PIERRE OTEIZA : ÉLEVEUR ARTISAN DANS LA VALLÉE DES ALDUDES

On aime : beaucoup...
Espiègle jeune apprenti boucher à Paris, laborieux coriace depuis toujours, discret sauveur du porc pis noir de la vallée des Aldudes, humble dirigeant social d’un réseau de 50 salariés, Pierre OTEIZA, exportateur de sa culture aiguisée du cochon au Japon mais aussi aux USA...
Par Fabien Nègre

Espiègle jeune apprenti boucher à Paris, laborieux coriace depuis toujours, discret sauveur du porc pis noir de la vallée des Aldudes, humble dirigeant social d’un réseau de 50 salariés, Pierre OTEIZA, exportateur de sa culture aiguisée du cochon au Japon mais aussi aux USA, ne lasse pas de surprendre par son immense sagesse ainsi que son sens altruiste de la convivialité entouré de son amicale de copains rugbymen (Denis LALANNE, Jean CORMIER, Pierre ALBALADEJO).

Dans la Vallée des Aldudes, trois villages épars plissent l’horizon : Balca, Aldude, Urepelle. A Aldude, parmi 350 habitants, notre petit paysan pudique ouvre haut ses yeux le 6 novembre 1955. Entre Pampelune et la côte Basque, aux voisinages de Ronceveaux, le père, agriculteur, régit une ferme traditionnelle de 15 hectares : manèches ou brebis à tête noire, agneaux de lait et têtes rousses paissent paisiblement. 6 vaches, 6 cochons, 24 poules, 12 lapins ferment le patrimoine, tirés par trois chevaux libres dit « pottock » (prononcé potiok : cheval de petite taille en basque). Dans cette fratrie de bergers, les équidés aux longs poils rentrent le bois et la fougère. La jouvence du commencement : «J’ai passé une merveilleuse enfance entouré de l’amour de mon frère et de ma sœur».

Notre taiseux au Beret indécollable passe son certificat d’études à l’Ecole des Aldudes. La scholastique ne lui sied guère. La maman s’inquiète : «Ma mère voulait que je prenne un métier car j’aurais fini contrebandier». Curieux de tout, notre cancre savant apprend sans lire car le temps fuit entre ses doigts. A 15 ans, en 1969, il file à Paris, chez l’oncle paternel, Louis OTEIZA, boucher-charcutier rue Saint Didier 75016. Paris ne fait aucune messe ni kermesse mais impression de « découverte ». Premier jour de travail, préparation de l’étalage à 3h, première livraison à vélo, après le casse-croute, chez Madame BELMONT 17, rue Menil. Impossible de trouver, la peur, la catastrophe.
«Je ne savais rien de Paris, je savais mes montagnes et les champignons, je ne savais pas que toutes les rues portaient leurs noms dans l’angle. J’ai finalement livré. Dans ma vie, je trouverais toujours une solution à tous les problèmes qui se présenteraient, la première chose est le bon sens». Travailleur colossal, judoka exercé, amateur de musique, notre adolescent «sans aucune ambition», talonne l’apprentissage d’un métier chéri : sculpture de la matière, style de découpe, magie de la bête décortiquée, proximité de l’animal, régalade des clients aux visages rougis par les bonheurs de bouche. Notre chevillard en herbes obtient son CAP en 1973. Paris, pendant cinq années pleines, logé, fourni et blanchi, pivote au rêve merveilleux malgré les maigres appointements.

Avec une quinzaine de garçons et filles infirmières, les fêtes joyeuses tourbillonnent, une «communauté en bamboula» ravive les irréductibles affinités basques. Dans le pot commun de cette démocratie miniature, «les femmes ne payent jamais». Le dénervage dans les boucheries chevalines renfloue les caisses. Les plaisirs des solidarités. « Jamais de plans ». Le 20 janvier 1975, le palpitant du paternel mollit, retour aux pâturages. «Je prends la suite de la ferme, personne ne voulait». Un autre oncle, agriculteur à Hasparren, bricole la bâtisse. Le 1er février 1975, bien loin de l’agitation parisienne, Pierre OTEIZA empoigne les rennes de sa propriété avec une «petite nostalgie dans les veines» mais «les montagnes qui n’en finissent pas» l’émeuvent davantage que la Tour Eiffel ou le Champ de Mars.

A la vingtaine, notre bourreau de travail défriche, clôture, propulse sa production de lait de 800 à 4 500 litres annuels. Notre agriculteur frais et émoulu essaie «d’améliorer les ruines, les cerisiers dans la prairie». A 22 ans, sa mère le porte. «Tueur de cochons et de veaux. Trois métiers en même temps». Notre force de la nature, gouteur de fines eaux de vie de poire, ne dévie jamais d’une once. Sortir du statut d’ouvrier agricole pour posséder ses propres terres. A 23 ans, il devient indépendant. Le jour de son quart de siècle, par une rayonnante intuition, il bascule en charcuterie, à Saint- Etienne de Baigorry, pour comprendre l’abattoir. Pendant 12 ans, il dirige la NOUREPPE SA. De 1982 à 1987, notre taquin charcutier associé court toutes les foires de Navarre. «J’étais toujours en foire, un bon foireux».

Un seul regret : son père, décédé en 1982, ne verra pas l’œuvre accomplie. «Je n’ai jamais senti, voulu quelque chose de différent, cela ne s’explique pas mais se fait. J’aime les grands aboyeurs qui font le complément, je demeure silencieux». En 1987, l’entreprise « Gastronomie de la Valée des Aldudes » voit le jour. Par-delà le fermage et l’élevage, notre précurseur, père de trois enfants dont Céline qui préside aujourd’hui à la VPC et la qualité de la PME, développe, transforme.

Réinventeur de la race de porc noir de la vallée, il passe de 2 à 2000 porcs. «Sauver une race». Cette fondation d’une structure identitaire résistante relève de toute la philosophie basque. L’etchea (la maison) nomme l’ancrage sacré, pierre d’angle et clef de voûte de la vision basque.
«De quel maison sors-tu ?», telle demeure la question basque. Avec son humilité presque baroque, Pierre OTEIZA relance : «Je n’ai jamais eu de révélation, j’ai avancé avec beaucoup de chance, de hasard et de travail, je ne sais pas mais le noyau était bon». Encore plus politique, sans doute plus fort : «Ce que j’ai fait, n’importe qui peut le faire, j’ai surtout respecté tout le monde, à l’intérieur et à l’extérieur, j’ai lâché des places pour faire ma place». Dans cette juste tentative de promotion de l’ici (porcs, paysages, agneaux, truites de montagne, fromage de brebis) pour un ailleurs, se tient la simplicité amicale euscarienne. «Nous avons bataillé longtemps mais nous avons une communion mystique ici, il y a des choses qu’on ne comprend pas dans cette vallée. Chez nous, même les bouteilles dansent ».

Evinçant la pression récurrente des banquiers, notre spécialiste de la saucisse sèche contrevient aux règles les plus élémentaires de l’entreprise moderne : stockage conséquent, lenteur des productions, résultats faibles, prix élevés. Opiniâtre, obsessif de la séquence semestrielle situation-bilan, notre taciturne épris de l’écoute des tablées improvisées qui vibrent à l’unisson des joies fugaces de la vie, prévoit loin, voit vite. Pour ses 50 ans, Pierre OTEIZA voyageait sur les traces de son père, berger pendant six ans dans le Wyoming (USA). Une seule sensation lui arracha des larmes : «J’ai été très impressionné de faire quatre heure de route sur la même montagne». Au pays basque, depuis toujours, les maisons regardent les Amériques et l’Argentine.

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