Par Fabien Nègre
A Montjean-sur-Loire, dans la triangulation Angers, Nantes, Cholet où les paysages tracent vignes et vergers, la petite fille, tête bien sculptée et emplie, passe des heures olympiennes à écouter les femmes de la famille conter des légendes. La grand-mère maternelle et la tante se singularisent par leur humour et leur style. A six ans, l’enfant déjà bien éveillée collectionne les photos des magazines de mode de sa marraine, Vogue et Vanity Fair : « Des images et des mots, des parcours et des rêves. Je me demandais comment convertir une image en histoire ». Des personnalités culminent dans l’imaginaire vital de sa lignée.
La généalogie rhizomique s’étend de l’Italie à l’Espagne, de la Bretagne aux Amérindiens. La farouche que rien ne pétrifie déchiffre ipso facto les équations énigmatiques de l’enfance. De ses grands-mères héroïques corse et polonaise à l’infinie bonté au grand-père homérique, résistant évadé, décoré par le Général De Gaulle, négociant en vins, flutiste et chef pompier bénévole, la bambine s’imprègne des odeurs de la terre.
En noble héritière aiguisée par l’humilité de l’interprétation, l’élève de maternelle décrypte tantôt le monde tel un théâtre : « Je voulais tout décoder : une couleur, une attitude, un positionnement, un mot, un rictus. Je me mettais au spectacle des personnages ». Ce puzzle chamarré de l’air domestique, tour à tour citadin ou pastoral, bourgeois ou plus bohème, concorde avec des horizons générationnels variés face à une modernité impériale de pertinence. A dix ans, la délicate préadolescente, en secret, s’initie au vin avec son oncle dans les fragrances des chais du vignoble ligérien familial : « Les bouteilles, les étiquettes, les blancs, les rouges, traduire un esprit en trace ».
Fille éduquée seule dans un monde d’adultes, la contemplative effrénée traverse les éclats de la nature : « couleurs, églises, toits m’émerveillaient. Ma grand-mère paternelle avec laquelle je plantais des rosiers m’enseignait dans les bois que rien n’est plus beau que le jaune d’une marguerite ». Les leçons d’esthétique affleurent du réel. A sept ans, la danseuse classique glisse dans l’eau grâce à sa mère. A dix, l’amoureuse du chiffre 11 remporte le championnat de France de natation synchronisée. Son corps s’élève par des valeurs cardinales : discipline, courage, rigueur, abnégation.
La compétitrice hors-normes s’impose, dès lors, par son charisme et son autorité : « apprendre simplement en montrant le beau et la beauté ». L’adolescente visite les parfumeurs de Grasse avec sa tante. « Shalimar » de Jacques Guerlain, expression ultime de la sensualité fémininité, la bouleverse. La jeune femme qui s’imagine journaliste reporter de guerre tranche. Elle œuvrera dans le cosmos des parfums en lien profond avec les grands crus : « au fond, j’aimais raconter une note d’agrume, de citron, de bergamote, de la rose et de l’iris, du jasmin, de l’encens puis de la vanille, et de l’opopanax ».
En 2001, la titulaire d’un baccalauréat sciences économiques et sociales obtient ensuite une maîtrise de langues étrangères appliquées puis un master de communication des entreprises. Pour son stage de fin d’études, la loyale écrit une si belle lettre manuscrite à la directrice des ressources humaines de GUERLAIN, si touchée par son histoire de parfum dans un centre équestre saumurois, qu’elle rejoint le siège durant six mois : « j’ai compris la structuration des divisions d’un grand groupe, l’attachement aux détails, la minutie, la précision, l’international au cœur du dispositif ». En 2001, à la veille du 11 septembre, l’européenne fervente s’apprête à signer avec CARTIER. La sidération givrera tout recrutement au siège du célèbre bijoutier de Richemont.
Sa rencontre nodale, quelques mois plus tard, avec Nelly BICHE, créatrice de la marque de bijoux fantaisie BICHE DE BERE affermit définitivement sa volonté. En mars 2002, la première vendeuse des trente-quatre boutiques françaises met en œuvre, ex nihilo, le service marketing et communication de la société de prêt-à-porter. Durant six ans, l’enjeu international la galvanise. La fidèle ambassadrice architecture sa clairvoyance mondiale et diversifiée des marchés. Le 29 juin 2008, date précise à laquelle son grand-père, amateur de la liqueur d’écorces d’orange angevine, aurait atteint le siècle, l’aristocrate charitable esquisse ses premiers pas chez Rémy COINTREAU.
Celle qui croit au festin du destin aborde un autre monde, très masculin, celui des spiritueux. L’ambitieuse jeune femme, enfant précoce du numérique grâce au mari de sa mère, créateur de site internet pour les entreprises, qui lui offrit un ordinateur à cinq ans, opère les transformations digitales dans les codes du luxe et change le regard : « une marque désuète qui devait prendre le tournant du cocktail ». Cette mère de deux filles prénommées Louise et Léonore qui transsubstantie COINTREAU de la poussière à la lumière maîtrise l’art des atours et des alentours d’un produit, des tableaux aux égéries.
Cette stylisation de vie, mieux, cette esthétique de l’existence qui consiste à faire de sa vie une œuvre d’art, Maud RABIN la chorégraphie chaque jour. Son prodigieux penchant à harmoniser un plan de lancement de millésime, un spectacle, un univers sémantique s’origine sans doute dans la « natation synchronisée », selon sa grande amie Laurence BENAIM, biographe d’Yves Saint-Laurent : « J’ai positionné Cointreau comme un parfum. Le luxe est la simplicité de la sincérité ». Cette voyageuse en solitaire partout sur le globe en toute improvisation qui ne chérit rien tant que les idées qui germent dans son cerveau comme « l’expression dentelée d’une vision » relève aussi en permanence des défis entrepreneuriaux.
En 2017, Damien LAFAURIE, son ex-patron chez Rémy Cointreau, Président « Vins & Champagnes » du Groupe EPI (J.M. Weston, Bonpoint, Château La Verrerie, Biondi-Santi…) l’appelle afin de lui proposer de prendre en charge la scission entre RARE CHAMPAGNE et PIPER-HEIDSIECK. Depuis 2018, la petite dormeuse qui ne recouvre le sommeil qu’en pensant au beau, à ses plans et projets pour chasser les mauvais démons, transforme une maison champenoise en maison de luxe. Celle qui n’attend personne s’avérait pourtant très attendue puisqu’elle succède avec ses équipes et Emilien BOUTILLAT, actuel chef de cave, à Régis CAMUS, l’un des hommes les plus emblématiques de la champagne, huit fois consacré, entre 2004 et 103, «Sparkling winemaker of the year», meilleur chef de cave du monde. A son départ, en 2021, Rare Champagne 2008 remporte la distinction suprême de meilleur champagne de la planète.
La quille dorée à la tiare régalienne à la complexité florale et exotique finissant sur une note épicée, aujourd’hui signature à part entière, voit le jour en 1976 dans des conditions climatiques hors normes. La marque s’attache à sélectionner les meilleurs crus des cépages champenois vinifiés individuellement pour un assemblage complexe. Pinots noirs de Verzy et chardonnays de la montagne de Reims s’y harmonisent dans une effervescence somptueuse et une vinosité inouïe. Depuis lors, seules les rares années où la nature l’emporte apparaît une cuvée exceptionnelle.
En 1885, pour le centième anniversaire de la présentation de la première expression prestige de Piper-Heidsieck, la reine Marie-Antoinette commanda une bouteille unique. Pour cette occasion, Pierre-Karl Fabergé, joaillier du tsar Nicolas II, réalisa un flacon rehaussé d’or, de diamants et de lapis-lazuli. D’une certaine façon, le premier Rare Champagne. Après une mise en sommeil, cent ans plus tard, Van Cleef & Arpels imagina un écrin surprenant pour Rare Millésime 1976, né l’année de la sécheresse en France. Son design s’inspire de la bouteille originale de 1885 : la pinte majeure.
Cette cuvée Rare, stylisée en 1985 par le designer Arthus Bertrand, évolue pour différer. La bague rouge et le nom Piper-Heidsieck s’effacent pour laisser toute sa place à la « Rare » entre or et noir. Quant à la fameuse tiare royale, elle fait l’objet d’une simplification. Quatorze millésimes seulement à ce jour : 1976, 1979, 1985, 1988, 1990, 1998, 1999, 2002, Rosé 2007, 2008. Leurs caractéristiques ressemblent à s’y méprendre au caractère de Maud RABIN fondé sur le respect quotidien : « Je pars des vignerons qui respectent la nature, le respect du temps, le vin dort entre huit et dix ans. Le respect des valeurs terriennes ».
Le cœur importe au plus haut point pour l’accompagnatrice des tendances et des révolutions numériques qui n’omet jamais le passé et l’histoire : « Quand on réfléchit avec son cœur, on a raison. Il ne faut pas le dérouter, comme le rêve, chercher l’émanation entre le cœur et l’âme. Le rire qui vient du cœur ». Celle qui élève la grâce dans le futur d’un ancrage estime la pensée chinoise pour éclore plus haut et plus loin : « crise signifie opportunité, prévoir et préparer les portes de transformation en jouant, cacher parfois son cœur pour jouer avec puissance, générosité, positivité pour dépasser les revers et transformer le regard, le Give back to community ».
RARE CHAMPAGNE symbolise une entité haute-couture, signature soyeuse, poésie d’une robe et ses notes de couleurs. Maud RABIN crée avec Alexis MABILLE, un défilé sur le Champagne, des dégustations mirifiques dans son showroom parisien pour présenter la collection des 14 millésimes. Elle tire la Maison vers la haute joaillerie avec la collection MELLERIO 2018. En l’honneur de la révélation du Millésime 2013, Rare Champagne collabore avec Arnaud LAPIERRE, designer artiste français engagé dans des créations immersives et narratives, porteuses de sens et ancrées dans l’éco-responsabilité. Il présente cette année une œuvre sculpturale monumentale et fluide nommée « RISE », reflet visuel d’un soleil d’automne rayonnant.
RARE CHAMPAGNE, joyau de la Champagne, voyage dans les raisins lumineux et les pierres précieuses issues de la terre, inspire la gastronomie, les arts et les beaux-arts. Dans la nature, la radieuse « directrice artistique » sollicite les signes de ses ancêtres, médite le sublunaire : « l’eau seule m’apaise immédiatement, je contrôle mon souffle en calme apnée ».
Enthousiaste énergique, empathique émerveillée par la spiritualité, seul remède vital à la mélancolie, Maud RABIN façonne avec cœur, des battements de sa fraîcheur dans le silence des bassins aux pulsations des égards pour le sens et la valeur du lien avec le monde : « Ma grand-mère paternelle donnait tout son argent à des associations ».
Photos Marco Strullu