Obélix vendéen sis à l’Opéra, ex cador sincère de la garde ducassienne, Christophe RAOUX, délicat décomplexé prometteur, rassurant promeneur enthousiaste, troisième ligne aile pétrie de sensibilité, à 38 ans, orchestre, depuis le 14 décembre 2009, une brigade symphonique dans un lieu symbolique. Nouvelles feuilles de gastronomie entre l’habitus repensé et la panse réajustée.
Dans son enfance bienheureuse, le robuste du « Café de la Paix » aspirait au barreau : «
J’aimais l’idée de la plaidoirie ». Rien ne résiste aux aïeux maternels qui bambochent autour de tablées où le voisinage accourt pour le rituel des menus tapuscrits. Le père chasse et pourchasse la venaison jusqu’au tranchant des saisons. Le grand-père maternel choie ses beaux morceaux dans sa boucherie vichyssoise, convoque les souvenirs de l’Hôtel Aletti Palace, vestige de la Belle Epoque. Dans l’agglomération yonnaise fondée par Napoléon 1er le 25 mai 1804, notre gamin assomme puis dépèce des lapins manu militari au sortir de l’école. «
Un peu de vinaigre dans le fond d’un bol, l’odeur des cuissons de civet de lièvre de mon arrière grand-mère sur la gazinière à bois, tout doucement ». Le chef de la fratrie, routier, apprivoise la cassolette. Les oncles jouent leur partition : Oustau de Baumanière, Hyatt dubaïote, Phuket.
A 16 ans, notre rink hockeyeur aux portes de l’équipe de France avec Jean-Marie AMAT, «
décide la cuisine » au lycée hôtelier Branly au cœur du bocage. Entre 1987 et 1989, le rude apprentissage du restaurant advient au Grand Saint Jean. Coopté par un oncle, notre commis de cuisine arrive à « L’ ECRITOIRE » à Châteauneuf-en-Thymerais. Deux années terrifiantes mais enrichissantes entre les sacs à charbon portés à dos d’hommes pendant le service pour ravitailler le fourneau, le lavage de la voiture du chef en fin de semaine, la garde de ses enfants. «
Une souffrance physique autant que psychologique, des pleurs tous les soirs avec l’étrange impression de ne pas comprendre ce monde si âpre ». En 1992, notre handballeur émérite découvre le Château de Divonne, conduit par le sémillant Guy MARTIN en partance pour le VEFOUR. D’emblée, la pâtisserie séduit notre avironneur junior.
En 1993, «
L’exceptionnel Michel DE MATTEIS », MOF91, dégonde l’esprit de notre futur compagnon: «
On se faisait cartonner mais j’en voulais, féroce sur toutes les strates de l’échelle de valeur ». Une confiance souveraine éclot sous l’aile de l’actuel chef du « Royal Palm » de Maurice. En 1993, introduit auprès du célèbre Commandant ALBERT, intendant de l’Elysées, notre pêcheur-chasseur s’essaye aux délices ministériels de la création des menus spéciaux. Il y noue de franches amitiés : Eric PRAT (Lameloise***, Chagny), Christophe BACQUIE (MOF2004, Le Montecristo**, Le Castellet). Notre demi-Chef de partie poursuit son éducation sur les longs becs. Ses parures de dilection. «
Le gibier est un art : lever les morceaux, les tailler ».
«
Paris semble trop gros » mais l’influent Commandant le dirige vers Guy LEGAY, chef du RITZ, une légende. «
La plus belle maison du monde pour un gamin». Impressionné par la stature de cette mémoire vivante des brigades parisiennes de prestige, cycliste chevronné qui forma une centaine de chefs jusqu’à sa retraite, en janvier 2000, Christophe RAOUX scrute le col «
bleu blanc rouge ». Il pénètre sous les ors et lambris de cette machine à produire des rêves et fabriquer des dieux le 1er septembre 1995 au titre de 1er commis. «
Extraordinaire. Un moment de pur bonheur qui dura cinq ans. Chaque jour, j’apprenais tous les postes, les extérieurs, les concours…». Notre «
Compagnon des devoirs unis » épouse la cause dans la foulée. Désireux de tous les globes, inassouvi de tout empoigner et de tout déchiffrer, aéré sur toutes les tournures du devenir, notre homme veut en découdre calmement.
Dans une vigueur d’exemplarité, il apprête son plat d’aspirant sur son dada : «
Cimier de chevreuil désossé, redressé sur os, sauce grand veneur ». Avec sa soupière en guise de pin creusé, ses garnitures miniatures, il décoche une mention presque maximale dans la perspective de son chef d’œuvre. Fervent, fiévreux et enfiévré, ivre de savoir, «
Il y a tellement de chefs admirables et de maisons merveilleuses à Paris », le directeur des cuisines de l’Intercontinental, va occire toutes les embrasures. «
Au flan ». En 1999, chef de partie, il passe au réputé « JAMIN », échange avec Benoît GUICHARD. Stupéfait par la salle, la cuisine et le calme de Bernard PACAUD, entre œuf caviar et langoustines fraîches, il achoppe in extremis à l’avantage de Jérôme BANCTEL, aujourd’hui au Senderens. Remonté et survolté, «
je veux toujours évoluer, plus loin, plus haut », notre amoureux du giboyeux et de l’art de la truffe officie, durant trois ans, chez Gérard BESSON**, «
Un grand Monsieur top ». La caresse des sous-bois remonte à la surface : le lièvre à la royale.
Par amour du métier, notre compagnon transmet le savoir des techniques pour les «
gamins qui arrivent ». Après le service, le fils DELAVEYNE lui conte, son père Jean, le «
sorcier de Bougival », MOF52, «
démon de l’invention » qui transporta le «
Tout Paris » et son « Camélia » tambour battant entre la salade du Manouche et le civet de langouste. Notre chasseur de thon thaïlandais de conclure avec son regard scintillant de régal : «
je voulais prendre le savoir de toutes les maisons du monde, j’avais tellement peur d’en laisser ». Ambitieux, il rêve d’atteindre «
le monde de Monsieur DUCASSE », dépose son résumé de parcours au PLAZZA, à l’attention de Jean-François PIEGE. Sans réponse durant de longs mois. Un jour de 2004, le thaumaturge bondit : «
Alain DUCASSE, en personne, m’a laissé un message sur mon mobile et je l’ai conservé très longtemps ».
Tous les livres du maître de la Riviera absorbés en une poignée de jours, «
surexcité de 30 ans », Christophe RAOUX rencontre, face à face, le PDG du Groupe AD, dans son étroit bureau encombré de livres, derrière le lumineux Palace. «
Dictionnaire amoureux de la cuisine » en poche, notre déménageur au cœur tendre ouvrira immédiatement le restaurant « LE MARCEL » (Publicis Drugstore) avec Alain SOULARD. «
Je façonne mon monde ». Au bout de deux ans, le Chef monégasque gascon aux neuf étoiles, avare de panégyriques, afin de le retenir autour du concept «
partage /commerce équitable », goûte 33 plats lors d’un dîner mémorable où il le cloue à la table, yeux dans les yeux : «
Tu maîtrises tout : le moelleux, l’acidité, l’assaisonnement. On se reverra un jour ». Christophe RAOUX encense toutes les facettes de la 94ème personnalité la plus influente du monde : «
Extrêmement généreux, d’une ouverture d’esprit exceptionnelle, un admirable manager pour une réussite mondiale. Monsieur DUCASSE apporte un style démocratisé dans l’esprit d’une atmosphère ».
En 2005, notre compétiteur VTT rejoint un autre personnage inoubliable : Guy KRENZER. «
Exceptionnel alsacien de l’école de la rigueur, deux fois MOF, charcuterie traiteur et cuisine, un génie fabuleux de toutes les cuisines, respecté, humaniste. Immense. Ma vie, mon parcours, tracés par mes chefs, mes rencontres ». «
Responsable de la cellule développement » du Groupe LENOTRE, notre «
cochon dans un champ de maïs » (dixit son épouse, Julia, aux grands évènements) passe toutes les positions. «
Du bonheur en barre ». Coupe du monde : 10 000 couverts, 60 000 coques de chocolat glacées, boulange jour et nuit. Gagner la confiance, intégrer une équipe ne va jamais de soi même si Patrick SCICARD, président du Directoire et son excellent adjoint, Laurent LEFUR, le poussent dans le dos.
En 2006, l’ombre hors de portée du père ne guérit pas. Notre affectif challenger accepte le poste de «
Chef exécutif » du Groupe AD. Combat compliqué de Chefs, lutte complexe pour la consécration. «
Quitter KRENZER, un drame du respect ». Christophe RAOUX pratique toute la diversité du métier : le gastronomique, le banquet, l’hôtellerie de luxe. En trois tours du monde, formé par les ADURIZ et autres BERASSATEGUI, il réalise des ouvertures mémorables : « BENOIT New-York », « Dorchester Londres », « Le Jules VERNES », « RECH », « AUX LYONNAIS ». «
Aucun chef n’offre mieux ». Dans la continuité, après quatre années, notre amateur de la proximité de la nature, passe son chef d’œuvre de compagnon : «
Le plat interdit : lièvre à la royale, pinçons, bécasses, ortolans, grives de vigne ». Esthétique, philosophique, gustatif, cet exercice de style symbolise la moelle subtile de sa route. Le référent paternel et la transgression absolue. Brochets, sandres, gardons, anguilles, des journées entière de pêche à l’étang et de fleurs des champs. Des jardins presque sauvages dans les potagers estivaux de l’enfance auvergnate. La cueillette des framboises de l’adolescence.
Le 14 décembre 2009, Christophe RAOUX parvient au Café de la Paix. 14 sous-chefs. Deux bras-droits : Emmanuel JERZ, Frédéric GARDETTE. Rigueur et gestion, cuisine et mêlée. Une brigade de 130 personnes dans un maelström de défis pour livrer 3000 couverts quotidiens. «
Double entorse aux genoux, je reviens parfois avec une minerve, je vais au caramel, des yeux au beurre noir, teigneux, je ne lâche rien ». Dans une grande maison, la «
fidélité du devoir » prend sens. Les premières asperges d’HUGUENIN, la salaison ébouriffante de Pierre OTEIZA, ses petits cochons de lait de 25 kg entièrement désossés à la main. «
Une cuisine de cuisinier. Le produit pour le produit. La joie de travailler les saisons. Une cuisine simple hors des sphérifications. Je ne déstructure pas, je varie. J’évolue, je décline dans l’esprit cuisine épurée. Je veux écosser des petits pois, je fabrique des béarnaises et des hollandaises dans l’apesanteur des fonds. Trop de mélange tue le mélange. Je ne vais pas jouer les Adria, je travaille finement les classiques de la modernité ».
Le Chef qui dialogue avec son pâtissier, Dominique COSTA, crée des banquets, à la manière de
Banquet de Depositphotos pour le monde entier dans le souci d’allier la manière française et des produits d’altérité pour renouveler notre curiosité. Entier, constant, loyal, toujours d’une belle humeur probe, il accorde une confiance infinie «
à ses gars, son noyau ». Quand le ciel vire charbon, il promène son petit bonhomme, Léon, 22 mois, sur les bords Marne en compagnie de son épouse. Avec ses copains du rugby, il coupe du bois au fond de son jardin. Tout le stimule : les formes de cuisson, la technologie, l’écoute. L’humilité de la patience, les desseins du parfum et de l’odeur du temps pour des assiettes vivantes, du museau au gibier, de l’humus à la forêt. Le rythme du melon, le cycle des éthers. De la fraise à l’orée du printemps, des pommes de terre de l’île de Sein. Une fougue, une pulsion éprise, une énergie tournoyante, «
trop parfois ».
Le nouveau chef du Café de la Paix, charmant, traque le goût : «
L’émotion de la mémoire olfactive se situe dans un lièvre à la royale comme un poulet rôti avec du pain dans le cul ». Le client fait sens dans une autre dynamique mondiale de l’environnement. La réponse aux signaux se nomme œufs bio, acérola ou cerise des Barbades. Une autre idée du bien-être dans le fruit et le légume. «
Mon plaisir commence intérieurement, quand j’arrive, que mon équipe sourit ». Christophe RAOUX, sans aucune prétention de création, bien dans son époque, nous ouvre «
des émotions positives, une émulation, une osmose. Heureux de venir le matin ». Il sait la phrase de TALLEYRAND : «
c’est autour de la table que se traite les plus belles choses de la pensée ».