Par Ludovic Bischoff
La bourgeoise Vincennes l'attendais depuis longtemps et n'osais plus l'espérer, cette table insoumise qui allait enfin réveiller la scène gastronomique locale. Trainant hors de «la Capitale» sa grande carcasse, c'est Jacky Ribault qui a commis l'impensable: quitter sa table étoilée du douillet 11ème arrondissement (le restaurant Qui plume la lune) pour partir explorer les abords du bois de Vincennes. Toujours plus à l'est! Une forêt culinaire presque vierge où il a trouvé sa tanière. Et ouvert sa nouvelle table baptisée L'ours, évidement.
L'histoire raconte qu'il y a eu, un jour, un ursidé dans le zoo de Vincennes, à cette époque où l'on aimait montrer au public les bêtes jadis féroces. De son côté, Jacky Ribault était tombé, par hasard, sur cette immense taxidermie d'un ours qui croupissait dans une ferme. Quand il a décroché la timbale et sa place au cœur de Vincennes dans un nouvel ilot urbain, le chef s'est dit que tout devait tourner autour de cette grande peluche qu'il s'empresse alors d'acheter et de retaper. C'est elle qui accueille désormais les hardis clients qui ont la bonne idée de pousser la porte, discrète, de ce restaurant un peu perdu dans une rue anonyme du centre-ville. Notez «la casserole», soit la constellation de la grande ours, qui trône au fronton de cette auberge de campagne transportée en milieu urbain. Encore un clin d'œil du chef qui a souhaité inviter ses clients à une balade dans une nature fantasmée.
Couteau d'artisan, vaisselle de potiers...
Une fois à l'intérieur, alors que l'on est accompagné dans un long couloir minéral, on se demande où l'on a bien pu mettre les pattes... On se rassure en débouchant sur une clairière, un vaste atrium sous une sorte de verrière où sont disposées d'élégantes tables. Sur chacune, une gros bouquet de fleurs des champs et des sous-bois apporte de l'intimité aux convives qui découvrent de magnifiques couteaux d'artisan dans leur étui en cuir. La vaisselle, soignée, suivra dans une folle sarabande de céramique délicate, de terre cuite rustique et même de marbre, comme ces grossières «auges» dans lesquelles on vous apportera une viande que l'on dévore avec joie et gourmandise. Service ultra soigné et prévenant, éclairage discret sous une immense composition blanche et lumineuse qui illumine la salle et, tout au fond, l'antre de l'ours et royaume de Jacky Ribault.
Derrière une vaste porte coulissante sur laquelle une tête d'ours stylisée est dessinée, on devine des cuisines où le personnel, en uniforme noir impeccable, officie dans un ballet silencieux. Il y a même une «table du chef» tout au fond de l'antre d'où émerge le chef pour surveiller sa salle, sans trop d'inquiétude puisque depuis son ouverture au printemps 2018, le restaurant de désemplit pas! Vincennes, et tout le département du Val-de-Marne, attendaient depuis longtemps qu'une table gastronomique vienne s'établir ici. Résultat, la clientèle est majoritairement constituée de locaux bien trop heureux de ne plus avoir à se perdre dans les entrailles de la capitale, pourtant si proche, pour s'attabler à une bonne adresse. Jacky Ribault qui a abandonné son étoile à Paris compte bien en récupérer au moins une à Vincennes. Ce dont on ne doute pas tant la salle, le service, et la cuisine le méritent!
Pas de menu, on suit l'inspiration du chef
Chez L'Ours, on ne choisi pas sa pitance. On se laisse guider par la créativité du chef qui propose des menus en cinq plats (l'Aubinière, 75 euros) ou six plats (le Theil-de-Bretagne, 105 euros), sans compter les desserts, pourtant compris dans ces menus, et qui se rajoutent au défilé des plats ! Le midi, un menu à 45 euros permet de s'offrir le travail du chef à prix doux...
La cuisine de Jacky Ribault est généreuse, à l'image de cette raviole gyoza qui renferme un solide pavé de barbue au citron confit, oxalis et fromage blanc. Une première «entrée» qui constituerait un plat chez d'autres! Délicat et savoureux. Suivent, ce soir-là, des petits filets de rougets au four, sauce safran, voile de passion, caramel prune/cerise et champignons de Paris, car le chef cherche avant tout à servir des produits du terroir d'Ile-de-France. Encore un délice. Plus clivant, la sèche à l'encre, pâte de sésame noire et algues nori qui s'avère un peu sèche et pâteuse en bouche, manquant d'un brin de fraicheur sans doute, trop minéral à mon goût. Un plat osé, en tout cas... Et vite oublié quand arrive ce foie gras de canard poché dans un bouillon au poisson japonais (dashi) aromatisé au combava. Là encore, de l’audace pour proposer ce classique qu'est le foie gras dans un bouillon, offrant une texture inattendue. Un «sacrilège» qui s'avère être une vraie réussite, surprenante et originale. La cannette parfaitement rosée et sa cuisse confite, arrivent alors avec ses haricots coco de Paimpol au maïs et conclue ce bal des saveurs avec éclat.
Pour terminer cette balade forestière, une ribambelle de desserts du jour se succèdent: lait ribot, sorbet citron, macaron à l'azaki et coriandre fraiche pour la touche asiatique ; mille-feuille au chocolat pour la tradition parisienne ; figues de Solliès et sorbet framboise pour le clin d'œil aux terroirs de France. Tout cela est frais et léger, parfait pour clore ce long repas où se sont succédés dans un cadre onirique des plats tous plus surprenants les uns que les autres.
Vincennes possède désormais «sa table» des délices et il semble que ses habitants souhaitent conserver encore longtemps le secret de cette antre cachée aux yeux des parisiens blasés. En attendant des étoiles qui vont inévitablement venir éclairer la nouvelle tanière de Jacky Ribault...
Photos: 1 : La salle boisée de l'Ours - 2 : Le chef de l'Ours, Jacky Ribault - 3 : Pavé de Barbue en raviole - 4 : Canette et haricots coco - 5 : Les magnifiques couteaux d'artisan de l'Ours.
Restaurant L'Ours
10-12, rue de l’Église - 94300 Vincennes - Tel : 01 46 81 50 34