Depuis 1968,
Flora MIKULA, courageuse rageuse révolutionne son monde. La blonde polonaise et nîmoise pratique la féconde tentation sudiste des paysages. « AUX SAVEURS DE FLORA », écrin singulier en face d’un Palace, la joie du goût explose. Au mitan du Triangle d’Or, la flamboyante Flora entonne notre étonnement.
Dans la famille MIKULA, «
tout est dans les mains ». La sœur, Linda, sortie des Beaux-arts de Montpellier, crée des bijoux, le père bricole sévère. Sa mère, qu’elle perd très jeune, à 9 ans, reçoit souvent dans une espèce de convivialité métisse méditerranéenne entourée d’amour. A Montfavet, un village perdu dans la garrigue et célèbre pour son hôpital psychiatrique, les familles s’attablent dehors. Dans ce quartier formé d’une vingtaine de minuscules maisons collées; Corses, Pieds-noirs, Bretons, Italiens grandissent ensemble «
au bout de la rue ». Ils organisent la crèche multi ethnique fervente des méchouis de l’enfance heureuse. Le papa, professeur d’électricité à l’AFPA, au Pontet, ne «
sait même pas cuire un œuf » mais il aime ses deux filles, les ballades en caravane, courir les tables (vietnamiennes, chinoises, italiennes…). Le rituel asiatique du nem, des mangues, des litchis forme un plaisir inouï.
En 1977, Flora MIKULA déguste les saveurs jouissives de ses deux grands-mères dont une lorraine même si la période aoutienne paraît aride : «
A quinze ans, en plein été, quand tu passes tes vacances estivales à Lunéville, t’as les boules, une horreur absolue . ». Dès 12 ans, Flora MIKULA «
fait à manger à son père ». Les balbutiements : couscous, paellas et autres crêpes. Entre la banlieue avignonnaise et la fête nîmoise, l’Ecole Hôtelière prohibe les jeunes femmes. A la fin de la troisième, d’un père polonais militaire de carrière (Indochine, Afrique) et d’une mère lorraine, le «
garçon raté » ne bronche pas. Elle veut en découdre, elle désire la cuisine corps et âme. A 15 ans, la directrice de l’Ecole lui soutient qu’il n’y aura pas de femme. Elle insiste, persiste, signe. BTS : salle, cuisine, œnologie. Les premiers mois de sa scolarité, les professeurs, tous anciens chefs, les testent durement. «
En six mois, je me retrouve première de la classe ». Celle qui deviendra la turbulente méridionale des Champs-Élysées touche «
une matière, un monde ».
Alors qu’elle peste «
contre tous les blaireaux qui transitent par la principauté monégasque », Flora MIKULA observe le ballet des Rolls Royce bleu turquoise devant le Louis XIV. Avide de tous les défis, ambitieuse sans complexe, elle certifie à son papa «
qu’un jour, elle dînera dans ce restaurant ». «
Vivre dans un monde de luxe et d’argent » ne lui pose aucun problème. Après Christian ETIENNE, en 1986, elle accourt à Londres. Elle y croise une multitude de chefs français dont Michel SARRAN. A cette époque, personne ne parlait anglais mais l’art de la cuisine s’apprend en France. Seul Jean-Michel LORRAIN la parraine afin d’entrer dans le circuit de la grande gastronomie. Jean-Pierre VIGATO l’embauche aux côtés de David VAN LAER. Si originale, à Saint-Barthe, au « Filao », elle officie le jour dans un « Relais et Châteaux » et la nuit dans une boîte. Ainsi se dévoilent les paradoxes de Flora. A 23 ans, des nuits tropéziennes du « Chardon Bleu » à Saint-Maximin aux rencontres newyorkaises avec Bruno PAILLARD et Benoit RIPERT du « Comptoir » aujourd’hui « Absinthe », Flora MIKULA ne craint rien.
«
Je vis dans un monde viril, je ne vis pas dans un tiroir ». Son entourage plaisante : «
il lui manque une paire de couilles pour être un mec ». Il suffit de rencontrer la « Chef de l’année 2009 au Pudlo », pour appréhender l’inverse, une élégante gourmande qui vit, brule, risque. Déterminée, joueuse, elle abhorre l’échec, les ritournelles et autres forces de l’habitude. Humble, pertinente, elle anticipe le client qui trouve, retrouve. Elle affectionne la couleur violente, la lumière tranchée. De son passage escarpé dans des maisons ou comparaison vaut raison, où une femme, plus que tout autre, doit montrer et démontrer, notre chef en mouvement, amoureuse de la mode, retient des chocs de contraste, des classiques réinventés par altérité.
Oeufs aux truffes et tempuras, du curry rouge au lièvre à la royale, du gratin de cardon aux assiettes ensoleillées, des cantines japonaises aux bistrots de copains saucissonnés, entre audace et féminité, Flora MIKULA élabore une sorte de fraîcheur des saveurs dans une caverne d’Ali Bab. Son accent rêveur du midi, ses yeux bleus presque norvégiens ne l’éloignent ni de la « pâtisserie cuisinée de restaurant » dans laquelle elle perçoit le « Fleuron français » ni des médias qui ont tôt fait de repérer ses talents. En 1996, ancienne seconde remarquée d' Alain PASSARD, lorsqu’elle crée « Les Olivades » (75007), une petite révolution parisienne provençale s’annonce. Les abats font péchés gourmands. Force et puissance, texture et produit. Le « Ris de veau » dégage une physique. Flora MIKULA porte, fait rare dans les cercles gastronomiques, un regard extrêmement clairvoyant, émouvant, sur son métier que d’aucuns « starise » : «
La cuisine, c’est léger mais c’est mon gagne-pain. Ephémère comme des papillons. Un loisir, un divertissement, inutile. Beaucoup de gens vivent très heureux sans aller une seule fois dans leur vie au restaurant. ».
Son homme,
Raphaël, dirige la salle. Son fils, Stanislas, 8 ans, adore la truffe. Une question d’éducation. Son art, tantôt tourné vers l’Asie, tantôt orienté vers les pays slaves, regarde «
les produits du moment qui sortent tous les mois de la terre ». Des équilibres de textures (mou, croquant, cuit) aux approches de températures (chaud, froid, brulant), la manière Flora MIKULA suggère les métaphores du voyage. «
Un menu ne va pas crescendo mais en montagne russe. Je monte, je descends. Je vis l’instant.». Chaque plat matérialise un moment de jouissance à part entière sans tabou. «
L’orgie et l’ascèse en permanence. Je vais de l’avant dans la nostalgie. Quand je parle d’un nem, j’ai les larmes aux yeux. Quand je coupe la peau d’une mangue, je pense à mon père. Le dimanche, je rôtis le poulet à la manière de ma grand-mère avec des grosses gousses d’ail qui cuisent toute la matinée ».
Avec ses amis beaux gosses Bocuse d’or ou d’argent, elle goûte tout entre Nord et Sud mais elle avoue que l’art de la table ne culmine qu’en Europe, pas aux Etats-Unis. Elle joue avec la sensualité raffinée des saisons et des fêtes. Flora MIKULA, en femme coquette et enjouée, voudrait simplement dîner après l’amour. Une fin de semaine chez Didier ELENA tourne encore dans sa tête, qui tournait au champagne des après-midi entières dans les arbres. De ces faramineux fragments, un mets ébouriffé survient quelques ruisseaux après, une aubaine, une aubade : «
ris de veau au fenouil confit, anis étoilé et safrané ». A Reykjavík ou à Copenhague, elle hume le légume, «
un gros cabillaud dans un jardin ». Le gargouillou la transporte au plafond du ciel. L’invention du produit à l’instar du «
Genius loci », Alain PASSARD. Comme un poisson hors de l’eau, qui se souviendra d’un seul plat. Truffe ou Caviar, le fin du monde. Engouffrés dans nos passions, nous dévorons, nous débordons.
Les Saveurs de Flora.
36, avenue George V - 75008 Paris - Tel : 01 40 70 10 49
Le restaurant de Flora, Les Saveurs de Flora est fermé depuis le 28 mai 2010.
Flora est depuis juin 2012 à L'AUBERGE FLORA - 44, boulevard Richard Lenoir - 75011 - Tel : 01 47 00 52 77