PORTRAIT DE CHEF
Romain LE CORDROCH

Par Fabien Nègre
  • Chef Romain Le Cordroch
  • Restaurant Bvan raviole
  • Restaurant Bvan thon courgette
  • Restaurant Bvan dessert
  • Restaurant Bvan la salle

Paysan marin pontivyen, touchant nomade cacheté aux seigneurs constellés, Romain LE CORDROCH, par un brio inaugural instinctif, conjoint le terroir breton aux territoires du monde dans une condimentation ultra végétale radicale aux sources saines de l’hyperfocale infinie de la netteté de la marée.            

A Pontivy, au pays des douves du Château des Rohan, dans la Bretagne terrienne, celle de l’Argoat, décanille de la matrice, le 4 juin 1985, un garçon des champs. Les deux grands-mères fricassent sévère. De la maternelle, le loustic hume les fruits du jardin ourlés de soleil, le bouquet sépulcral des groseilles à maquereaux, des cassis et des fraises sauvages. Il écume devant sa blanquette de veau aux bouchées si fondantes, si onctueuses : « Inégalée et inégalable ». De l’âtre de l’autre, non loin de la criée de Lorient, embaume, dès onze heures, le dos de merlu rôti au beurre noisette dans toute la maisonnette.
 
Même si le kampinod à la dalle, les alliés, tous deux professeurs des écoles, n’y entravent que dalle. A 9 ans, l’enfance douce s’abîme dans la tragédie, la perte de deux frères. Dès 15 ans, l’enfant de divorcés, pour oublier le pesant éther qui règne chez sa mère, entame les saisons en salle au restaurant Côté Jardin, sur l’Île-aux-moines. La relation humaine le captive, les fourneaux l’éblouissent, le Bar l’attire. Philippe VOYNOT, son premier maître, lui accorde sa pleine confiance : « Bien entouré, j’ai rencontré des gens extraordinaires, de bonnes personnes ». 
 
Le caractère brutalement forgé conquiert tout de même son Baccalauréat STT, option Gestion, à 19 ans. Le « paumé sans conviction » s’inscrit en droit, hanté par la pression parentale qui l’espérait juriste. Le grand-père paternel, force de la nature au tempérament bien détouré, ouvrier aux Forges d'Inzinzac-Lochrist, le tient et le soutient. En 2004, il se lance, sur le vif encouragement de son père, « son premier fan » reconverti en documentaliste à l’Ecole Nationale de Voile de Dinard, dans une mise à niveau en Hôtellerie-Restauration au lycée hôtelier de la station balnéaire de la Côte d’Émeraude. En 2006, il conclut un BTS option Arts culinaires de la table dans ce même établissement.
 
Le fervent du catamaran qui croit « au clin d’œil du destin » patrouille le globe en corsaire malouin des temps modernes. D’avril à août 2006, le chef de partie tournant dans un restaurant traditionnel anglais à Burnham-on-Sea perfectionne son apprentissage de la langue de Virginia Woolf. D’avril à Juillet 2007, chef de partie garde-manger et commis de cuisine à l’hôtel 4* Plein Soleil, en Martinique, il savoure sa chance. En Nouvelle Calédonie, l’ouverture d’un gîte avec sa compagne le familiarise avec les bestiaux de la ferme : « On tuait le cochon nourri aux mangues et aux avocats, on faisait du saucisson de cerf, les salaisons de viande ».
 
A l’Atelier de Jean-Luc RABANEL**, en 2007, le chef de partie recherche un cadre ou un recadrage, mieux, un embrigadement : « rentrer dans un moule, débrancher là-haut comme un bon soldat ». Il y rencontre un artiste méticuleux qui porte une vision pointilleuse de la désinence végétale : « Pour l’assiette aux douze champignons, nous passions des nuits entières à les nettoyer à la brosse et au pinceau, une horreur fondatrice ». A Shanghai, ensuite, entre novembre 2008 et novembre 2009, second auprès du chef allemand Stefan STILLER**, l’insaisissable futur Jeune Talent Gault et Millau 2021 s’initie aux sauces complexes.     
 
En 2010, le virevoltant second pose pied très loin, au Guillaume at Bennelong, le restaurant français de l’Opéra de Sydney crédité de deux toques au Good Food Guide. Aux côtés de l’iconique Peter GILMORE, il élève soudain son niveau de jeu dans l’association entre les fruits de mer, crustacés notamment et la puissance de la trame végétale. En 2011, l’ouverture de l’Atelier de Joël ROBUCHON** Champs-Elysées avec un Chef de renommée mondiale, qu’il admirait à la télévision enfant, le catapulte dans un paradigme à part entière : des techniques de fonds de sauces, des styles d’incorporation des ingrédients, une éthique du travail.
 
Romain LE CORDROCH aspire aux beaux étoilés de la capitale, la formation par les grands noms parisiens s’impose dans son parcours étincelant. Après un passage rapide au 2* Michelin Royal Monceau Raffles sous les ordres de Laurent ANDRÉ où il dirige en sous-chef un inconnu lambda devenu célèbre, Mory SACKO*, le survolté déboule, entre novembre 2013 et novembre 2014, en second de cuisine chez Christian CONSTANT* au Violon D’Ingres 75007. Cette brigade conçue telle une « machine de guerre » gouvernée par un membre du jury de Top Chef l’impressionne par son nom et son renom : « A cette époque, 90% des cuisiniers regardaient cette émission importante pour nos métiers, une découverte puis une évolution vers une starisation excessive parfois ».
 
En décembre 2014, l’impénitent voyageur s’évapore pour Saint-Barthélemy, dans les Antilles françaises, où il saisit le poste de Chef des Cuisines du Palace Cheval Blanc Groupe LVMH, croyant renouer avec son éblouissement devant les produits, les personnages et les paysages martiniquais. Las, « la cuisine au gros portefeuille » l’accable tôt. En novembre 2015, le chef exécutif au restaurant MaSa*, à Boulogne, ébauche l’expression de son écriture culinaire dans des assiettes en toute liberté. En 2019, il se révèle en « Chef de Cuisine » chez MUMI, dans une représentation artisanale, artistique et cosmopolite.
 
L’année suivante, il refuse une proposition unique de Jérôme BANCTEL** au Gabriel, à la Réserve Paris : « Je comprends que je ne veux plus rester dans l’ombre ». En 2020, l’engagé crée son propre établissement nommé « BVAN » qui signifie vivant et nature en breton. Le concept cristallise ses envies, ses humeurs, ses appétibilités dans le travail de la matière d’une fraîcheur extrême, un égard de l’animal mais également des producteurs auxquels il paie un juste prix afin qu’une économie durable existe. A 37 ans, le « gars d’ici » regagne le berceau : « J’ai toujours eu envie d’avoir mon adresse, ma petite table. J’ai retrouvé Cyrielle, connue en CM2, native de Larmor-Baden comme moi ».   
 
Par-delà cette émouvante histoire intime, le 3 Macarons Ecotable depuis janvier 2023 affirme un véritable talent dans une forme inédite et essentielle de naturalité globale : « Tout part de la terre. Je valorise la passion du légume plus jamais relégué au troisième plan. Un monde meilleur passera par la diminution de la protéine animale voire sa disparition ou son apparition sous une forme insolite. Par exemple, un jambon de daurade rappée sur une tombée de pleurotes à la réglisse ».
 
Foin des pièces de poisson entières et des trains de côtes de bœuf, le vannetais épure sans dénaturer pour prolonger grâce et finesse. L’hyper-localité que nous désignerons ici par le concept d’hyper-focalité implique un circuit-court jamais court-circuité. L’anti-gaspillage recouvre une philosophie éveillée de la vigie : recycler la peau du poisson pour la transformer en chips; récupérer les écailles pour les réduire en gomasio (sel japonais composé de fleur de sel et de graines de sésame grillées) breton; réaliser une mayonnaise iodée avec le jus des moules marinières.
 
Le prix de l’assiette végétale LEBEY 2020 pour ses « garganellis modernes de courge ancienne parfumés à la fève de Tonka, mandarine verte, satsuma (citron japonais) et crémeux à l’indonésienne ». De la pulpe à la peau, l’étoffe végétale brasille d’une impeccable diaprure jusque dans les gels floraux et herbacés qui transcendent la valeur hédonique des textures. L’explorateur dépêche ailleurs poivres, baies, algues ou épices avec une détonante dextérité. Loin de l’écologie tyrannique, le cuisinier larmorien insuffle une éducation quotidienne par un discours cohérent et conséquent : « Je mets un point d’honneur à la semaine du goût dans les écoles ».
 
Son articulation inouïe entre le terroir breton et les terroirs du monde dans un primat maîtrisé du condiment aboutit à un art culinaire jamais intellectuel mais toujours instinctif, une recherche infinie du goût. Le style ultra végétal, sain et radical de Romain LE CORDROCH réinterprète voire abolit la distinction nodale ténue entre inspiration et improvisation : « Ma cuisine spontanée devient immédiate dans son mouvement. Se faire plaisir dans une maison qui tourne, vivre avec une équipe fiable, une petite famille qui se respecte, voilà notre modeste ambition ».
 
Au BVAN, Romain LE CORDROCH chamboule par l’émotion de l’instant, une main libre sans filet : « Je veux faire des grandes assiettes avec des produits humbles, même avec du sucre de fourmi ». Au dîner estival, l’ouverture scintille : « tartelette marmelade de jaune d’œuf de la ferme de Trévero, espuma de lait fermenté et vanille bleue de la réunion ». La « galette croustillante/tarama au citron caviar » claque telle un hommage permuté à la topologie morbihannaise. Le « pain du brésil ail noir et anis vert » et « l’Huître de Larmor-Baden/tartare fenouil/espuma verveine/feuille d’huître et graine d’amarante » rafraichissent le bec fin.
 
Le premier paysage culinaire syncrétise une heureuse acrobatie aromatique stratifiée : « Relish (condiment réalisé à partir de légumes, de fruits et d’herbes cuits ou marinés) de concombre arménien/sardine laquée/poire de la Saint-Jean acidulée passée au grill/ glace à l’olive noire / espuma de Gwell (gros lait) ». La deuxième séquence outrepasse le trivial parangon du terre-mer dans un tourbillon tourbé-iodé : « Raviole spiruline de langoustine du Guilvinec/déclinaison de betterave/coulis de cassis fermenté/ baie de verveine ».

La troisième proposition natte le brasero nippon à la vallée fluviale qui étreint les terres maraîchères : « thon rouge de la Ria d’Etel cuit basse température puis grillé au barbecue japonais/feuille de courgette/espuma de géranium/cracker d’arête à l’origan/déclinaison de courgettes anciennes ». La quatrième clairvoyance chromatique chemine entre l’humus des champignons nobles, l’essence d’arbre et le potager : « Morilles et truffes blanches/jus de sapin/purée royale d’oignons/feuille de choux Kale/blé vert soufflé ».
 
Les ultimes codas suaves caressent la joue comme un embrun en son aérienne souplesse désaltérante : « Pamplemousse confit/sorbet d’Agastache/espuma chocolat blanc/fleur de sureau /chips de tapioca » et « Fruits rouges du Bono/Guacamole d’avocat/pain de Gênes/espuma de lait végétal/coulis de mûroise ».
 
 

BVAN

Dans son restaurant Bvan, Romain Le Cordroch est un chef breton engagé qui réalise une gastronomie contemporaine. Le restaurant...

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