PORTRAIT DE CHEF
Nicolas LE TIRRAND

Par Fabien Nègre
  • Nicolas Le Tirrand
  • Restaurant Sources poulpe
  • Restaurant Sources
  • Restaurant Sources rhubarbe
  • Salle du Restaurant Sources

Ploemeurois intense, minutieux sensible au lumineux sentier, Nicolas LE TIRRAND, à fleur d’algue iodée, sentimental océanique, de la source remonte aux sources pour une transmutation végétale brute animale, un touchant mouvement généreux, sauvage et pur.    

A Pleumeur, le 12 mars 1981, un mousse pousse un cri de commando marine. L’« enfant à calmer » secoue dans les nautiques. A cinq ans et demi, le surfeur du ballon rond, numéro 10 en Club départemental, résiste à l’ordre et aux ordres. La lignée respire la Bretagne. L’arrière-grand-père paternel, maire de Larmor-Plage, érige l’Hôtel EDELIN, un des premiers de la côte. Le gamin curieux visite le poulailler dans le potager de son grand-père maternel, charcutier à Caudan. Les dîners dominicaux grand-maternels le ravissent, surtout la pigmentation ocre presque rousse de ces œufs qui transforment en poème la texture épaisse des omelettes à la ciboulette fraîche et aux échalotes.
 
Dès huit ans, le marmiton improvisé présente un rare sens de la compétition. Le versant maternel découle droit de l’Argoat, terre intérieure boisée et forestière qui tranche avec l’Amor, le littoral. A Lorient, la mère, comptable bonne cuisinière et le père, expert-comptable, veillent sur le lycéen, chagriné triathlonien : « Je n’étais pas câblé ». En 3ème, les parents pressent l’adolescent polarisé sur la cartographie d’isoler une issue. A 15 ans, à l’Ecole Hôtelière de Vannes, au Lycée Jean GUEHENNO, l’apprenti tâtonne sous la pression paternelle : « Tu travailleras quand les autres feront la fête ».    
 
Comble de l’ironie de l’histoire, le débutant turbine ses extras au Quai Gourmand, dans son ultérieure demeure : « Dans cette brasserie, à la cave, je faisais cinq kilos de moules pour le samedi soir ». En 2000, le nouveau venu, au garde-manger, entame par un sommet fort marri de ne jamais l’avoir atteint, feu Jean-Marie AMAT**, au Saint-James. Le maître artiste raffiné de Bouliac, dans le bouillonnement, le civilise à une « cuisine humaine ». Il le dépêche illico, en 2001, dans une tout autre atmosphère, à l’Auberge Bretonne de la Roche-Bernard, en Morbihan, chez l’attachant Jacques THOREL**, figure elle aussi injustement oubliée par le rouge firmament.         
 
Là, à 20 ans, le jeune pâtissier à la boulange, dans la trépidante excitation d’une brigade à taille réduite, se forme à l’ancrage, entre bocaux et avant-garde. La bretagne traditionnelle revue et précisément rectifiée par le grand chef qui repéra Pascaline LEPELTIER se décline ainsi : soupe de moules et langoustines au Trichen (oseille sauvage), praires aux pommes et au thym, homard grillé à l’estragon, pâté de lapin.   
 
Le chef de partie chez Philippe LE LAY*, au restaurant Les Mouettes puis Henri & Joseph, à Rennes, retrouve un autre personnage qui le parachute dans le Groupe DUCASSE. Auprès de Christophe MORET***, au Plaza Athénée, il vivra un épisode « énorme » durant cinq ans, dix mois et quatre jours. La brigade le dispute à une écurie de Formule 1 : Jocelyn HERLAND, Kei KOBAYASHI, Dominique LORY. Le deuxième commis se mue en premier chef de partie : « j’aimais cette ambiance militaire, la plus belle école hôtelière ».
 
Fondamentaux ruminés, le cuisinier s’étoffe du turbot matelote, des homards et d’un « fantastique pigeon ». En 2010, le George V l’appelle en la personne d’Eric BRIFFARD**. La grosse machine happe le chef de partie, l’organisation l’impressionne. Les trois années suivantes, il se déplace à deux pas, entre 2011 et 2014, au 39V, chez Frédéric VARDON*. L’« exacerbé incontrôlable» rejoue ses gammes, prend ses marques. En six mois, à peine, il saisit le poste de « Chef ». Avec celui qui, en 1988, fut sous-chef d’Alain CHAPEL, il comprend la continuité et la direction d’équipe.     
          
Après ces prolégomènes de haut vol, en 2014, au Pavillon LEDOYEN, il croise son héros, Yannick ALLENO***. Il désapprend tout pour se hisser dans le monde des extractions et des fermentations, une façon si singulière d’architecturer une assiette. La sauce prévaut, en liant naturel et culturel. Le second du chef multi étoilé à travers le monde, par-delà les plats ou les recettes, adopte une façon de penser en toute rigueur et créativité.
 
Avec ce leader charismatique à la « fureur rationnelle » pour citer le juste oxymore de Pierre BOURDIEU sur Michel FOUCAULT, il vit sa plus belle expérience : « Je l’adore, il s’entoure de gars qui sortent de nulle part comme Martino RUGGIERI, il emporte ses chefs là où il veut, il prend des gamelles mais il les touche. En plein service, il redevient un apprenti au poisson, il se mouille ». Celui qui appartient aux rares privilégiés cumulant deux fois 3* le fascine par un « ris de veau extraordinaire déstructuré dans sa texture ». 
 
En 2018, le lorientais succède à Michel ROTH, au poste de chef de LASSERRE. En août 2020, la belle histoire de SOURCES éclot. Loin de la codification classique, Nicolas LE TIRRAND révèle l’animalité du végétal dans un style minéral et herbacé où plantes sauvages, vinaigres précis (sapin, lilas), huiles aromatisées se stratifient : « Le cuisine exige du temps et on n’a plus jamais le temps ». Des techniques longues de saumurage, de fumage, de séchage apparaissent des jambons végétaux, héritage hommage à ce grand-père charcutier qui savait transmettre les expérimentations puisées dans la nature.  
 
En 2022, sur ses terres, SOURCES, son propre restaurant, reçoit l’étoile. S’émanciper des sources engage un retour à la source dans la ligne tendue des algues, territoire de la mer. La rencontre d’un paysage culinaire et de l’écoute du silence floute la limite ténue entre la simple provenance et le produit noble : « On peut faire de l’extraordinaire avec un concombre, une betterave. La nature nous livre des trésors, à nous de tous les sublimer et de tous les respecter ».
 
Le tempo lorientais invoque un autre diapason, une inventivité de l’imagination : « Toujours brute, jamais brutale, ma cuisine ne cherche pas l’alignement de la perfection mais une expérience gustative. Je mets dans mes assiettes ce que je ressens qui ne se résume pas à un plat, un ingrédient ». Ouverte sur le port et le large, la marée et l’amarrage, la manière de Nicolas LE TIRRAND, toute de fraîcheur contenue et de pudeur tenue, montre un enjeu organique à la mer : « Je me baigne toute l’année sans combinaison. J’ai un rapport fusionnel à l’océan. Je serais orphelin loin de cette mer, cela me procure de l’apaisement ».
 
Le yogi méditatif aiguise son antinomie, exacerbe sa sensibilité expressive : « Je pourrai gravir des montagnes ». Dans cette phénoménologie ontologique de l’horizon marin, odeurs, couleurs et mouvements se répondent soudain en écho à cette féminité granitique. La tartelette de tourteau, sureau, Reine-des-prés élance le croustillant de céleri, crème de livèche, andouille de Guémené. Les Petits pois, œufs de maquereaux fumés, se parfument à la livèche. La Saint-Jacques à la vapeur de capucine enchante le chawanmushi (flan japonais), chou pointu au genévrier, sauce coraillée.
 
Les asperges blanches de la Torche cuites dans leur jus renaissent dans les cornichons d'asperges, sabayon à l'ail des ours. Le filet de rouget cuit à la salamandre, fenouil confit aux sarments de cassis, jus lié au sang dépasse les frontières marine et terrienne dans un geste de joie. La glace tagette, citron noir, huile végétale calme le kiwi cru dans une vinaigrette acidulée, brocoli au chocolat blanc, bonbon et crème glacée au kiwi.
 

SOURCES

Nicolas et Mathieu Le Tirrand ont ouvert leur restaurant Sources à Lorient. Le restaurant Sources détient une étoile...

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