer. « Monsieur LEGRAS m’accepte mais va me recadrer gentiment pour m’apprendre un métier. J’ai été impressionné par ce chef qui remerciait toute sa brigade après chaque service ».
Le commis d’Alain SENDERENS, au LUCAS CARTON***, en 1999, découvre un précurseur et un « homme exceptionnel », son adjoint, Frédéric ROBERT. La grande gastronomie requiert tous les essais sur le foie gras, le canard Apicius, les accords ultimes. « Nous avions quatre amuse-bouche différents en fonction de l’apéritif du client ». A l’ARPEGE***, en 2000, le respect absolu du produit et les cuissons lentes parachèvent un enseignement du goût. « J’aimais le poisson et la Saint-Jacques plus que tout mais le gibier me rappelait la chasse grand-paternelle ».
Entre 2003 et 2005, deux maisons dorent encore davantage un blason déjà brillant, le Louis XV*** et le Ritz Espadon** mais la consécration surviendra aux Émirats. En 2007, l’ex-commis d’Aubergine* Londres saisit le poste de sous-chef du « Vu’s » dans la Jumeirah Emirates Tower. En 2009, chef de cuisine du « Bord’eau » au Shangri-La Abu-Dhabi, il rafle toutes les récompenses 2010 qui outrepassent tous les parchemins : chef de l’année, meilleur restaurant de l’année, meilleur restaurant romantique de l’année, meilleur restaurant d’Europe.
En mars 2014, le chef exécutif du Peninsula Paris souffle un peu : « un aboutissement de mes dix doigts, faire quelque chose de sa vie, j’avais besoin de me prouver et de prouver ». Depuis 2016, dans son EDERN, le bienheureux coach quarantenaire estime que réussir sa vie consiste à mettre ses convives en joie. L’aventure humaine des valeurs, la découverte de « pépites » solidifient une équipe dans sa cohésion et sa cohérence. « Tous œuvrent ensemble pour la victoire ». Cet habitué du ciel étoilé ne se trompe jamais de bataille.
Tous les matins du monde, dans une solaire expérience, ces habitués sourient et s’amusent au bar, au fumoir ou avec un DJ. Rien ne laisse indifférent, les œuvres d’art se sertissent dans le décor. « Dès qu’il passe la porte, le client doit vivre une globalité. La musique, son intensité, le faux plafond pour l’acoustique, les couleurs choisies, les banquettes, les tables ». Ni bistronomique ni gastronomique, tout a été pensé pour un lieu pointu mais accessible, décomplexé et festif. Rien ne claque ni ne clique.
Avec ses produits d’exception jamais ennuyeux, bien cuits et bien servis, le jeune alsacien breton plus parisien que jamais dans sa dimension d’altérité, « veut entendre les rires de ses hôtes, qu’on n’ait pas peur de tousser ». Le style détendu EDERN, entre des aïeux passionnés, des épices orientales et des délices asiatiques, se conjugue dans une tarte fine au tarama truffé, thon mariné. L’iodé affiche toute sa noblesse sans caractère onéreux. La texture croustillante et moelleuse garantit la vitalité, la vivacité de la marinade de citron vert rafraîchit l’horizon.
Manger bon, simple, sain, telle demeure l’ambition. La côte de bœuf se pare d’une sauce spéciale au poivre, frites parmesan truffe. Le yaourt grec bien assaisonné, poivré, vinaigré, se substitue à la mayonnaise. Un merlu de ligne, sublime poisson épais ou un ceviche de maigre s’inscrivent dans cette approche ultramoderne et accessible. Du tapas sharing dégrippé, du fun dining quasi londonien, de l’ouverture new-yorkaise sans snobisme ni élitisme pour accueillir tout le monde, autant de vifs arguments en forme de mezzés surprises de l’houmous aux agrumes.
« En adéquation, je veux un lieu où l’on se sente bien avec sa famille et ses amis ». Avec la rigueur, l’énergie, et l’enthousiasme qui le caractérise, EDERN diffère par son émulation ambiancée.
Photo de Jean-Edern Hurstel : Marco Strullu