Par Fabien Nègre
Un cuisinier éternel diagnostique l’ontologie de notre présent pour donner à voir une autre présence, contre son temps, avec son époque, afin qu’advienne des temps nouveaux. Guy SAVOY appartient définitivement à cette trempe aristocratique qui éclaire notre avenir, éclaircissant, par là-même, les nouvelles issues, toujours en mouvements contre les nouveaux dangers. «
Je suis classique, féru du socle de la tradition française mais j’ai envie d’amener ma pierre à l’édifice, innover». De la joie des livres à la jubilation de la vie.
Les «
huîtres en nage glacée» naquirent, en l’occurrence, d’une envie de déguster en même temps, l’huître et toute l’eau contenue dans sa coquille. La gelée restitue la consistance. «
La cuisine plonge dans le concret sans jamais se départir du bon sens. La formation du cuisinier, artisanale, relève de la prudence aristotélicienne, du pragmatisme permanent». La gastronomie se distingue car elle recoupe l’ensemble des productions et des producteurs qui ressortissent de l’observation et de l’acuité des hommes. La volaille de Bresse, en l’espèce, ne vient pas sur un autre territoire.
Le cépage chardonnay, dans sa diversité, sur une minuscule parcelle, exprime des typicités différentes, une infinie déclinaison. «
Tous les styles expérimentent quelque chose. Le danger serait de tous devenir des Ferran ADRIA. J’ai mangé six fois chez El Bulli, chaque fois, une expérience inouïe, mais lui seul sait faire et c’est tant mieux». Le cuisinier majeur pratique, par chance, un «
métier hyper codifié dans ses gestes, sa formation».
Le Maître de la rue Troyon exhorte à l’organisation de vie de toutes nos envies pour préserver une attitude d’altitude, un envol solaire : «
mon métier : la liberté totale, l’hyper concret, je ne veux pas m’emprisonner. De la nouveauté, du rire. La joie du cuisinier, la cuisine n’est pas une prise de tête, c’est joyeux. Je défends ma joie, mon bonheur. Les collaborateurs doivent être en joie».
Dans la ferveur de son dernier rare écrit, «Le Goût de Stendhal», avec la complicité de Gonzague SAINT BRIS, aux Editions Télémaque (novembre 2014), le futur empathique des appartements du Président de la «Monnaie de Paris» reconstruit l’itinéraire gustatif stendhalien avec l’aide de Jean-Claude RIBAUT, de Grenoble à la route du Bugey, de l’Italie à la Russie en transitant par Paris. Au cœur de ces miscellanées de recettes surgissent de pures inventions tel ce «
Cul de poulet aux petits pois», chef d’œuvre tout à la fois ménager et patricien. Saisissez-vous d’une belle carcasse de poulet, conservez les sot-l'y-laisse.
Guy SAVOY, soudain enfiévré par la gourmandise en enfant ahuri : «
Le cul de poulet, me fait marrer. La peau de poulet croustillante, arrachée toute seule, avec les doigts, bien meilleure que des lardons, avec des petits pois : un bonheur total, le plat de famille idéal». Bête comme chou. Dans cet ouvrage original figurent également le gâteau de foie de volailles, le gratin dauphinois retour de chasse, flanqué de grives car Henri BEYLE chassait, le gratin de ravioles du Royan, le clafoutis aux cerises, autant de plats imaginaires réinventés.
«
Les desserts, comme au restaurant, comme à la maison. (Avec Christian BOUDARD, «Desserts», Alain DUCASSE Edition, 2013). Ma manière : la prise directe avec mes partenaires, le temps des artisans de la terre et de la mer, de la réalité de la vie». «
Dans mon chalet d’alpage, en solitaire, je dois gamberger, être bon. Ce n’est pas se cantonner avec du caviar et du homard. Une salade de pousse d’épinards sublimée. La question centrale : si j’étais seul, à la maison, comment j’aurais envie de le manger, de le faire».
En 1982, bien avant l’écriture de son premier ouvrage avec Guy LANGLOIS, «Légumes gourmands» (Plon, 1986), le prodigieux de « La Barrière de Clichy » et de la rue Duret, proposait déjà un «
ragout des maraîchers» à sa carte. L’auteur des «120 recettes comme à la maison» (Filipacchi, 2001) ou bien encore de «La cuisine de mes bistrots» (Hachette, 1998), proche des gens de sa rue, des arts contemporains, provoque la fête de tous les instants mordants de légèreté. Il suffit de feuilleter son «Best Of GUY SAVOY »avec David DEVEL (Alain DUCASSE Edition, 2013) ou son magistral «Vos petits plats par un grand» (Minerva, 2003. Le patron inassouvi des Bouquinistes prise aussi les saveurs mauriciennes, les vapeurs vietnamiennes et l’art du pain.
Par humour festif, par volonté vitale d’accorder de l’importance à tout, Guy SAVOY nous touche au plus intime : «
la qualité de ma confiture le matin, du pain, du beurre, je ne mégote jamais avec trois grains de poivre noir et de cardamome que je mets le matin dans mon thé, une intuition spontanée. S’il y a eu négligence de ma part, elle est involontaire». Dans «Un psychanalyste Chez Guy Savoy», aux PUF, en 2007, l’analyste François LADAME montre bien que le cuisinier se situe inconsciemment entre des forces de morbidité et des affirmations de vitalité.
«
Je ne souffre pas, c’est une inconscience plus qu’une conscience, la cuisine est une ode à la vie qui me permet de ne pas penser à la mort. Je n’ai pas peur de la mort mais de perdre la vie. Je ne veux pas quitter cette planète où je me sens si bien».
Restaurant GUY SAVOY
18, rue Troyon - 75017 Paris - Tel : 01 43 80 40 61