Des montagnes de Honshu, à Tomi, le 16 août 1981, survient un enfant du pays du soleil levant, calme et courageux. L’horizon maritime absent, seule trône la profondeur majestueuse des forêts. Les parents, propriétaires d’un petit garage, aiment, en becs fins passionnés, dîner presque tous les soirs dehors. « J’aime le restaurant, comme une famille et un concept ». Acte rare dans une région où la cuisine se goûte d’abord dans les demeures. Les grands-parents maternels sarclent leurs jardins de fruits séminaux et de légumes diaprés.
L’œuvre des champs accouche de moultes mémoires : « J’ai le souvenir de l’odeur des pommes, de leur jus naturel ». Entre 9 et 17 ans, le baseball l’embrase. Le troisième base, blessé, renonce, la mort dans l’âme, à sa carrière. L’adolescent bon élève songe à une charge professorale. Il rêve du tableau noir d’instituteur pour l’amour de la transmission d’un savoir. A la télévision ou dans les livres, le jeune homme aiguise son goût pour les aliments et surtout s’émerveille de gastronomie française.
A sa majorité, poussé par le désir de regagner la mégapole nipponne, il part pour Tokyo où il intègre la prestigieuse école hôtelière « MUSASINO » pour un an. Un voyage scolaire en France le transforme. « Je voulais sortir de la campagne, voir un grand restaurant de pure tradition française dans la capitale ». Un passage de sept ans chez OSAWA, établissement tokyoïte réputé qui ferma ses portes en 2019, forgera sa solide culture technique. « J’y ai appris la croquette de caviar, la langue de bœuf mijotée, les huîtres chaudes gratinées au champagne et à l’orange ».
En 2008, le maître de l’aubergine qui veut saisir le seul instant présent de la joie s’installe à Chalon-sur-Saône, dans un restaurant de spécialités bourguignonnes. A sa grande stupéfaction, en prodige appliqué, il connaît déjà tout. « C’est dommage de presque tout savoir. Je voulais apprendre tous les niveaux de la cuisine française ». L’éco-conscient musical à l’étonnement espiègle risque une remarque sincère mais toujours respectueuse qui illustre bien sa vision culinaire : « Il y avait trop de cuisine, dans la française et la japonaise. La cuisine classique comprend trop de préparation ».
En 2009, Bertrand GREBAUT, alors à l’Agapé (75017), l’invite d’emblée à le seconder. « Là, j’ai appris la cuisine nouvelle de l’évidence, des épices, des piments mais aussi des fruits dans les plats, une autre façon de dresser ». En 2013, l’ambitieux natif de la province de Nagano ouvre son propre établissement intitulé « Etude » en révérence au célèbre pianiste français d’origine polonaise. L’art culinaire, pour l’amoureux de la symphonie, frise l’art musical dans son enquête sur l’euphonie chopinienne. La consonnance relève d’une quête résolue de l’absolu.
Avec la suite végétalienne, l’étoile brille en 2018. La dégustation dessine cette libre improvisation qui compose des intensités. « Les saveurs forment des sons, l’acidité monte dans l’aigu, le gras joue les basses ». Ce déroulé débridé déplie une composition lors même que le processus de création tient dans sa cérébralité. « Ma création est d’abord dans ma tête pour transmettre de l’amour et de la passion ». Aucune recette, nulle anticipation du délice, l’équilibriste, dans un temps ramassé, sur sa minuscule scène, devant ses convives, dévoile sa respiration inspirée dans la dangerosité du présent.
La carte blanche, page immaculée, pourrait s’ombrer à chaque instant mais elle éclaire une philosophie ultra locale du lien cordial voire amical à la fois avec tous les petits producteurs et avec le visiteur dans un esprit essentiel de concordance dialectique qui éprouve la force du lien et approuve le lieu du lien. Le produit présente un visage mais s’efface dernière la nature de la relation. Avec ce grand dialogue s’avance une remise en question et une mise en réflexion : « Que peut-on vraiment apporter aux gens, quelle est notre contribution fondamentale à ce monde ? : rassurer, réconforter, envelopper ».
Transparent et ouvert, le chef de la rue du Bouquet-de-Longchamp encourage ses hôtes à visiter les fermes environnantes pour voir les productions qu’ils dégustent. La dilection de Keisuké YAMAGISHI va au pinot noir. « Le Bourgogne est le meilleur vin pour nous, finesse, délicatesse, puissance, raffinement, élégance. On est tous des détraqués des climats. Nous aimons les mono cépages et l’homme qui vit dans sa parcelle. Nous acceptons l’effet millésime, l’irrégularité des années ». Dans la conscience intime de la temporalité du menu, le temps symbolise un assaisonnement.
Le produit disposé engendre des accords, une pensée des saveurs. L’essai s’évanouit. « Le premier est le dernier ». Dans cet équilibre si fragile, une saveur survient dans une matière, chaque fois différente. La texture se décline en bouchées. Le goût incarne une note, une visualisation d’imaginaire. « Les cuissons sont des méditations, des lignes d’horizon. J’observe finement les expressions des visages comme au théâtre ou au concert. Je perçois le temps, vois les dispositions des attablés. Ma cuisine suit la joie ou la tristesse du public ».
L’étude, épure sans cesse refondée dans sa différence et sa répétition, réfère à une recherche méticuleuse, ritournelle rituelle, acribie d’une intériorité approchée et toujours lointaine de la substance. Cette exigence tendue vers une totalité excède tout sens. La brioche beurrée, prémices d’une pâtisserie salée, incarne ce pain irréel d’enfance qui nous étourdit dans son réel suave. La galette de sarrasin escortée d’un œuf bio se mêle à la tomme de vache au lait cru, s’entremêle au basilic pourpre.
Courgettes, betteraves, concombres, huile de lin, crumble de drêches et siphon de quetsches tissent une subtile suite végétale. Le filet de pintade résonne avec les aubergines et les noisettes dans une sauce pomme échalotes et coriandre. Le lait glacé au géranium rosat trouble le dernier interlocuteur. La crème fouettée couronne la tarte aux mirabelles. « Il n’y a rien, juste le vide ».
Photos 1 et 5 : Patrice Jacquemard - 2, 3 et 4 : Erika Colin.