Créatrice des griffes ZELIA SUR LA TERRE COMME AU CIEL et ZEZETTE DE MONTMARTRE.
Robes de rêve et tabliers de chefs.
Albertine fougueuse, indomptable créatrice de mode dans les années Palace, égérie montmartroise, Zélia VAN DEN BULKE, dans sa petite boutique des grands rêves, « sur la terre comme au ciel », sublime les femmes en robe de rêves au jour prodigieux, magnifie les chefs en tabliers élégants.
Dans le paysage bosselé de la belligérance, aux champs de bataille, jaillit, dans les années 60, une picarde piquante aux turbulences assumées, à Mametz, un hameau d’endives : « C’est mort, c’est le Nord ». A Albert, commune de la Somme, dans cet étrange pays de coquelicots, de beaux petits cimetières entretenus à perte de vue, entre betteraves et carrés de pommes de terre, l’enfance ne glisse pas parmi les aïeuls agriculteurs, fermiers et paysans. Le père, d’origine belge, issu d’une famille dévalée du nord pendant la deuxième guerre mondiale, se hisse à l’aube, s’endort la nuit à peine tombée.
La mère, picarde, voit le jour dans le bourg avoisinant. Dans ce lieu curieux, la famille nombreuse affiche des taiseux peu délirants : « Un tableau flamand, rien à manger au bord de la cheminée ». La cadette « perchée » de la « portée », sept bouts de Zan, tranche d’emblée par son corps gracile de danseuse, son appétit aiguisé pour la culture. Les mariages se forcent souvent tôt : « mes frères et sœurs : des fantasmes d’oncles et de tantes ». La fracture de la fratrie n’évince pas la sobriété quotidienne : « nous n’avions pas de beaux habits mais des habits du dimanche ».
L’adolescente passionnée par Vogue et les vogues aime les voyages dans la branche paternelle, en Belgique : « Les Belges, leurs cris, la fête, la joie, les couleurs de la bienveillance ». La gamine aux ancêtres peu sartoriaux ne « connaît pas » son père si silencieux, vainc l’ennui par le tricot, le crochet entourée des grands-mères de la bourgade. La lectrice enflammée passe pour « l’intello du clan ». La première de la classe flaire vite que l’école représente l’unique sortie de l’aporie royale. Une seule hantise : terminer comme ses voisines qui escaladent un bus matutinal pour s’engouffrer dans le potron-minet blâme de l’usine Saupiquet du coin.
Zélia VAN DEN BULKE diffère, rêve d’opéra, de haute-couture et surtout de Paris : « quand je regardais un western, le lendemain j’arrivais en Pocahontas ». Sa farouche détermination ne lui fera jamais défaut : « forte, vindicative, je suis un mec, je n’ai pas peur ». La petite fille qui médite, assise sur une pierre, sur les fleurs et les papillons, évite tous les récifs contondants : « Ne pas se faire mettre enceinte par le premier venu ». Les livres, voyages intérieurs, périples immobiles, la sauvent. Après un Baccalauréat Série B, l’audacieuse se précipite à Paris, à 17 ans : « j’ai peur, j’avais rêvé d’une famille de professeurs », celle-là même chez laquelle elle passe tous ses étés dans la région des Lake district chez sa correspondante anglaise.
En 1983, « la montée à la capitale » s’apparente plutôt à une traversée de la France. Sa mère approuve son choix sans l’avouer car sa fille incarne enfin son désir d’horizon : « Mon père est aujourd’hui au ciel, ma mère aussi. Quand j’ai rangé la maison de mes parents en 2020, dans un cabanon, au fond du jardin, alors que je voulais sauver les outils que mon père avait fabriqué de ses mains, derrière un petit établi, j’ai retrouvé, au fond d’un carton deux petites cartes de visite, la mienne et celle de mon frère qui a eu la légion d’honneur. Ils ne disaient jamais rien mais ils étaient fiers de nous ».
L’arrivée féérique à la Gare du Nord, l’envoûte. La jeune femme grimpe sur la Butte, embrasse le Sacré-Cœur, tombe amoureuse de la place du tertre, siffle des coupes de champagne, se sustente durant des années grâce à ses belles rencontres. La locatrice d’une chambre de bonne, square carpeaux, dans le 18ème, ressent ce quartier en généreux village. La gosse « traîne » au Moloko, célèbre bar-club de Pigalle, bulle à la Cloche d’Or, rue Mansart. Le Paris des années 1980, très festif, l’accueille à mains déliées.
Les rendez-vous nocturnes de jeunes gens en école de théâtre, la fréquentation des artistes intensifient toute son existence : TRUST, Jon BON JOVI, Etienne DAHO, Tom NOVEMBRE, Axel BAUER, Michael LANG, organisateur légendaire de WOODSTOCK, KISS, Tom NOVEMBRE. Avec Jacques HIGELIN, en backstage, la barmaid improvisée compose des cocktails, pique trois fleurs sur des capes. En 1988, la talentueuse invente, ex nihilo, tous les costumes du film « Un monde sans pitié » d’Éric ROCHANT. Les fêtes au Palace battent leur plein : « J’ai un look, je suis différente, je rêve d’être l’amie des stars, je veux vivre avec elles, les comprendre, les accompagner ».
Bien plus encore, la jeune stylée à la Cyndi LAUPER se pense en personnage de roman, crée ses propres vêtements dès 1972 au collège Pierre et Marie Curie, des pulls improbables copies non conformes de ceux des Mystères de l’Ouest. La couturière à la main récupère des vieilles fringues dans les hospices en lisant des histoires aux personnes âgées. « L’ange rayon de soleil » que d’aucuns nomment « Carnaval » se jette dans le tourbillon de la vie. Le réel cogne, la survie galvanise. Avec son physique de mannequin persuadée d’arriver coûte que coûte, la faiseuse de robes attire le regard de Richard SANDERSON qui écrira même une chanson sur Zélia et Zézette avec Alain TURBAN
La passionnée du vintage de la grande époque hip-hop travaille à sélectionner les robes, les recoudre, les relooker. En 1987, les dépôts vente font florès. L’affranchie commence ses collections personnelles à domicile. Un soir, au Privilège, club culte de la rue du Faubourg Montmartre, la singulière croise Christian LACROIX. L’impétueuse ne joue pourtant ni dans le sérail ni dans le caravansérail. L’ambitieuse structurée en quête d’une boutique copine avec la femme de l’organisateur d’évènements Gad WEIL. En 1983, la décidée lui achète son lieu, à MONTMARTRE, sis au 47ter rue d’Orsel.
La croyante que ses proches surnomment « la fourmi » sous-titre sa boutique physique « Sur la terre comme au ciel ». Son nid jouxte les marchands de tissus : « J’aime l’indépendance, un lieu calme qui me ressemble ». Ses fringues « médiévales totalement barrées » rencontrent un succès immédiat. Non loin de Michou, la fantaisiste traverse les époques, brisant l’opposition entre les vrais costumes d’époque et la fédération de la haute couture. En sept ans, sa liberté d’expression hors des carcans fait standing ovation.
La romantique au premier degré qui pratique une « couture intuitive » entre les robes de princesses charmantes au milieu de cargo de nuit et les soirées agitées des MUGLER et GAULTIER, attire l’attention de Patrick SABATIER. Ses amis la trouvent si belle dans sa robe de mariée. Pour la Saint-Valentin, l’excentrique s’offre vingt-deux minutes d’antenne sur le plateau de « Tous à la Une ». L’élégante enchaîne les télévisions : Thierry ARDISSON, Christophe DECHAVANNE, Christine BRAVO. Sa notoriété sur le marché de la robe de rêves explose. L’amie sincère de Didier LOCKWOOD façonne toutes les tenues de scène de Patricia PETITBON.
Entre poésie, littérature et musique, ses créations improvisées l’engagent dans un jazz monacal, une solitude de compositrice : « Je fabrique de mes mains une robe par jour tous les jours de l’année ». Ses robes se transfigurent en armures pour que « les femmes soient les plus fortes du monde ». La féministe revendiquée restitue aux mariées toute leur beauté : « Je ne leurs donne pas la robe qu’elles veulent mais celle qu’il leurs faut ». Ce service singulier exige de goûter le parfum dilaté du temps, de choyer des êtres.
Zélia VAN DEN BULKE désirait, depuis quelques années, une autre parure, sans taille, unisexe. En 2017, une magnifique idée surgit : revisiter le tablier beau comme une robe. Vêtements de salle, de réception ou d’apparat, les tabliers siègent aujourd’hui à côté des robes de mariées : « je les fais avec mon cœur ». En artiste inspirée par des histoires, la reine du tablier invente des pièces uniques, des séries limitées pour Christian ETCHEBEST, Gilles MARCHAL, Le Jardin Sucré ou encore Sébastien MAUVIEUX.
La « princesse » ne singe pas l’« armée ». Des pop-ups stores genevois aux vêtements de marché, ZEZETTE habille les stars en mode streetwear. Les habitants du quartier qui, en été, regardent les glaçons tomber du ciel dans les Ricard, admirent, en 2023, la costumière des chefs qui fit irruption il y a plus de quatre décennies dans la famille montmartroise.
Photo Pascal Segrette