DIDIER ROBIN – LE BOTANISTE
Par Mathilda Panigada
Fièrement normand, ancré dans la tradition mais pas seulement,
Didier Robin a indéniablement l’amour du produit chevillé au corps. Cette passion, il la tient de son enfance à Villedieu-les-Poêles, ancienne commune manchote située au cœur du bocage normand, et des après-midis passés à observer ses parents agriculteurs fourrer le bétail et récolter le fruit de leur travail. «
J’ai toujours été entouré des produits de la ferme, et j’ai rapidement compris la valeur de tout le travail qu’il y avait derrière ».
C’est tout naturellement que le Chef, alors âgé de 10 ans, se toque de l’art du bien manger. Derrière les fourneaux familiaux, il fait ses premières armes. Ses parents, eux, l’encouragent dans cette voie : il file à Agneaux, à une quarantaine de kilomètres de la ferme familiale, décroche son CAP, et dévie un temps de sa destinée normande pour apprendre «
la cuisine à l’huile d’olive » sous le soleil de Saint-Tropez, et la houlette de Christophe Leroy.
S’ensuit l’inéluctable digression parisienne, qui l’envoie quelques années dans les cuisines de Maison Blanche aux côtés de José Martinez, puis de la Table du Marché, où il retrouve Christophe Leroy. En 1998, retour au bercail, ou presque. C’est à la Bourride de Caen que le Chef fait étape, sous les ordres de Michel Bruno, alors doublement étoilé Michelin.
En 1999, il intègre les cuisines du Château la Chenevière, un bel
hôtel de luxe en Normandie, ancienne exploitation de chanvre un temps occupée par les allemands, puis par l’armée britannique durant le Débarquement. Racheté par la famille Dicker et transformé en 5 étoiles de charme, l’hôtel dispose d’un restaurant gastronomique qui n’a alors pas même encore de nom.
En 2003, lorsqu’il est nommé Chef, la surprise est de taille, mais la pression aussi. Le Château jouit d’une belle réputation qu’il faut, si ce n’est élever, au moins perpétuer. Pour y parvenir, il s’appuiera sur l’aide de l’inénarrable
Eric Briffard, qu’il rencontre lors d’une formation au Vernet. Les conseils sont précieux, mais surtout efficaces.
Si preuve il en fallait, soulignons que cela fait désormais près de vingt ans que le Chef orchestre la partition gourmande du restaurant, depuis baptisé de l’évocateur nom de « Botaniste ». Le secret du succès, s’il n’y en avait qu’un, tiendrait dans la régularité avec laquelle le Chef s’attache à célébrer le caractère et les saveurs de chaque produit qui passe dans ses cuisines.
Prenons les légumes. Si le Chef s’amuse à décliner chou-fleur et cucurbitacées en jus, en pulpe, en poudre, en pickles ou en purée, pas question pour Didier Robin de céder aux sirènes du moléculaire, de la « cuisine scientifique » ou autres tendances culinaires. «
J’aime me baser sur le traditionnel, en poussant un peu la tradition. J’aime la cuisine qui est simple, j’aime retrouver le goût originel du produit. Pas le noyer sous les mélanges et les associations trop compliquées ».
Car dans les assiettes du Botaniste, tout est local, de saison, mais surtout diablement bon. Il faut dire qu’en l’espace de 20 ans, Didier Robin n’a pas manqué de temps pour se tisser un réseau constitué des meilleurs producteurs et artisans de la région.
En témoigne ce foie-gras qui se taille la part du lion dans la catégorie des entrées du menu de saison. «
Madame Thérèse, la dame qui me les fournit, ça bientôt s’arrêter. Je veux en profiter au maximum car j’aurais du mal à retrouver quelqu’un d’aussi bien ». Aujourd’hui poché dans un jus de pommes, hier dans de l’eau de mer, un bouillon de sarrasin ou un consommé de bœuf, demain encore autrement, le mets relate de la volonté du Chef de célébrer les bons produits de région, et d’en explorer toutes les dimensions.
À l’instar également de ce chou-fleur travaillé « des pieds à la tête », escorté d’un gratin et sa béchamel au chocolat, généreusement saupoudré de truffe râpée. Ou de la betterave, que l’on retrouve à la carte déclinée de mille et une façons en raison de l’importante production de la saison. «
J’élabore toujours ma carte en fonction de ce que la terre m’a donné. Mais c’est vrai que les légumes ont le vent en poupe en ce moment, et j’essaie d’imaginer toujours plus de déclinaisons pour répondre à la demande des clients ».
Côté végétal, il faut dire que le Chef est en veine. Dans le jardin du Château, entre la commanderie et la roseraie, se dissimule un joli potager en permaculture déployé sur 1000m2, où chefs et commis ont tout le loisir de venir faire leur marché. Planté de courges, d’origan, de laitue romaine ou de variétés ancienne de maïs, le jardin s’impose comme une inépuisable source d’inspiration pour Didier Robin.
Il faut ajouter à cela l’expertise et les conseils avisés de Pierre Vandaële, chargé d’exploiter le potager, et de donner vie au vaste espace maraîcher de deux hectares qui verra le jour prochainement derrière le domaine. «
On ne pourra peut-être pas devenir complètement autonomes, mais les deux potagers permettront de répondre à la grande majorité des besoins des deux restaurants (Le Botaniste et le Petit Jardin, la brasserie chic tenue par le jeune Chef Hugo Genty, ndlr). Ils permettront aussi à Pierre de laisser libre cours à sa créativité et à son expertise. Récemment, il m’a fait découvrir la Royal Acorn, une variété de courge assez confidentielle, qui m’a donné l’idée d’un velouté parfait pour accompagner l’œuf mollet en entrée ».
Quitter la Chenevière ? Jamais une telle idée ne saurait l’effleurer. Ses ambitions s’inscrivent plutôt à l’opposé : faire décrocher au château l’éminent macaron rouge, «
pour mettre en valeur le talent et la passion de nos artisans ».
Le Botaniste - La Chenevière
Commes - 14520 Port-en-Bessin - tel 02 31 51 25 25