PORTRAIT DE CHEF
Philippe Da SILVA

Par Fabien Nègre

Le talentueux et généreux chef Philippe DA SILVA, des Gorges de Pennafort, nous a quitté le 24 avril 2021.  

Au vert du haut-var, à Callas, à la muraille rose des gorges de Pennafort, dans une impassible Bastide provençale à la terrasse ombragée par les tilleuls, à deux garrigues du Golfe de Saint-Tropez, un homme lumineux de ses 60 étés, nounours lusitanien cogolinois à l’âme d’aubergiste truffée d’une générosité inactuelle, Philippe DA SILVA, le pantagruélique du paradis perçu, cultive les jours chanceux de ses nobles provenances dépouillées, convoyées de vieux flacons champenois en grands formats.

Fils d’Albufera en Algarve, qu’il touche le 5 avril 1954, le bambin lusitanien gagne Cogolin avec son père maçon et sa maman cuisinière. «Simplement délicieux, le pain de ma grand-mère maternelle, son civet de lapin». L’imaginaire tangue entre les bouffées du terroir varois, les faveurs des côtes méridionales, une profonde culture maraichère. A l’âge du babil de la bille, l’enfant de la crèche gourmande scrute le boulanger enfourner son pain, ses pizzas et sa pissaladière. «J’aime manger, faire à manger».



A huit ans, le gosse dodu file chez le boucher du coin de la rue pour ses raviolis et ses tomates farcies. «Petit, en hiver, je faisais la brouillade de truffe avec ma mère. Avec des œufs fermiers battus. Après, il y avait les brochettes de petits oiseaux : rouges-gorges, pinçons, bécasses. La baguette juste tiède, une salade de pissenlit». Avec son paternel plâtrier, il pêche, des journées pleines, dans une coquille de noisette, la moule, les daurades royales, les loups majestueux, en cabotant devant les Iles des torpilles, jusqu’à Saint-Tropez. Les poissons sauvages de l’enfance troublent sa jeunesse, la flamme au corps.



A la maison, les tremblements mémorables foisonnent : «le poulet fermier dominical dans le lèchefrite, avec ses pommes de terre au four, ail en chemise, gésiers ouverts et foie, ses ailerons croustillants aux suaves sucs. Vachement bon». Les réminiscences enivrent l’esprit sybarite de l’exégète des orgies romaine à la truffe en 1300 : cette soupe au pistou si veloutée, ail, huile d’olive, parmesan, haricots verts, oignons, courgettes. La salade de tomates du jardin de la grand-mère paternelle de l’intarissable friand indique l’axiomatique de toute une existence : «le goût des choses fraiches».



A l’horizon crépusculaire, la salade verte rompue à même le couteau de poche, laisse échapper un lait amer, fascination de l’effroi. A 14 ans, l’évidence de l’Ecole Hôtelière de la Chambre de Commerce de Toulon, en alternance, arrime le petit homme voué au bonheur. «J’avais l’ambition du goût». Au « Galoubet », à Port Grimaud, il fourbit ses armes. Entre 1972 et 1974, aux «Santons»**, à Grimaud, le tempo s’accélère dans le fabuleux monde étoilé. Claude GIRARD, un maître, lui enseigne les fondements de la grande cuisine classique française : les fonds au jus de veau, la réduction au Noilly Prat pour la sauce Périgueux.


Chez Charles BARRIER***, à Tours, le drôle et malicieux portugais saisit la matelote d’anguille aux petit lardons, forte émotion. Chez Louis OUTHIER***, à la Napoule, l’impétrant suffoqué déchiffre la truffe entière en gelée et le loup en feuilleté. Chez Roger VERGE***, à Mougins, le connaisseur des vins de champagne millésimés appréhende les petits farcis d’une extravagante finesse.


Afin de couronner ce tour de chauffe insensé, l’ogre pimpant va à la rencontre d’un autre «personnage» qui fera date dans l’histoire de la gastronomie parisienne : Jean DELAVEYNE**, le «fou de Bougival», le «Van Gogh de l’harmonie».

«Il m’a touché au cœur en me donnant, dans son bureau, une recette étonnante : 1/3 de crème de cassis, 2/3 de Noilly, des glaçons, magique. Un Monsieur mais un homme très difficile, le premier à avoir des viviers à homards et langoustes dans sa cuisine. Il fumait lui-même son saumon, ses jambons. Dans une pièce spécialement aménagée avec des moustiquaires, au grenier, il affinait son camembert. Il a inventé la cuisine dépouillée, une salade d’écrevisses à la pimprenelle avec des petits morceaux de gelée de cerfeuil».



A 19 ans, en 1975, Paris élargit toutes les pistes de la scène. Jean-Michel BEDIER, au «Julius»*, à Gennevilliers, lui offre sa première place de «Chef» : contemporanéité et élégance. Entre 1976 et 1994, l’homme du soleil, varois «à sa façon», gouverne l’une des tables les plus en vue de la Capitale, «LE CHIBERTA»** où il frisera la récompense suprême. Dans ce prestigieux quartier disputé, l’amoureux du diamant noir marie le rustique et le léger, manie les produits d’exception - bars de ligne, turbot de dix kilos, langoustines du Guilvinec - dans un modèle de limpidité saucière mémorable pour des générations d’apprenants.



A Paris, dès 1977, Philippe DA SILVA inaugure les dîners tout au champagne. Dans son «Auberge de l’Etoile», Monsieur RICHARD, gentleman à l’ancienne, propriétaire de l’Hôtel d’Angleterre, à Annecy, convia 55 amis à un dîner «Champagne et Truffes». «Tous les clients étaient des amis». En 1986, Dominique FAURE, alors «directeur de la communication» de POMMERY, organise le premier repas «champagne, homard et truffes». «A l’époque, personne n’osait un vieux champagne avec de la truffe. Le menu : raviolis à la truffe, langouste truffe et mangue, langoustines et rizotto truffé, poularde farcie et truffe sous la peau, gnocchis de pommes de terre et Pata Negra. Les champagnes : POMMERY 1955, BOLLINGER RD 1965, Magnum de SALON 1983».



En 1989, la rencontre de sa seconde épouse brignolaise, Martine, qui démissionnera de l’INSERM pour l’épauler, éclaire sa vie. Une autre femme exceptionnelle comptera, Sophie ROBUCHON, la nounou de son fils, Alexandre. En 1995, retour au berceau par décision strictement personnelle, le couple acquiert l’Hostellerie «Les Gorges de Pennafort», à Callas. «Mon choix de vie est de travailler avec ma femme alors que j’étais appelé aux USA ou au Japon». Avec sa précieuse épouse, l’homme du pays vit en sécurité et en liberté. «J’aime mon métier plus que tout».



Dans son domaine d’exquise villégiature, à l’orée des dentelles côtières tropéziennes, Philippe DA SILVA, dans un style néo-classique assuré, figure un phénomène renommé bien au-delà de sa réputation régionale. Autour des produits nobles et prestigieux, sa manière assume la fête des saisons, le festin de la table. Mieux et encore plus rare, le festival de la générosité : «raviolis de foie gras et parmesan», «turbot braisé sauce champagne caviar», «salade de homard aux tomates confites», «langoustines poêlées aux chanterelles et crème de roquette» ou «saint-pierre rôti au gingembre confit et ciboulette».



Dans ces tombées de pousses d’épinards matutinales de la plaine d’Argens, dans ces moments subtils de vibration intime d’huile d’olive provençale, avec ces légers liants de gravité, «l’amour des gens» réchauffe, la joie ouverte d’une humanité au monde nous enflamme. Les beaux morceaux rissolent, à l’étouffée, dans la douceur d’un secret. «Un jus sublime avec des légumes, une sauce truffe et madère. La vraie cuisine se tient là». Ici, les déjeuners s’éternisent jusqu’aux dîners, garnis de vins en grands formats, magnums ou jéroboams. «J’apprécie PETRUS, SALON et KRUG, j’aime la vinosité des grands vins de champagne tout au long du repas : BOLLINGER RD 1988».



L’aubergiste qui vous donne congé, vous gratifie aussi, heureux de son passage souriant de table en table, d’un «vous êtes ici chez vous».
 
 

HOSTELLERIE LES GORGES DE PENNAFORT

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