PORTRAIT DE CHEF
Jean Guidoni

Par Fabien Nègre

Jean-Frédéric GUIDONI, jadis premier maître d’hôtel du naguère mythe TAILLEVENT, 45 ans, corse pondéré natif du 14ème, une enfance sur la rive du canal Saint-Martin, dirige JEAN.

Dans le 10ème à 10 ans, aux abords de l’aqueduc, Jean-Frédéric GUIDONI, pater corse, mama italienne, ressent un «métissage explosif». La passion de l’altérité, la saveur du savoir autour de la planète l’enfièvrent. Dès 12 ans, la langue britannique s’apprend, pendant la vacance estivale, dans la famille (Angleterre, Ecosse), se délie dans la distillerie. Chez les Jésuites, aux «Franc-bourgeois», rue du Faubourg Saint Antoine, le football se pratique place des Vosges, sur la terre encore battue. Le sport au corps à corps. Judo : championnat de France de Coubertin. La mère, chef comptable dans une société de tissu, le père, croupier au Casino d’Enghien-les-Bains «comme tout bon corse», aiment à recevoir. Jean-Frédéric GUIDONI observe «les gens et les réactions des gens» à la mémoire de son grand-père, propriétaire d’un cercle de jeux, le «Mikado Club», boulevard d’Ornano. Tout un folklore que le père déjoue.

A 16 ans et demi, l’école privée exulte de notre sautillant jeune homme pour une initiation à L’Archestrate, chez Alain SENDERENS. «Mon père avait un réseau». L’immense défricheur de la cuisine contemporaine, labellisé trois galons, secondé par Thierry COUE, impressionne tandis que l’enfant de la forêt de Bonifat vise «pilote de ligne ». «La passion Senderens, une bibliothèque de folie, des outils incongrus en salle. Tout le personnel dégustait les essais. Canard Apicius. Homard à la vanille. Un bonhomme sur sa planète et dans sa cuisine. Un artiste chef d’orchestre et une grande dame, Eventhia». Sa généalogie le rejoint nonobstant. Il dresse, mijote avec sa grand-mère, originaire de Padoue. Elle le soignait entre 3 et 8 ans, à la campagne, à Château-Rouge Cauvigny (Oise). Raviolis à la main inoubliables, poulets de plein champ, pâtes aux œufs ultra frais, pulpeuses fraises du jardin, petits pois nimbés de rosée.

«De belles années, de grandes années». Jean-Frédéric GUIDONI se plonge dans l’Espagnol. En 1981, il sort de l’Ecole Médéric option salle pour rentrer chez TAILLEVENT sur la recommandation de Didier BUREAU alors sommelier de l’Archestrate. «Je fabriquai ma carte de visite». Nappes bordées, services en vermeil, argenterie, le grand jeu. Christian FILIPPO , directeur de salle «à l’ancienne», préside, en ce temps, aux destinées de la Maison de la Famille VRINAT. Notre amoureux de la Balagne y cultive sa passion du vin, consolide ses découpes au guéridon des canards et des pigeons. «La recherche de la croisée des chemins entre les saveurs d’un mets et les arômes d’un flacon ne lasse pas de fasciner». Vingt ans dans l’hôtel particulier de la rue Lamennais laissent bien plus que des souvenirs. Un chef historique, Claude DELIGNE ; une clientèle cosmopolite de classe internationale. «Un jour de 1996, j’ai admiré Mikhaïl GORBATCHEV monter l’escalier central sous une standing ovation».

Une leçon d’humilité aux côtés de Philippe LEGENDRE. L’actuel propriétaire du restaurant JEAN* conserve des trésors en sa créance : l’investissement humain afin de pérenniser une adresse, les hommes qui subliment leur nature, «un métier de métiers». Raison dans l’histoire, l’établissement du classicisme pensé à la fantaisie calculée trônait en tout premier lieu au 46, rue Saint-Georges 9ème, à quelques mètres de JEAN*.

Au TAILLEVENT, la technique oratorienne prévalait. Des bribes d’informations filtraient «pour approcher les clients et les tables». Toute une philosophie de vie entre suppléance et subsidiarité : commis débarrasseur, commis de suite, commis de rang, demi chef de rang, chef de rang, assistant maître d’hôtel, maître d’hôtel, premier maître d’hôtel. Nul directeur de salle, seul «Monsieur» VRINAT régnait en «Grand Chambelland». Jean-Frédéric GUIDONI s’instruit : regarder le client, maintenir sa prestance, tenir son rang. Une attention, une intention.

De cette mécanique implacable de 49 personnes, de cette petite cuisine au «bout d’un couloir sans fin», du seul trois étoiles de France sans sommelier, notre précoce maître d’hôtel de 24 ans (!) tiendra un art singulier d’«approcher une table naturellement car s’immiscer dans une conversation n’est pas chose aisée». Savoir jaillir de toutes les situations forge un style. Sérieux, compétent sur les fromages et les vénérables spiritueux mais encore les typicités des vins maîtrisées grâce aux 500 000 bouteilles des caves, GUIDONI, d’une délicate présence invisible, fluide et ferme, travaille à éveiller. Du pain, du vin, de l’allant, de l’allégresse.

En 2001, avec son épouse, Delphine, décoratrice et ancienne secrétaire de Jean-Claude VRINAT, il ressent le déclin d’un certain canon de restauration. Le navire iceberg Taillevent mue en «marque à pérenniser».

Après la naissance de son premier garçon, Victor, et une expérience canadienne inachevée à Toronto, en juin 2001, le restaurant JEAN voit le jour. Jean-Frédéric GUIDONI recherchait un lieu pour accueillir les clients Taillevent, un quartier avenant, un loyer abordable, un beau volume. Manquait un chef talentueux : Benoît BORDIER, recommandé par Jean-François ROUQUETTE. Antony BOUCHER lui succède en 2008. Puis Attillo Marrazzo dirige la cuisine depuis novembre 2011 et nous bluffe avec de brillantes réalisations.

Le propriétaire de vignes en Balagne rêve de son cru composé de Niellucciu et Sciaccarellu en vente sur son livre de cave en hommage à son père né à Calvi. A l’étage, il souhaiterait aménager une belle salle, un bar et une terrasse pour amateur de vitoles. Alexandre (sept ans et demi) et Paul (six ans), surveillent sa bonne étoile.
 

Jean Guidoni

Remplacé pendant l'été 2017 par The Yacht Club. Remplacé par Les Niçois ( fermé en 2021). ************* Repris en 2001 par...

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