A Santiago, en 1971, dans un cossu milieu architectural depuis des générations, rien ne prédispose le nouveau-né à l’art subtil de la mandoline. La famille ne manque pourtant pas de «
grands gourmands et bons vivants». Elle s’attable des heures infinies durant, dissertant sur les flacons et les carnations persillées. Après une jeunesse savoureuse, à 29 ans, l’impétrant constructeur s’envole pour la vie parisienne afin de parfaire sa scolarité en Sorbonne. Le tendre manuel se penche, bien loin des brigades étoilées, sur l’histoire de sa discipline.
Le diplôme de la prestigieuse Université de Paris 6 s’intitule tout de même «Le vin et la vigne» avec le merveilleux professeur Bernard LASSUS en théorie du paysage. Entre 1990 et 1999, l’enseignant en architecture à l’université, rêve de haute couture. En 2000, il s’installe en France définitivement pour «
découvrir la cuisine, la gourmandise en général». Le «
coup de foudre» pour le haut goût et l’univers des grands chefs le traverse. «
On ne quitte jamais la cuisine, on ne peut plus la quitter». En 2003, sur le très couru marché de l’Alma, la rencontre de Joël THIEBAULT le bouscule.
En 2004, à la naissance de son fils Matéo, il crée, en association avec le célèbre maraîcher, la société «Le haut du panier». Dans un souci presque didactique, il s’agit de faire connaître, au grand public, les légumes de choix fraichement cueillis dans le potager de l’artisan de Carrières-sur-Seine, livrés à domicile. Sur sa lancée, le tonique amérindien du pays de l’île de Pâques, monte ACR (concept de gastronomie sur mesure). L’effacé souriant de confier : «
Je n’avais pas les épaules, j’exprimai mon travail avec mon club gastronomique, sur demande, avec des clients partout en Europe, des menus uniques à chaque cession, en petit comité».
En 2005, admirateur inconditionnel des verts joyaux, il coécrit le livre «Les légumes de Joël», organise des dîners privés de prestige avec un seul souhait, créer des plats aux patents bienfaits afin de transmettre sa dilection pour les légumes de qualité et de saison. En parfait autodidacte, stagiaire près d'un an au restaurant «Taïra» (75017), il s’initie aux techniques de la cuisine franco-japonaise. «
Mon tuteur, un vieux et grand Monsieur qui m’a tout appris, le travail assidu, la précision redoutable de la découpe pour ne rien gaspiller, la taille des légumes».
Le véloce entrepreneur, connaisseur de la culture francilienne, ouvre, en 2007, dans sa ville natale, un restaurant-galerie pour 20 couverts intitulé «ACR-SCL». «
J’avais fait un lieu éphémère de vacance». Avec la France, le beau pays dirigé par Michelle BACHELET partage la succulente viande, les vins éminents, les paysages éblouissants. Or, le chef qui aime à sublimer la crevette de luxe «Obsiblue» avoue calmement, de sa douce voix : «
Avec les légumes, j’ai compris des choses que je ne connaissais pas, la naissance des maraîchers, la culture de la terre. Chez moi, trop souvent, l’habitude repose sur le supermarché à l’américaine alors que la diversité des goûts et des textures demeurent incroyables».
Depuis 2014, au BECKETT, dans son néo-bistrot «
bar à légumes aux accents sud-américains», il propose des jus de légumes originaux dans une saine démarche, officie sur la texture, le goût, le visuel sans oublier sa fertile généalogie. «
J’ai longtemps renié mes origines mais j’ai eu tort, je ne m’en suis jamais occupé ni préoccupé mais on peut travailler des produits, des sources d’inspirations, des épices, nous avons fait le tour du monde mais pas le tour de l’Amérique du sud». La cuisine du tissu végétal murit dans un cheminement singulier.
«
Le chou-fleur et la betterave me dégoutaient, le temps passant, j’ai compris la préparation et la maturité, avec l’éducation, la proximité, la qualité». Dans son wagyu, élevé «
à la ferme sauvage du bonheur» par des philanthropes, il prélève des pièces peu nobles, très marbrées, qui procurent saveur et goût. L’idée d’une cuisine biologique de bienfaits le concerne et le touche avec la montée en puissance de la plateforme latino-américaine. «
La gastronomie d’Amérique du sud évolue vite. Il suffit de passer 72 heures à manger au Pérou».
«
Le Chili offre un potentiel immense avec ses 6000 kilomètres de côte. Quand j’y retourne, je suis loin, je suis un touriste, je ne reconnais plus rien. Notre culture pèse, le territoire aussi. BORAGO fait partie des 50 meilleurs restaurants». Avec son ami Rodolfo GUZMAN, Raimundo BRIONES organisera sans doute, un de ces jours, un quatre mains pour l’amitié franco-chilienne.
BECKETT
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