Fabrice SOMMIER

FABIEN NÈGRE
Digne castelroussin stylé, MOF 2007, Master of Port 2010, Fabrice SOMMIER, seul sommelier promu directeur général d’un Groupe, celui de Georges BLANC***, porte haut, l’exemplarité des hommes du vin.    
 
Dans le Berry, à Châteauroux, le 14 août 1970, bondit un phénomène. « A moins de deux ans, le 14 juillet 1972, j’ai bu du vin ». La jeune pousse berrichonne, de plain-pied dans l’étrier, affectionne son grand-père paternel, Jean, qui « faisait de la polyculture, éleveur en tout genre, maraîcher, jardinier, fromager, et même vigneron qui braconnait son gibier » à Selles-sur-Cher. Ce merveilleux papy lui fait déguster à la pipette tous les fûts d’Oberlin, de Baco, de Noa, d’Othello et autres jus de raisin partiellement fermentés.
 
Cet aïeul cultivateur quasiment en autarcie lui apprend le goût des fraises encore gorgées de soleil, les asperges solognotes à la blancheur éclatante et au suave fondant. A sa table, l’enfant précoce boit aussi son premier verre de Bernache, un jus de raisin en cours de fermentation plein de gaz et de sucre. Avec une mère à la santé fragile, la grand-mère maternelle inculque tôt « les belles et bonnes choses de la vie ». L’art de bien manger résulte d’abord d’une éducation au goût. Cette femme de six enfants cuisine « à merveille ».
 
Une simple purée de pommes de terre associée à un morceau de cochon se métamorphosait en œuvre d’art. Le coffee sommelier français au club NESPRESSO dialogue encore avec émotion du « goût de ses carottes vinaigrette, du céleri rémoulade, de ses extraordinaires soupes de légumes ». Au moment de la chasse, les pâtés de plumes et de poils rivalisaient avec les civets ou les rôtis. Pour les fêtes, elle garnissait une carpe de la Brenne à la mie de pain accommodée de persillade et de moules. Dans une région peu propice aux crus, la chevauchée contre le temps décolle avant même les starting-blocks, par le désir culinaire.
 
« J’ai voulu très rapidement faire de la cuisine, ma vraie passion mais j’avais des aversions pour l’éviscération des poissons, la proximité avec l’animal mort, vider un poulet par exemple ». Nonobstant l’allégresse d’œuvrer sur la matière, l’adolescent se dirige vers la « salle à manger ». Dans ce monde humble, à la consommation importante de vin comme boisson chez les grands-parents s’oppose une dégustation sporadique avec les parents. Néanmoins, préexistent une culture du restaurant dominical agrémentée de vins simples et un sens domestique de la table.    
 
Cette enfance d’une chance inouïe, sculptée par des parents qui autorisent toutes les expériences ouvre des horizons. A 14 ans, le départ de la maison pour l’internat, à La Châtre, dégourdit. Cette liberté de pensée, d’action, de goût abolissait tous les interdits à deux conditions, la loyauté et la probité. « La vertu cardinale de ce milieu ouvrier tenait dans le travail au sens d’un épanouissement ». Au Collège, l’obnubilé de savoir obtient son brevet restauration. En 1988, la boulimie de compréhension s’accentue avec la rencontre des irrésistibles Sophie et Jean BARDET.
 
« Des gens formidables, excessifs, généreux qui aiment la vie. Je décide de devenir sommelier, je passe un an au Château Belmont. Il définissait le vin comme le complément intellectuel du plat. J’aimais l’homme et sa cuisine, sa dimension artistique ». Apprenti derrière le bar, l’ambitieux s’improvise sommelier. Le futur grand amateur de vitoles initié par l’actuel propriétaire de la demeure de Joué-lès-Tours vise l’Ecole Hôtelière Savoie Leman, à Thonon-les-Bains, mais son père solognot lui explique « avec des mots d’une incroyable gentillesse et humanité » qu’il ne peut pas payer les frais d’inscription. En 1988, l’enfant du pays sort major de sa promotion au CFA de Châteauroux.
 
« Je voulais être le meilleur dans ce que je faisais. J’ai grandi sans revanche pour évoluer. Il ne faut pas regretter ce que l’on n’a pas eu mais avoir envie d’aller chercher ce que l’on a envie d’avoir ». Le Président du 104ème Tastevinage au Château du Clos de Vougeot 2019 vient aussi au vin par les femmes. Jacqueline PROT, son professeur de restauration, le guide vers un apprentissage en sommellerie. Le bon élève rentre, pour des débuts chaotiques, au « Bœuf Couronné », à Mézières-en-Brenne (Indre), chez le chef Bernard BROSSIER. « Je ne reste que quatre mois, j’étais sans doute un petit jeune prétentieux ».
 
Au « Coq en pâte », à Guéret, pendant 18 mois, une autre femme, Lucie RODALLEC, va lui transmettre le goût du vin. « Elle m’a donné tous ses cours d’œnologie, j’avais 17 ans ». Sa belle-sœur, Annick LONSAGNE, encore une femme, lui fait lire tous les livres sur le vin. Elle l’emmène en voyage dans le Jura, au « Relais Saint-Pierre », chaîne de pêcheurs à la mouche, Pont-du-Navoy, pour une dégustation de Conté et de vins. « De la Creuse au Jura, j’ai adoré mettre mon nez dans un vin, un goût de l’excellence et de la perfection ».
 
En 1989, Serge DUBS remporte le titre si convoité de meilleur sommelier du monde au Cirque d’Hiver. « Je veux rencontrer cet homme tout de suite ». En 1990, l’homme épris des sommets prend son premier poste de sommelier, en Alsace, chez Martin SCHREIBER, à Ottrott. « Je fais une dégustation de Clos Sainte Hune chez Trimbach et la première personne à côté de laquelle je suis assis, c’est Serge DUBS ». Dans le seul village alsacien qui ne produit que du rouge, l’amoureux du défi grandit. « La simplicité est une forme de médiocrité, je suis fan de Saint-Exupéry. Je cherche plus loin, je vais vers une intensité pour m’enrichir humainement ».
 

A la suite d’un service national effectué en Allemagne afin de se familiariser avec le vignoble allemand, encore une gageure, à 22 ans à peine, le sommelier du « Relais de Bracieux » dirigé par le chef Bernard ROBIN, alors auréolé de deux étoiles, s’épanouit. « Mon éducation pragmatique, à l’économie, pour ne jamais gaspiller et traiter les choses avec respect comme si elles m’appartenaient, avec toujours plus d’attention dans les actions, contribuait à me faire apprécier ».
 
A 25 ans, il vient au « Manoir de Paris »*, rue Pierre-Demours, dans le 17ème. Là, Denise FABRE et son mari, le chef Francis VANDENHENDE reçoivent le beau monde de la télévision « marrant et parfois beaucoup moins ». C’est l’expérience de la vie parisienne. En 1996, toujours plus haut, l’effervescent aux lunettes rouges rejoint Philippe GROULT, à l’Amphycles**. « Une pointure, un grand seigneur de la cuisine, il m’a expliqué ce qu’était un Meilleur Ouvrier de France ». L’implication appelle toutes les explications.
 
L’ultérieur Secrétaire Général de l’UDSF (Union de la Sommellerie Française), de ce sensible au grand cœur qui le marque profondément, retient le souci d’absolu sans superficialité. Entre 1997 et 2000, au « Petit Riche », dans le 9ème, avec Édouard LAMELOISE, le terroir ligérien s’offre à lui. « Une liberté totale d’achat et de plaisir, des Marginales de Thierry GERMAIN, des Clos Rougeard de « Charly » et « Nady » FOUCAULT ». Le passage chez Bernard LOISEAU tourne court. « Je ne reste que quatre mois car ne supporte pas de jouer les seconds. Mon père, d’ailleurs, physiquement, est le sosie de Raymond POULIDOR. Je conserve une affection pour Dominique LOISEAU, une grande dame de la gastronomie au grand cœur ».    
 
A 30 ans, la fulgurante trajectoire se traduit en firmament. « Je vois Georges BLANC le 27 juillet 2000 et je commence le 6 août ». Meilleur sommelier de Bourgogne, propriétaire du Domaine d’Azenay depuis 1985, le célèbre chef vonnassien qui a fait de son village un joyau aux yeux du monde entier, a architecturé l’une des plus belles caves de France notamment en étiquettes bourguignonnes. « Intelligent et sage, Monsieur BLANC n’accorde pas sa confiance facilement et ne la reprend pas aisément ». Le trentenaire hyperactif accélère les ventes des boutiques, veille à la gestion des ressources humaines car il se passionne pour les questions sociales.
 
« Si nous voulons une reconnaissance de la noblesse de notre métier, nous devons évoluer. Blancs comme neige, dorés sur tranche, nous cherchons sans cesse l’exemplarité ». Cette recherche aboutit au naturel et à la simplicité. « Le vin est fait pour être bu et pissé me rappelait mon grand-père, j’approche le vin de manière surtout pas intellectuelle, sans onanisme, c’est une boisson née de la main de l’homme qui fait naître un jus sur un terroir, avec un cépage ».  
 
En 2013 et 2014, seul français et seul européen à remporter le prix du meilleur accord entre un cigare et une boisson alcoolisée (Château d’Yquem 1988/Cohiba Behike 56, Cognac Rémy Martin Louis XIII/Cohiba Siglo VI) au Festival Habano Sommelier, le challenger qui ne s’ennuie jamais ne manque pas d’humour. « Georges BLANC m’a toujours laissé carte blanche ». Ouvert, attaché à la transmission, l’auteur d’une collection de verres chez LEHMANN Glass a monté une carte de 130 000 bouteilles soit 20 000 références.
 
« Je suis toujours en dégustation. Le Bourgogne et le Beaujolais priment. Nous travaillons dans la proximité avec nos vignerons. Sur une volaille de Bresse, je vais mettre un Ladoix 1er Cru du Domaine Claude Chevalier, un aligoté du Domaine Aegerter, un pinot noir de Laurent DELAUNAY, un Gevrey Chambertin villages de Philippe Charlopin, des vins simples, de fraîcheur ». Façonner une cave exige de penser une cuisine. Le lauréat 2017 du Trophée GOSSET Celebris de l’initiative solidaire et culinaire présente une ascension rare dans le monde de la sommellerie : directeur de la restauration, directeur des ressources humaines puis directeur général d’un groupe familial de 800 salariés comprenant 12 restaurants, 5 hôtels, un négoce de vins.
 
 « Georges BLANC sait s’entourer par ceux qui le comprennent et lui conviennent. Je joue un rôle différent, je suis totalement impliqué. Nous prenons un café tous les matins et nous balayons tous les sujets. Nous déjeunons tous les jours ensemble. Une vraie confiance existe entre nous sans laquelle nous ne pourrions pas fonctionner, transmettre une connaissance professionnelle. » Avide d’entrevues et de titres, le Saké Sommelier 2011 aime découvrir des terroirs, des produits et des hommes.
 
« Un producteur de rhum guadeloupéen, un fabricant de vanille, Alain MILLIAT avec lequel nous avons élaboré les premiers accords pour enfants jus de fruits et mets ». Ouvrir une bouteille ne résulte jamais d’un geste anodin : « C’est le reflet d’une histoire, d’un terroir, la rigueur des hommes et leur humanité. Cet événement induit un moment de partage, de transmission, de plaisir et d’amour. J’ai le bonheur de faire partager et d’être animé de cette passion depuis plus de trente ans. Le partage c’est l’amitié, il faut aimer les gens avec lesquels on partage, je préfère boire avec des copains. Henri BONNEAU avec lequel je partageai le cépage gros plant, me racontait que cela lui rappelait des promenades en barque avec son père ». Le pédagogue des accords gourmands pour les enfants se remémore sa première grande sensation : « Château Beychevelle 1970. Je l’ai vendu le jour de mon anniversaire, j’étais ému, un vin né comme moi ».
 
Fabrice SOMMIER avoue sa chance d’exercer un fabuleux métier : « avec rien, en venant de rien, j’ai pris l’ascenseur social ». L’apprentissage, valeur cardinale dans le respect, donne une capacité à s’épanouir et grandir socialement. L’exemplarité se dessine dans la fierté d’action et de parole. « Le service est noble, c’est une humanité, un acte d’amour ». L’accord s’avère incontestable. Un saumon de Loire se marie avec du Vouvray, un entre-deux-mers avec une huître d’Arcachon. L’harmonie fonde un plaisir des trois sensations du vin. D’abord, la robe qui montre la beauté de sa couleur.
 
Ensuite, le nez qui attire, sent bon. Le vin emporte dans un voyage, caresse les narines. L’accord de plaisir par excellence se compose d’une volaille de Bresse et d’un Château d’Yquem. « Un chapon bien cuit avec sa peau rôtie, craquante et croustillante. J’ai eu la chance de tout goûter mais je mettrai un Château Gillette 1971 ou 1951. Vous avez tout, la texture, la jutosité, le côté salin, le noble arrondi du champignon des vieux sauternes. Je citerai, pour finir, Philippe CONTICINI : le vin me fait un câlin en bouche, dans l’élégance et la rondeur ». 

VOIR LE RESTAURANT GEORGES BLANC À VONNAS.
 

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