Thomas LORIVAL

FABIEN NÈGRE
Victorial victorien, fulgurant troublé par le divin clavelin, Thomas LORIVAL, Chef sommelier et co-directeur du Clos des Sens, doux charismatique, attentif holistique, compose de tendres attraits mets-jus, veille sur ses 2400 sources lucioles, cantique à la Savoie, l’Arc alpin et les pays voisins, pilote tout en affection avec vue sur le jardin aux aromates, essences et agrumes. 

Le 22 mai 1990, à Voiteur, petit village face à la roche de Château-Chalon, vient un jurassien qui n’a peur de rien. La fenêtre de son balbutiement éclot sur le vignoble sentinelle du savagnin sous voile, au bord du Revermont. Cet oxydatif dévoile le sotolon après le long élevage du rancio aux flaveurs complexes : noix, noisette, amande, pain grillé, miel, cannelle, vanille, caramel, pain d’épices, céleri ou bien même curry. Un paysage gustatif. De bonne heure, le gosse écoule ses après-midis de vacances estivales, à Bruyères, dans les Vosges, au sein des infrastructures de son grand-père maternel, marchand de vins.
 
Ce milieu, dévolu à la vente aux restaurants et aux bars sensibilise pour sûr au vin. Le grand-père paternel cultive sa cave fournie mais également le plaisir de l’acquisition des quilles auprès du vigneron, l’acuité du vieillissement tandis que les parents ne taillent pas le ceps. La mère, infirmière libérale, se voue à l’attention curative. Le père, directeur chez Bonnet Thirode Grande Cuisine, installe des pianos pour les chefs. Dans cette généalogie des allégresses attablées, les tantes fricassent « merveilleusement ». Les proches vosgiens et lorrains, ruraux et alsaciens, perpétuent la tradition du festin dominical.  
 
Tout le jour se déploie à mijoter et croquer. L’attente des repas, dans cette enfance rêvée, excite le désir des bouchées à la reine de la grand-mère paternelle, des rôtis de bœuf « cuits à la perfection », des îles flottantes. La bisaïeule maternelle rivalise « divinement » : un lapin à la moutarde d’anthologie, ses potées et ragoûts printaniers du potager, des petits pois aux carottes, terrines de poissons ou encore tourtes. L’intensité des goûts et la justesse de l’assaisonnement façonnent un discernement hors-pair. L’écolier prépare déjà au domicile : « gâteaux, crêpes, tartes, j’équeutais les haricots pour les conserves. J’avais une sensibilité pour le moment passé à table. Plus j’avance dans la vie, plus c’est un marqueur fort ».  
 
A l’âge de vigueur, il se pourvoit en vaisselle et matériel. En pamoison devant la sucrosité, l’accord Château Suduiraut et foie gras bouleverse l’échanson prématuré. L’énergumène mordu réserve tout son argent de poche à des vins à déguster après sa majorité. L’acte olfactif l’enchante. Sa mère, distinguée saucière, joue à lui faire deviner les condiments de ses fonds. Son fils se balade partout avec une cuillère à soupe en poche. A 14 ans, le footballeur ailier droit commence ses extras chez les restaurateurs et traiteurs, amis de son créateur.  

Il n’embrasse pas encore bien le vin mais brûle pour ce moment féérique où son grand-père descend au cellier pour remonter une bouteille de vieux bordeaux ou bourgogne des années 90. Le vif adolescent consacre ses fins de semaine et ses vacances à aider une camarade de classe, fille de Jacques Durand-Perron, propriétaire d’un Domaine côté dans sa commune : « le vigneron me payait en bouteilles. Je n’avais pas de précision de dégustation mais je voulais la rareté du millésime de mon année de naissance, je m’émerveillais de cette impatience des membres de ma famille, de ces moments de joie passés à table ».          
 
A 15 ans, le véloce ambitieux au Lycée Hôtelier de Poligny se destine au métier de cuisinier. Il effectue son premier stage, à La Chèvre d’Or**, à Eze, sous la direction de Philippe Labbé. Il décide alors de ne pas travailler en cuisine car il n’existe aucune fenêtre d’extériorité. Un séjour de quatre mois, première immersion totale en sommellerie et en cuisine, à Roanne, chez Troisgros, le transcende. L’immense cave de vieillissement de l’illustre maison, régentée par deux grands sommeliers, Christian Vermorel et Jean-Jacques Banchet, affûte sa sensibilité culinaire d’homme du vin.
 
Avec ses patrons, chefs cuisiniers, se crée un puissant lien. Le « piqué aux grandes maisons » poursuit sa route de stagiaire chez Jean-Paul Jeunet** à Arbois et Lameloise*** où il dialogue avec Éric Pras et Frédéric Lamy. Le bachelier technologique  sort cacique de sa promotion Grand Est en BTS Option B. A sa brillante issue, en 2010, ses professeurs l’encouragent dans les trois directions mais il ignore s’il inclinera vers la sommellerie, la salle ou la cuisine. L’année suivante, à Tain l’Hermitage, il parfait sa formation par une mention complémentaire en sommellerie tout en obtenant le WSET (Wine & Spirit Education Trust) niveau 3.
 
En 2012, il connaît son premier recrutement réel sur un poste chez Régis MARCON***. Attaché aux entreprises familiales, immergé dans une atmosphère d’auberge indépendante, une liberté dans le travail associée à des choix philosophiques et financiers, le Directeur de Salle de l’Année 2021 se réalise à Saint-Bonnet-le-Froid. En 2013, l’assistant passionné des vins du Nord de l’Italie s’exerce auprès de Pascal Paulze, élégant chef sommelier de L’Oasis**, maison mythique fondée par le révolutionnaire belfortain Louis Outhier, reprise par les frères RAIMBAULT. Le directeur du restaurant lui enseigne l’absence de certitudes, l’écoute du palais de chacun : « Un mentor, un vrai ami, un grand sommelier qui visite le vignoble, explique les contraintes d’un établissement de prestige, la différence entre l’univers salarial et le monde entrepreneurial ».
 
Dans cette cuisine classique avec sa belle terrasse en jardin exotique, le Chef Sommelier de l’Année 2020 goûte plats et sauces dans un lien véridique d’affection avec l’art culinaire. Tout lui sied mais à 25 ans, il bouscule de nouveau sa trajectoire pour monter dans le train du pouls de l’histoire. En 2015, le sommelier directeur de salle chez Maaemo**, à Oslo, dans un pays sans culture vitivinicole, opère sa révolution copernicienne. La Scandinavie rafle tous les Bocuse d’Or, René Zedzepi culmine au Noma : « j’arrive en gonflant les pectoraux et je me fais gifler sur tout : radicalité du végétal, connaissance phénoménale des vins européens et des accords, multi polyvalence des équipes, interactivité, je redescends six pieds sous terre ».
 
En 2016, l’établissement norvégien accroche une troisième étoile à son fronton. La même année, le 1er août, sur les conseils de son prédécesseur, Jean-Baptiste Klein, aujourd’hui chef sommelier au Chambard**, chez Olivier Nasti, le foudroyant victorien, à 26 ans, inaugure son poste de chef sommelier au Clos des Sens**. Avec le cérébral artisan Laurent Petit, il partage bien des linéaments dont l’ouverture au dialogue par la connaissance culinaire.
 
Le livre de cave présente 1000 références in situ et 1000 en vieillissement, des classiques, du prestige et du nature, des pionniers et tous les cépages autochtones : jacquère, altesse, gringet, persan, mondeuse. L’Arc alpin, carte des vignobles des Alpes, s’étend aux pays voisins : Italie, Suisse, Autriche, Allemagne et Savoie : « L’empreinte du terroir dans les vins est large ». Thomas LORIVAL, dans sa vision réformée, suggère un art subreptice et lumineux du vin en mouvement pour traduire des paysages. En six mois, il prend également la direction du restaurant : « ma volonté du plaisir de la table fait que je ne pouvais pas me contenter d’une belle sommellerie méticuleuse. L’équation de la cuisine consiste dans une adéquation à un lieu ».
 
Le premier restaurant trois étoiles de l’histoire d’Annecy en 2019 raconte la traversée d’un genius loci, une immersion lacustre, végétale et identitaire. Les accords mets-jus échappent à la « sommellerie patriarcale ». Centrée sur les saveurs et les textures, parfois sur l’aromatique des plats, l’adéquation, tour à tour, rassure, taquine ou perturbe. La salle, la cuisine et la sommellerie, au Clos des Sens, se corrèlent en temps réel : « densité, variété, mode d’extraction, infusion, décoction, sucrosité, fluidité, texture dans l’huile de laurier, pomme, estragon ou l’eau d’échalotes, émulsion de lait fermier fumé au bois de genévrier ».        
 
Coopératif, le style de direction de Thomas LORIVAL laisse place à la hiérarchie horizontale d’un management social, un « vrai groupe, une connaissance au service des convives ». Seul le professionnalisme s’impose par la philosophie et l’histoire du Clos. La triangulation interaction avec le client-techniques de cuisine-émotion gustative témoigne de l’osmose d’une conception territoriale : « toujours avec les proches, ne jamais perdre de vue le lieu ».

Photos Matthieu Cellard

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