1964. L’esprit de bonne chère vient d’ascendants fermiers et de fiers vendangeurs. La mère prépare sérieusement. Le gamin curieux, dès quatre ans, sait la cajolerie de la tartelette. «Au départ : gaufrettes de la voisine Mamie Jeanne, au feu de cheminée, petits choux à la crème, cannelés gros module nommés Mia». Du temps, du plaisir, du désir de douceurs. Le tutélaire manœuvre aussi le fourneau. «Mon père joua un rôle important dans le métier que j’exerce aujourd’hui, il m’accompagna dans ma voie, tout champ possible». A sept ans, l’insomniaque de Petit-Palais-et-Cornemps, songe déjà aux grandes toques.
La nature remplit bien son office : canards gras des aïeuls dordognots, pâtés fins périgordins, confits diaboliques. La campagne octroie, à profusion, en quasi autarcie, poussins ou poissons de rivière. «J’aidais toujours ma mère, en cuisine, je faisais des gâteaux pour mon père quand il était à l’usine. On ne dormait jamais». La sanguette de poulet, le tue-cochon roulent au CFA de Dax. «Pas d’école, je voulais enlever le poids financier». A 16 ans, le Chef de la rue du corsaire Surcouf, dans un mouvement de rupture, décide de «devenir un grand chef».
Récit charnel de la nature, effleurage des légumes à maturité, traite des vaches à même le pis, grand-mère productrice de beurre, autant d’enclenchements. Au milieu du terroir saint-émilionais, le vin illumine tout le paysage. «Je l’aime au sens noble, autour d’un plat. Une boisson magique, en saveurs, en textures». Le premier patron, dans les Landes, non loin de Sarlat, enseigne les mains au cœur de la matière. Le frangin charcutier le guide chez l’oncle restaurateur, à «La Potinière du Lac» (75012). Le magnifique châteaubriant saisit le provincial frais débarqué.
A 18 ans, le membre de la confrérie des Maîtres Cuisiniers de France en 2005, s’exerce à la boucherie : «éplucher, ficeler, couper, désosser une viande, savoir tenir un couteau, j’ai tout appris». Les daubes de bœufs et les sautés de veau achèvent de garnir la maïeutique. Les classes bellifontaines, dans le régiment du train, esquivent le train-train. Au mess du «Bureau du Service National» de Reuilly-Diderot, les épluchures perdurent. Au sortir des obligations, un détour helvète dans des hôtels-restaurants de Leysin et Lausanne forge la jeunesse.
«Je découvre la gastronomie parisienne par des amis suisses qui me cooptent, par lettre». En 1984, DESSIRIER inculque la diligence. Chez OLYMPE*, où la médiatisée Dominique VERSINI signe une cuisine légère et enjouée, il gravit toutes tous les postes. «Je vois des grosses pièces : homards, turbots». Au «DODIN-BOUFFANT», en 1986, il s’initie à la pâtisserie, tartes, feuilletés, fonds, puis passe chez ROSTANG**. Notre humble confondant badine, goguenard : «Je me débrouillai». A l’image de son père, Joseph ROSTANG, qui fit la gloire antiboise de «La Bonne Auberge»***, Michel ROSTANG, l’avant-gardiste, montre jus, réductions et autres glaçages à l’ami de Gérard BESSON.
En 1988, l’oublié Jean-Claude L’HONNEUR, au Grand Véfour, l’accueille dans le classicisme transitoire avant l’arrivée du dandy mozartien triple étoilé Guy MARTIN. Entre 1989 et 1997, au DROUANT**, le chef-adjoint, tandis que Yannick ALLENO tient le poste convoité de sous-chef, rayonne. «Louis GRONDARD, un maître, mieux un monstre, plus qu’un chef, capable de comprendre la technique et de transmettre l’esprit de sa manière en vous révélant votre devenir». La Maison des Goncourt, recevait, des personnalités hors-normes, qui exigeaient, chaque mois, des plats quasiment disparus tels la «poularde en vessie».
Ces grands produits qui procurent de la joie, le «petit gamin sorti de sa campagne avec sa seule valise» les rejoindra, en 1998, au «Relais de Sèvres»*. Cette politique de l’excellence récompense un chef simple devant des parents émus, maintient l’étoile jusqu’en 2006. «Chaque établissement cristallise des amitiés, des compagnons étoilés tels que Yannick ALLENO. Ceux qui ont travaillé sous mes ordres deviendront chefs chez Joël ROBUCHON».
En 2007, à 43 ans, le chasseur averti ouvre son «Petit Bordelais» en lieu et place d’un étoilé et d’un prédécesseur consacré par la première marche du podium bibendum.
Dans cette rue du 7ème aristocratique garnie de «petits» établissements, le cycliste amateur installe la lumière d’un jour mature, ses ressources et sa compétence sans chercher la consécration. «Un restaurant de quartier où l’on mange bien à des prix abordables avec des plats fabriqués sur place, sans ajouts ni chichis». Le nageur dominical affectionne toute la chasse, petits et gros gibiers, et la chair de l’animal prédateur. Le goût hypocalorique diffère dans le perdreau, le sanglier ou bien même la fameuse grouse. Le fils de chasseur, se remémore son père avec lequel il prélevait des lapins, des lièvres ou encore des faisans.
«J’aime la cuisine, j’aime les produits mais deux provenances me procurent des frissons : la bécasse et la truffe». L’homme n’intervient en rien dans l’existence du scolopax limicole, le petit échassier possède un parfum propre, puissant et fin, long en bouche. Dans ses ressentis de bistrot gastronomique parisien, « Le Petit Bordelais » propose un classicisme évolutif. Le ris de veau rôti, glacé dans son jus réduit au vin jaune, s’entoure d’un croustillant moelleux. La corrélation logique entre les préludes et les issues, le dosage des portions équilibrées n’excluent pas le plaisir de manger : «Il n’y a pas marqué hôpital sur ma devanture».
«Le plat qui m’a donné le plus de plaisir dans mes réalisations : mon pied de cochon. J’ai rêvé de ce plat en 2004. J’ai fini le plat, je me suis réveillé. Cuit, entièrement désossé à plat, escorté d’une farce fine de volailles parfumée à la truffe, dans un bouillon, plusieurs heures, avec des légumes, au cœur, un morceau de foie gras, pomme de terre roulée, déglacée au vinaigre chaud. Je sers la pomme de terre tiède qui devient acidulée avec le pied de cochon». L’artisan du délice crée des courbes à l’image d’un vin qui présente des volumes.
En bouche, des balances entre le doux et l’acide éludent toute platitude, des vagues, des conversions de texture, des joyeux contrastes suscitent éveil et surtout réveil. « Un grand plat repose toujours sur de la complexité, ni féminin ni masculin mais avec des goûts puissants ».
Le major, en 1996, aux sélections parisiennes du MOF, préserve la noblesse de la gastronomie française et ses valeurs vivantes. «Je ne mets qu’une fleur dans la pâtisserie, la violette de Toulouse».