Dans une bourgade normande, non loin de Vernon, dans l’Eure, le 27 octobre 1986, un véloce dégringole des rapides. Hissé sur une caisse de vin au moment du youpala, le marmouset enfouit ses mains dans le saladier de chocolat puis se lèche longuement les doigts. A une heure de l’Arc de Triomphe, porté par une mère institutrice, directrice d’école et un père responsable d’une coopérative agricole, l’intrépide attendri déjoue l’amor fati maternel. « En seconde, bon élève, j’arrête tout ». Un oncle lointain trône, en cuisine, au Louis XV, à Monaco, dans ces années de passage à l’an 2000.
Il ne se départ plus d’une semelle de ce précieux aïeul dans les grands buffets festifs familiaux, « fasciné par la pâtisserie, les gâteaux dominicaux et la tarte tatin ». Le salé advient, bien après, lors d’un stage : « assis, je m’endors ». A 17 ans, il rallie le Centre de Formation d’Apprentis Marcel Sauvage, à Rouen, d’où il émane bardé d’un Brevet Professionnel Arts de la cuisine. Quatre années propédeutiques dans le paysage des pommiers exhortent aux parfums sudistes. André DAGUIN et le président de l’UMIH (Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie) Normandie l’aiguillent.
Son curriculum vitae posté ipso facto sur L’Hôtellerie, en 2007, Jean-Marc BANZO, double étoilé au Clos de la Violette à Aix-en-Provence et Enrico BERNARDO, alors associés à La Villa Madie, à Cassis, l’accueillent en commis illico. Dans ce cadre féérique du bleu horizon, entouré d’une brigade de vingt personnes, d’une boulangerie et d’une chocolaterie, l’initial se forge des initiales : « Je voulais me faire rentrer dedans, la compétition, car je n’avais jamais été bousculé ». Il y croise notamment Marike VAN BEURDEN, aujourd’hui renommée directrice de la création pâtisserie et chocolat (Gagnaire, Pic, George V).
Le jeune homme simple et modeste s’instruit de son sous-chef, Christophe GUIBERT, futur directeur adjoint des cuisines du Ritz : « Je travaille beaucoup pour passer devant les autres, je ne suis ni un artiste ni un génie de la cuisine ». Pour Enrico BERNARDO, il réalise l’ouverture d’IL VINO Courchevel. Le vin prime, le concept innove, sans carte, avec un menu totalement improvisé. Matthieu HERVE comprend la précision de la saisonnalité, un style singulier unique en France. L’établissement obtient une étoile dans la foulée.
Au Negresco, entre 2008 et 2012, aux côtés de Jean-Denis RIEUBLANC, MOF 2007, le chef de partie connaît l’intensité émotionnelle ineffaçable du passage à deux étoiles. Au Chanteclerc, dans cette grandiose maison à l’esprit des brigades solides, auprès de son inspirateur, il s’imprègne de tout, la technique, les sauces pour l’ensemble de l’hôtel : « Je voulais rester toute ma vie. Un père spirituel, humain, un grand cuisinier. On faisait un pigeon délicieux désossé entier, cuit dans l’argile et le foin, farci à la langue de bœuf et au foie gras ».
Le minutieux fougueux s’essaie aux concours mais termine souvent deuxième car il manque de patience et de concentration. Il les acquerra au Canada, en 2013, pour « voir du pays ». Rétrogradé commis, « un coup derrière la tête », il observe la grosse machine du Ritz-Carlton, dans la Maison BOULUD, à Montréal. Il réalise qu’un cuisinier français demeure très prisé à l’étranger. Le sous-chef déterminé évalue la forte personnalité de Daniel BOULUD : « Recommencer, faire ses preuves. Il avait 3 étoiles à New-York, du classicisme à la française. Je le suis, je prends la dimension du bonhomme. J’apprends le management ».
Matthieu HERVE goûte la structuration absolue et la superbe ambiance. Même si aucun relâchement n’existe, il pratique la sociabilité et l’échange dans une absence d’ego : « N’oublions jamais que nous n’avons rien inventé, on ne fait que de la cuisine et du service, rien ne justifie des chevilles enflées ». De retour en Europe, en 2017, à Bâle, le sous-chef de Peter KNOGL***, au Cheval Blanc, tombe sous le charme d’une personnalité culinaire rare : « Un bavarois, deux mètres, 120 kilos, super humain, très respecté ».
Ce musicien des sauces justes à la discrétion toute helvétique se caractérise par une haute cuisine française nimbée d’influences méditerranéennes et asiatiques. Ce cicérone au palais infaillible et exemplaire maîtrise tous les sujets, « au toucher, avec ses mains ». En avril 2018, des clients du Cheval Blanc, les propriétaires suisses du Château de Montcaud, proposent au normand épris du poisson et des crustacés sa première place de Chef des cuisines. Sur des bases techniques classiques, ce passionné de tennis qui aime « courir et se dépenser » glisse des touches originales.
Il confie une belle appétence pour les condiments, les piments ou les agrumes, calamansi philippin, lors même que l’acidité équilibrée par un jeu subtil sur les huiles d’olive des gorges ardéchoises grand cru d’Eric MARTIN l’embrase. L’ancien turbulent aujourd’hui très concentré sur ses méticuleux dressages à la lisibilité stabilisée par des jeux texturés, savoure l’axe de sa vie pour cette Provence quintessenciée dans un coussin d’oignons doux des Cévennes, anchois, olive, une huître de Camargue, cécina, wakamé, un macaron betterave, rillette de maigre de méditerranée, yuzu.
Le haddock, œuf de truite et pomme de terre prélude au foie gras, poivre timut. La sériole se couronne en chou-fleur, Jalapeno. Le Saint pierre, asperge et bergamote, scintillant de caviar osciètre augure le ris de veau, topinambour, shitaké et le bœuf salers, patate douce, foin. Les douceurs conclusives, à la clarté de la nuit estivale s’avancent : chocolat guanaja, fruits de la passion, mangue, chocolat caramel beurre salé, madeleine miel et safran de Manjolive, pina colada. Une comète enrubannée, du berger à la bergère.
Photos Arthur Ledoux