Aborde le 6 août 1995, à Nantes, un mousse qui ne tique pas d’une lignée d’armateurs maloins. Par abrasion du lieu-dit, Saint-M’Leux s’abeausit en Saint-Malo. « Je dois mon apostrophe à une tache de mouche sur les papiers de l’armée de mon grand-père ». L’enfance folâtre à Trentemoult, ancien village de bateliers qui s’éloignent pour le hareng. La grand-mère maternelle l’affilie aux hiéroglyphes dominicaux d’un plat de fête, le turbot sauce hollandaise : « Un poisson sauvage entier réconfortant et généreux, la gélatine du turbot, les pommes de terre juste cuites à l’eau, un équilibre dans la douceur ».
La mère, architecte, auteure de son embarcation, native de Plozévet, au Sud de la Pointe du Raz et le papa maloin, ingénieur en construction navale, voguent avec aisance dans l’art de la cambuse. Ils n’apprêtent que de nobles poissons dans des courts-bouillons parfumés; lieu jaune, bar en croûte de sel aux goémons : « Une belle cuisine familiale ». A 14 ans, le saxophoniste de jazz néophyte réalise son stage de découverte dans l’institution de la ville, L’Atlantide* : « La maison des cérémonies familiales, la table des beaux produits de la grande cuisine française avec des viandes, des sauces. Jean-Yves GUÉHO sortait nous saluer, le rêve de veste blanche ».
L’adolescence nantaise du deuxième ligne aile se déplie dans une forme gracquienne. Le caboteur, sur le voilier parental, sillonne le Golfe du Morbihan jusqu’à Audierne. Rien ne l’incline à la cuistance lui préférant la pêche aux maquereaux, la chasse-marine ou le surf. Pour ses 16 ans, Olivier BELLIN, à l’Auberge des Glazicks**, à Plomodiern, trouble le sensible : « Des goûts étonnants, un cromesquis de coque avec son jus, un dessert framboise basilic. Je comprends que la cuisine peut aller loin ».
Enturbanné d’un baccalauréat scientifique avec mention, « bercé dans le créatif », le majeur oscille entre le design et le goût. Son demi-frère publicitaire, à Londres, l’incite. Ses parents le fortifient. « J’avais un désir d’excellence sans pression ». Entre 2014 et 2016, le nouvel arrivant parisien qui ne connaît que la mer boucle sa formation accélérée : CAP (Pâtisserie et Cuisine), BTS Restauration à l’Ecole FERRANDI. Il rejoint THE LEDBURY** à Londres.
La cuisine de Brett GRAHAM le méduse par sa modernité, son ouverture détendue, des huiles à l’extraction végétale en cheminant par des cuissons fumées. Soucieux d’architecturer ses fondations dans la tradition française, il séjourne chez Arnaud PITROIS, au Clos des Gourmets, avenue Rapp. Cet ex-second d’Eric FRECHON lui catéchise le lièvre à la royale, premier pas dans la grande gastronomie : « La rigueur d’un grand-veneur, heureux d’avoir connu l’ancienne école ». Chez TAILLEVENT**, avec Alain SOLIVERES, en 2016, il s’exerce aux tourtes, aux feuilletages de pâtissier, aux mystères du mystère.
Le jeune homme qui aime « la quête de la mise à l’épreuve » n’omet pas le « fast casual vegan » et le « gluten free » au YEM’A Paris. Désireux, en 2017, d’aborder les bases sucrées et notamment le dessert à l’assiette, il rallie la pâtisserie centrale de Michael BARTOCETTI, à L’ABEILLE** : « Génial dessert aux algues et au miel ». A toute allure, comme si ce chemin déjà éclairé ne suffisait pas, il devient demi-chef de Partie auprès de Christian LE SQUER***, au George V.
« Une vraie cuisine d’auteur qui me parle, trois étoiles pour la première fois : des dressages, des textures impossibles dans le salé, opalines, gavottes ». Contre toute attente, le finaliste du San Pellegrino Young Chef 2019 Australie Pacific s’envole pour son premier poste de chef-adjoint afin d’aérer encore plus ses neurones, sortir du « carcan français de respect des règles ». Au Restaurant URBANE, à Brisbane, sous la direction d’Andrew GUNN, un autre monde lui écarquille le regard. De la fusion aux techniques de fermentations coréennes, des produits rares aux influences japonaises et sud-américaines, des piments aux textures carnées inconnues, tout le sidère.
A Sydney, l’année suivante, le chef de partie viande au Restaurant QUAY, aux côtés du Chef Peter GILMORE, découvre le père « bluffant » de la nouvelle cuisine australienne : des goûts grillés, la complexité d’un champignon fermenté sur du foie gras. « Le grand restaurant du pays, sa technique brise tous les codes, fait fi de toutes les règles. On faisait un jus de pieds de cochon fumés, cuits cinq heures, avec des ailerons de volailles rôties, des algues et du pata negra, un énorme bouillon clarifié réduit à une concentration presque sirupeuse à la saveur umami ».
Depuis janvier 2021, le créateur de « Nu Glace Nature », un concept de glace bio artisanale au lait cru, Chef de cuisine de la Villa9Trois, cueille ses herbes, récolte son miel, ramasse ses œufs tous les matins. L’admirateur de Pascal BARBOT n’utilise pas le mixeur, cette facilité de cuisinier, mais préfère étudier les complexités labyrinthiques d’un produit pour le sublimer dans une perspective nippone.
Ce calme troisième prix au Challenge International Exhibition "Pré dessert et dessert à l'Assiette" 2017 qui ne se lasse pas de se confronter pour « être dans le vrai », attaché au savoir-faire français des jus et autres consommés, rêvait d’une maison de Chef, d’un lieu inspirant. A Montreuil, dans une institution au supplément d’âme, l’ancien chef à domicile qui s’amuse exprime toute sa technicité et son inventivité. Les sauces, condiments ou assaisonnements se muent en garniture : « Christian LE SQUER m’a appris le plat. Je veux faire des plats, une cuisine de produit qui l’emmène dans un endroit où il n’a jamais été. La complexité dans la simplicité ».
L’ex-consultant du Bar THE CATS MEOWS, à Sydney, invente son univers à la façon d’un Dan HUNTER à Maison BRAE (Birregurra, Victoria, Australie). La variabilité du potager biologique établit une centralité par où les signatures émergent chaque jour. Cette végétalité n’élide pas pour autant une présence de la chair. Témoin cette basse-côte ferme tel un wagyu australien, viande de mâche marbrée qui capte les arômes de fumé, associée aux œufs de hareng.
Dans « un restaurant de moments », le voltigeur volleyeur s’inscrit dans la ligne d’émotion d’un Romain MEDER, « un modèle à approcher » : « Cocotte de homard, feuille de figuier, farce à gratin de homard, fermentation de potimarron ». Les figues se rôtissent de leurs graines. Le condiment giboyeux aux tanins de vin se blottit dans sa puissance. Du classicisme au dépaysement qui densifie la proposition. Le chou au barbecue, végétal végan, laqué au miso, fumé aux algues, renoue avec un iodé carnassier. Pour un nautique, le grand traceur se niche dans le marin.
Le foie gras tremblotant poché dans un bouillon de bonite fumée désigne le jus de sous-bois et la fermentation de champignons. La trame amère n’appuie jamais. « La cuisine est une caresse, un réconfort qui monte progressivement ». Le lieu jaune de petit bateau cuit à la nacre préexiste à la bonté de la courge de Monsieur Rigault embrassée par ces graines d’orge torréfiées. « Le bœuf est doux, le kaiseki m’inspire, surtout pas de saturation, ne pas noyer ». Cette logique de l’épure loin de la pureté concentre la puissance de la douceur. Cette rotondité qui affleure de l’équilibre entre les mets et les eaux de vie exprime l’originel dans l’original.
« On brûle, on sale avec le produit. Les coraux de Saint-Jacques concentrés servent de sel une fois rappés. On fait des chorizos avec les bardes. On ne va pas assaisonner un bar avec de la poutargue de mulet ». De l’acribie à l’ataraxie, une attention profonde au grain du réel.