Gaël Orieux incarne un furieux. Non pas un chef en proie à une forme violente de folie selon la définition originaire de l’officiel dictionnaire de l’Académie mais bien un homme passionné, acharné dans sa démarche, droit dans sa marche, qui place dans ses actions une grande impétuosité, une ardeur méritoire.
Son parcours tient, en outre, du prodigieux, dans son genre, tant l’appétit gourmand de sa jeunesse concordait mal avec l’aboulie gustative involontaire de ses chers parents.
En effet, ce jeune homme assagi d’à peine 35 ans, père d’une petite fille de 4 ans, Faustine, né dans le Maine-et-Loire mais breton dans l’âme ( Côtes d’Armor : St Brieuc, Plédéliac ) n’a jamais baigné dans un milieu de bouche. Le père fait fonction de chirurgien, médecin de campagne, parcourt la ruralité. La mère tient une pharmacie. Il partage son enfance entre Rennes et Angers. Rien ne le prédestine à sa propre destinée si ce n’est ce qui manque à sa place pour écrire lacanien. Partout, le désir demeure premier, il fait toujours retour. Le père abhorre les restaurants, déteste manger. La mère exècre l’idée même de nourriture, adopte quotidiennement la malbouffe. Tous deux pratiquent la boîte de conserve, le nourrir vite, ni slowfood, ni fastfood.
A 12 ans, ses parents se séparent. Il débarque en région parisienne avec ses deux sœurs. Il ne sait pas quoi faire ni comment opérer mais l’inconscient prend déjà le dessus. Il possède un don manuel, une passion pour le sport notamment le rugby. En 1985, il habite non loin du « Taste-Vin » de Monsieur Blanche (**) à Maisons-Laffitte mais aussi de « La Vieille Fonfaine » (**), le premier établissement de François Clerc.
L’école lui pèse, il persiste mauvais élève malgré ses efforts louables. Il cherche d’autres eaux, espère la fraîcheur d’autres chemins. Il joue beaucoup au Rugby, en attendant, vaillant ailier droit en D2, n°14 dans le club de Maisons-Laffitte. Il pourrait même faire carrière tant ses talents font mouche : célérité, vélocité, précision, justesse, équilibre. La cuisine pointe déjà au bout du pied. Le désir fomente encore sa remontée en surface. Le garçon se montre réservé mais drôle, sûr de lui, bourré de capacités. Il plonge en gourmandise, se passionne pour le bien manger festif.
Un autre élément envahit toute sa vie, une autre pulsion le pousse dans le dos comme un balai de sorcière, furieusement : la Mer. Toujours une affaire de désir et de manque : Paris et la Bretagne sauvage des côtes d’Armor. Très tôt, il passe tous ses diplômes brillamment car il comprend alors une voie dans toute ses voix. A 18 ans, il obtient son monitorat en plongée sous-marine avec bouteilles.
Un jour, l’éclair advient, la nostalgie de l’enfance le rattrape, à l’occasion de journées portes ouvertes, et grâce à un ami, il suit la mise à niveau pour bachelier de l’Ecole Jean Ferrandi. Il rentre vite sur dossier dans cette prestigieuse école. Le furieux talent prend forme. Il passe son CAP dans l’année, comme pour s’en débarrasser. Il trouve tout de suite un stage, en 1990, chez Yann Jaco (Le Toit de Passy). Là, aux côtés de Christophe Muller, chef de partie, MOF 2004, un ancien de chez Paul Bocuse, il découvre ce qu’il connaissait déjà mais après l’avoir oublié dans l’innocence du devenir : une fabuleuse ambiance, une belle atmosphère joyeuse, un esprit d’équipe en salle et en cuisine. L’apprenti Orieux goûte déjà le vrai plaisir d’approfondir l’assiette avec une cuisine moderne et créative.
CAP empoché, Monsieur Jaco l’embauche toutes affaires cessantes. La fusée pousse alors violemment. Gaël Orieux effectue son armée à Matignon, excusez du peu, toujours en compagnie de Christophe Muller qu’il ne lâche pas d’une semelle. Là, il noue des amitiés solides avec de futurs grands : Romuald Flament ( « Le Bec Fin » à Dole ), Fabien Lefevre ( « Octopus » à Béziers ). Il apprécie l’harmonie des grandes brigades qui marqueront tout son parcours.
Au sortir de son service national bien accompli, en 1993, il anticipe son issue, parachuté brutalement chez Paul Bocuse à Collonges-au-Mont-d'Or. Avec sa curieuse 2 CV charleston, il arrive avec émotion dans son premier trois macarons. Les monuments ne se visitent pas aisément surtout lorsque Roger Jaloux préside aux commandes du vaisseau amiral ! Un Monsieur réputé sévère, impressionnant, un peu furieux.
Doué pour la pâtisserie et pour tout le reste, Gaël Orieux subit un choc thermique mais mythique. Cet apprentissage intensif, viril, ultra concurrentiel, sous tension permanente lui enseigne tous les arcanes de cette culture des trois étoiles ancrée dans les années 90 mais aussi le fonctionnement difficile, ordonné, quasi militaire, des grandes brigades d’établissements prestigieux, mondialement consacrés. Le droit à l’erreur disparaît quand on se situe dans ce type de Maison par cooptation directe. L’immensité de l’enjeu, la capacité à encaisser, la pression inimaginable, n’excluent pas pour autant une ambiance d’alacrité qui outrepasse vraiment l’ordinaire, un esprit d’équipe solidaire à jamais.
A l’instar de l’armée et du rugby, dans ce monde de virilisation où la féroce concurrence s’exacerbe parfois, il se coupe soudain la main. Ce malheureux accident le contraint à s’arrêter trois mois, trop longtemps pour revenir sur la piste de cette compétition de haut niveau. Il renoue avec ses hautes ambitions chez Alain Senderens au Lucas Carton (***). Il renforce ses bases dans tous les domaines et notamment la pâtisserie durant presque deux ans. Pour la première fois, il occupe le poste de « Chef de partie chaud, poisson ». Il s’avoue même déstabilisé par la modernité de cet art gastronomique car il ne maîtrise pas parfaitement les bases dérivées complexes de la cuisine contemporaine.
A dessein, sur le conseil de Bernard Ganneron, Chef de Senderens, il part au CRILLON (**), dirigé, à l’époque, par le déjà remarqué Christian Constant. Mais, coup de Trafalgar, celui qui a fait époque dans son époque, quitte son palace pour son « Violon d’Ingres ». Bizarrement, toute l’équipe laisse le navire sauf Gaël Orieux qui pressent les qualités de Dominique Bouchet, ex-directeur de l’historique brigade JAMIN.
Ensuite, trois choix incroyables se font jour, un feu d’artifices : le Jules Verne, le Grand Vefour, Taillevent. Flatté par cette triade merveilleuse, il opte pour la prestigieuse maison de Jean-Claude Vrinat, entre 1997 et 1999. « Chef de partie » sous la responsabilité exigeante du grand Philippe Legendre, l’estampille Bocuse jouant à plein, le 17 décembre 1999, il fait l’ouverture du Georges V (**) : un rare moment d’émotions. Il vole et convole, peu après, vers le MEURICE (*) sous les auspices de Marc Marchand. Il se voit offrir, pour la première fois, le poste de « second de cuisine ». Autre coup de pocker, en 2003, M. Marchand s’en va et avec lui, toute la brigade ! Comme par une diabolique intuition, un seul homme décide de tenir bon : Gaël Orieux. Son flair breton ne l’égare jamais. Il pressent le triomphe. En 2004, un malin génie prend les rênes du MEURICE (***) : Monsieur Yannik Alleno. Personne ne lui connaît d’imperfections : beau, brillant, affable, pâtissier surdoué, honnête homme survolté, calme dirigeant, ami fidèle…
Avec ce maître lumineux aux mille éclats, il comprend enfin tout c’est-à-dire qu’il prend tout avec lui. Il accouche de son propre style, il prend son envol. En septembre 2004, il ouvre le MEURICE nouveau. Au poste de second, hormis la haute gastronomie, il voit ses prérogatives élargies à toutes les responsabilités ( bar, jardin d’hiver, banquets, communication ) afin de dégager Yannick Alleno qui doit se consacrer impérieusement, entièrement à l’obtention de ses trois macarons. Le coup d’essai fut presque un coup de maître parfait : 2 macarons la première année, trois la seconde. Du jamais vu dans l’histoire de la gastronomie hexagonale en termes de progression et d’age : 37 ans ! Vous comprendrez alors pourquoi Gaël Orieux revendique deux maîtres absolus dans sa jeune vie : Paul Bocuse et Yannick Alleno.
Avec Yannick Alleno, il a tout appris et tout compris. Il a passé des heures à regarder un style de cuisine, une stratégie de « culinarité ». Il a parlé des nuits blanches à apprivoiser les manières de finaliser le plat. Après deux ans d’une remarquable intensité de vie, il ouvre son restaurant,
AUGUSTE, qui risque fort de soutenir amplement le qualificatif, en hommage bifide à Rodin et Escoffier.
En février 2007, une première étoile consacre ce travail assidu, régulier, prometteur. Adoubé par Yannick Alleno qui l’a toujours soutenu ( conseils pour élaborer sa première carte, envois fréquents de clientèle ), l’étoile, première marche du guide de référence, vient couronner deux années de persévérance, deux saisons d’explosion midis et soirs. Une très belle clientèle fidèle, exigeante, naît dans tous les domaines : affaires, habitués, gens du quartier, célébrités. Un menu affaires exceptionnel pour un étoilé parisien : 35 euros ( Entrée Plat Dessert ). Une carte virevoltante, qui change sans cesse, qui ne lasse jamais l’attention des clients.
Emouvant lorsqu’il raconte les liens avec ses fournisseurs notamment Bernard de la Boucherie Nivernaise ou ces paysans trentenaires fous furieux qui élèvent des poulets quasi sauvages aux fins fonds du Tarn, attachant quand il évoque sa paresse ou sa passion pour les peintres de Montmartre ( Lucien Genin, Jules Elisée Maclet ), sa franche probité, sa simplicité rigoureuse, sa rassurante quiétude font de lui un chef bien dans sa peau.
Gaël Orieux respire le bonheur ludique d’un poisson rugbyman qui veut rire, s’amuser, trouver son eau pour nager en liberté. Trop conscient de l’étrange fragilité des gloires médiatiques, trop soucieux de son indépendance, profondément marqué par l’éviction ou la fin de certains grands chefs de Palace, les pieds fermement sur terre, la tête parfois dans les étoiles, le cœur toujours en mer, il prend son restaurant par les cornes en conservant des orientations précises : célérité du service, échelle humaine, cuisine dépouillée, respect du dialogue avec sa clientèle.
Entre Jean Chauvel ( Les Magnolias au Perreux-sur-marne ) qui le surprend toujours et un désir de ne pas perturber ses clients qu’il adore par une trop grande complexité des goûts et des saveurs, ce marin discret voire secret tient à écouter les mangeurs comme une rencontre, un écho, une cartographie des ressources urbaines en pleine campagne.
Pour Gaël Orieux les motifs culinaires figurent des ritournelles, appellent des rêveries, découvrent des obsessions tenaces mais la carte déroute également quand il le décide librement : carré de porc, carré d’agneau, carré de veau. Il se réserve miraculeusement le droit de tout bousculer, tout casser dans les limites de la simple raison. Il fuit l’ennui comme la peste. Il invente un plat en regardant ce qui manque à sa carte ou en réintroduisant des produits qu’il n’a pas travaillés depuis longtemps. Ne jamais copier mais s’isoler aujourd’hui pour retourner à la tradition revisitée : telle s’affirme la posture du chef en devenir.
Il définit son style comme une gastronomie bretonne Terre-Mer. Se devinent là, tel un catalogue à la Prévert, pareils aux exercices de style à la Queneau, les paysages tourmentés de l’enfance à Erquy, les désirs intimes de donner du plaisir dans la simplicité conviviale des jours qui viennent. Orieux s’amuse en furieux, en extra-terrestre libre qui ne veut occuper aucune case, hors des mouvements, dans la pérennité, hors des tendances qui encombrent notre temps.
Un homme en quête de pureté et de joie, dans l’affirmation étonnante de son équilibre, qui veut se souvenir de cet immense besoin de donner de l’amour, la cuisine, une histoire inconsciente qui nous vient de l’enfance.
Magiques et magnifiques occurrences du Chef :
Grenouilles croustillantes, sot-l’y-laisse et crêtes de coq
Bouillon parfumé au goût d’ailleurs, gnocchis
Cappuccino de potimarron à l’œuf poché
Légère infusion à l’huile de sureau
Fine gelée iodée aux huîtres creuses et bulots
Crème légère au fenouil, cromesquis de pieds de porc
Noix de ris de veau croustillante aux cacahuètes caramélisées
Compotée d’oignons doux des Cévennes au Noilly Prat
Suprême de canard croisé à l’orange douce
Navets confits au caramel et nigelle
Gelée de café « noir » à la mousse de lait vanillé
Sorbet au spéculos et miel d’acacia
Framboise à la nage de litchis vanillés
Sorbet pamplemousse rose
Les Questions à Gaël Orieux
Fabien Nègre: Comment et pourquoi avez-vous eu envie de devenir Cuisinier ? Une tradition familiale ?
Gaël Orieux : Pas une tradition familiale, le hasard.
Où avez-vous appris la Cuisine ? Avec quels Chefs avez-vous travaillé ?
Chez Mr Bocuse à Collonge, Mr Senderens au Lucas Carton, Mr Legendre au Taillevent, Mr Bouchet et Mr Constant au Crillon et Mr Alleno au Meurice.
Quel est votre plat préféré ?
Le ris de veau.
Quelle est votre boisson favorite ?
Le vin rouge.
Qu’aimez-vous qu’un client vous dise après dîner ?
« A très bientôt »
Où aimez-vous aller dîner ?
Au Meurice.
Etes-vous un fumeur de cigares ? Si oui, quelles vitoles aimez-vous fumer ?
Oui, j’apprécie le cohiba.
Quel est votre principal trait de caractère ?
Je suis honnête.
Avec qui aimeriez-vous travailler ?
Mr Kijno, le peintre.
Si vous deviez changer de métier, quel métier feriez-vous ?
Sculpteur.
Quel est votre rêve d’enfant qui n’a pas encore été réalisé ?
Faire le tour du monde en bateau.
Où aimez vous passer des vacances ?
En Bretagne sud.
Photos : 1 : Gaël Orieux – 2 : La salle du restaurant – 3 : Fine gelée iodée aux huîtres creuses et bulots - 4 : Suprême de canard croisé à l’orange douce - 5 : Le restaurant.
AUGUSTE
54, rue de Bourgogne
75007 Paris
Tel : 01 45 51 61 09
Voir le site de Gaêl Orieux – Restaurant Auguste
http://www.restaurantauguste.fr