Né en 1957, fils unique, notre breton des côtes d’Armor, voit le jour dans un milieu de bouche. Le père, chef cuisinier dans la marine marchande, et la mère, boulangère ouvrent le bal. Ils lui vantent la compagnie « La Cannaise », ses pétroliers, ses croiseurs puis le célèbre remorqueur d’intervention d’assistance et de sauvetage « Abeille Flandre », supplanté, en 2005, par l’« Abeille bourbon ». Dans « les côtes du pays de la mer », la valeur du travail et la force des produits décrètent. « L’argent ne tombe pas du ciel », Jean-Yves LEURANGUER endosse toutes les tâches de la maison, puise le goût du coquillage dans la délicate pêche aux ormeaux qui attise le rêve. Le paternel, lors de fêtes amicales de retour de campagne, taquine le colin et feu le saumon du Trieux. A 16 ans, notre chef en herbes accompagne la maman : « Merveilleuse cuisinière, rapide, du sublime avec rien ». Après le BEPC, l’école traîne. En 1973, décision prise : « J’avoue à mon père que je veux faire cuisinier ».
Première saison d’essai sur l’Ile-de-Bréhat, au « Chardon bleu». Redoutable entrée en matière : « Gratter des moules et des frites toute la journée. Je ne savais pas combien de temps cuire un œuf dur. Le patron avait cassé tous les œufs sur les murs ». Après l’Ecole Hôtelière de Plésidy, notre humble effacé déterminé arpente la Haute-Savoie, Saint-Gervais-les-Bains. « Mes parents me suivent, m’encouragent ». A l’Hostellerie du Nerey, « une clientèle d’hôtel dans une très belle petite maison bourgeoise » officie l’ « extraordinaire » Georges MOISSET. Infortuné finaliste du MOF 1976, ce fou de gastronomie nostalgique de l’agitation parisienne des années 50, transmet une vie : « ce personnage colossal me passe sa passion ». A 19 ans, notre timide gourmand déboule au Concorde Lafayette. En pâtisserie, le brillant Jean-Louis BERTHELOT, MOF à 25 ans, décédé à 28 ans d’une leucémie, traumatisa la mémoire du chef du Fouquet’s.
Au Cercle militaire, notre tendre cuiseur découvre « la folie intégrale des 2000 couverts assis en banquet ». Un chef hors pair, Mr SEMBLAT, enseigne l’organisation et la délicatesse de l’art du banqueting. A Cannes, auprès de l’immense Christian WILLER, Jean-Yves LEURANGUER apprend à désapprendre. « Je croyais tout savoir, je ne savais rien du tout. WILLER, un maître, le pédagogue de la rigueur. Une rareté d’hétérogénéité revue et corrigée par une puissance de conception et de pratique. Une remise en cause, une autre vision, la modernité de la cuisine». Le Martinez : un mythe d’ors et de lumières. « Là, je rencontre aussi le plus grand : Maximin. Le Roi, la folie du seigneur, le funambule du génie. Des trouvailles quotidiennes, un tressaillement ». Cette plaisanterie d’éternel apprenti durera 17 ans. « Très dur, la rigueur absolue mais formatrice ». La brigade du paquebot compte de futurs grands : Jean-Marie GAUTHIER, Joel GARAUD, Philippe LABBE, Patrice HARDY.
A 45 ans, le MOF trottait dans la tête de notre sédentaire aventurier. Après une première tentative infructueuse en « seigneur qui se ramasse », Jean-Yves LEURANGUER obtient le trophée sésame en 1996 dans une promotion imposante : Philippe LEGENDRE, Guy KRENZER, Bernard LEPRINCE, Christian TETEDOIE. Notre attachant personnage dirige, depuis 2002, les 1200 couverts par jour du service de l’un des plus prestigieux établissements des Champs-Elysées. Une brigade de 50 chefs, 12 pâtissiers : un voilier en marche. Une clientèle très spéciale : people, artistes, show-biz, politique. Robert HOSSEIN et son merlan, Charles AZNAVOUR et son navarin d’agneau, Danielle GILBERT et sa salade aux artichauts et œufs pochés, Patrick POIVRE D’ ARVOR et son risotto aux rougets et à la moelle de bœuf, Omar SHARIF et sa folie de bouche : honneurs et hommages aux vrais chefs de Palace dont personne ne soupçonne la surcapacité à servir, au sens le plus noble du vocable, les saisons et les hommes, les artistes et leurs lubies.
En patron des cuisines, ils orchestrent la production de toute la chaîne de l’alimentation. Leur inquiétude quotidienne infinie se concentre tantôt sur l’hygiène, tantôt sur la sécurité. Restructuration des normes, verrouillage des procédures ISO 9001 : autant d’absolues vigilances concernant les six points de vente (Le Diane, La Brasserie, Le Joy, le restaurant Fouquet’s et son Club, les banquets, le room service) de ce lieu majestueux où stars de cinéma, animateurs de télévision et autres célébrités de la presse et de la politique s’attablent. Jean-Yves LEURANGUER, en professionnel virtuose, maîtrise toutes les influences, asiatique, sudiste. Sa manière ultramontaine de nostalgique des traces de la riviera, sa cuisine à l’huile d’olive instruite par l’alsacien de la Croisette, fabrique les trouvailles d’un style presque invisible. « Je m’adapte à la région et aux produits que je repère dans cette région. Le plus beau marché du monde demeure, le Marché Forville, à Cannes. Ni à Bangkok, ni au Japon, n’existe un tel raffinement d’étals, de la salade aux légumes et surtout aux poissons. Mieux que les langoustines du Guilvinec, le Saint-Pierre de méditerranée, la dorade, le rouget ».
Une exception notable, le prince des crustacés : « Je préfère le homard à la Cigale, j’aime tellement le bleu de Roscoff ». Avec Paule NEYRAT, pointilleuse diététicienne réputée qu’il connaît depuis les stages de la Fondation ESCOFFIER (Michel BRAS, Ferran ADRIA, Pierre HERME, Christophe FELDER) au MARTINEZ, il élabore une version forme : « faire la cuisine, un parcours de fibre. Tous les matins, depuis 2006, je me lève pour l’étoile ». Chaque trimestre, il organise des quatre mains (Régis MARCON, Philippe LABBE, Alain LORCA, Gérald PASSEDAT, Philippe ETCHEBEST, Stéphane RAIMBAULT). Il défend l’encart italien (pâtes, risottos) de la brasserie. Il instaure des menus enfants maison et des purées minute pour bébés. « Les enfants d’abord ». Chaque jour, 30 poulets rôtis frites maison sortent des cuisines. Deux personnes taillent 350 kilos de pommes de terre au couteau.
En voyageur aéré, Jean-Yves LEURANGUER savoure tous les goûts du monde. En Thaïlande, il scrute toute l’altérité des saveurs. Etonné par la puissance du basilic et des échalotes, bousculé par les techniques du wok, il oublie la cuisine à l’anglaise, déchiffre la nature des traitements, retourne la logique insidieuse de la vapeur des bouillons de légumes. Epaté par l’efficacité américaine des cuiseurs à bain d’huile, sidéré par le français newyorkais Daniel BOULUD, « gastro volume à trois macarons », le Chef du « Diane », sensible taquin, s’enrichit de ses chocs gustatifs glanés partout : « Veyrat m’a retourné, Chapeau à l’homme au chapeau !». Esthétique de l’assiette, torsion des textures, ravage des envergures, rien de superflu. Brûlant, il poursuit : « Au Diane, j’ai des remerciements tous les jours, une émotion sans nom ». Adepte des trois lignes qui ne se saturent point, il convoque un produit d’époque dans son balancement. Obsédé par le piment d’Espelette basque, loin de l’excès de puissance, notre breton sudiste affectionne les pêches de lac, fera ou omble chevalier. Enivré par le coquillage, les poissons plats de ses côtes bretonnes, il n’exclut pas pour autant les herbes, aromates dans la profondeur iodée du rouget cannois. « Rien ne vaut les petits poissons de roche ! ».
« A Perros-Guirec, je pleure devant les rochers, un horizon mélancolique ». De Guérande, Jean-Yves LEURANGUER sauve le sel, contrapunctique de la suavité du poivre maniguette concassé au moulin, n’en déplaise aux sorciers des sauciers, aux chimistes détraqués. Travailleur inlassable, un seul sujet l’irrite, l’idée d’une cuisine trafiquée : « L’ESCOFFIER structure l’ADN de la cuisine française, une base merveilleuse, réfléchie, équilibrée». La juste cuisson. Les nuits fiévreuses, il s’éveille, songe aux côtes de veau épaisses du Palace de l’avenue George V, moelleuses telles les rêves.
Le Diane
46, avenue George V - 75008 Paris - Tel : 01 40 69 60 60