Philippe Renard, un chef passionné et doué
Par Maxime Landemaine
Le chef Philippe Renard, volubile et facétieux, sévit au restaurant gastronomique du Lutetia, LE PARIS , et à la brasserie de l’hôtel depuis 21 ans.
La salle à manger du Paris, réplique de celle du paquebot Normandie née de l’imagination de la décoratrice Sonia Rykiel, en impose par ses boiseries, sa moquette épaisse et ses tons chauds.
On s’y sent comme dans un cocon, idéal pour déguster une belle cuisine bourgeoise revue au goût du jour et préparée à partir de produits ultra-frais. Philippe Renard, heureux détenteur d’une étoile au Michelin après avoir fait ses armes chez Troisgros à Roanne, Lameloise à Chagny et Loiseau à Saulieu, change sa carte au moins six fois par an en fonction des saisons.
Chaque met, une première, est disponible en demi-portion, pour permettre aux dames de se faire plaisir tout en surveillant leur ligne et aux messieurs de débourser moins.
Parmi ses réussites, on ne saurait que trop recommander le homard breton posé sur une semoule de kamut aux betteraves multicolores et au citron confit et le ris de veau cuisiné en deux façons, doré à la pistache et au piment d’Espelette et piqué au magret de canard.
Quant à sa trilogie de desserts tout chocolat, en barre, en cône craquant sur le dessus et moelleux en dedans et en boule fondante, elle est tout simplement à se damner.
Quelquefois, le chef fait l’insigne honneur de recevoir à table dans son bureau, face aux cuisines, des amis, des personnalités ou bien des journalistes. Ce fut après un repas de ce genre, mémorable, qu’il s’est volontiers confié sur son métier.
L’étranger
J’ai beaucoup voyagé et ça m’a permis de côtoyer des gens fabuleux et de m’élargir l’esprit. Les gens recherchent une cuisine française traditionnelle, avec de belles couleurs. Ils aiment le côté convivial des repas français, pouvoir ripailler, boire, déguster et chanter. Les étrangers sont assez stupéfaits de nos produits qui varient en fonction des saisons.
En Alaska, par exemple, ils mangent du gibier archi-cuit et quasiment les mêmes produits de janvier à décembre. Sans vouloir dénigrer la région, l’endroit où l’on mange le mieux là-bas, c’est tout de même le McDonald’s.
Dans un pays proche, j’avais préparé un repas aux garde-côtes. On était allé chercher le poisson en hydravion et je leur avais cuisiné les meilleurs produits. Je leur avais préparé le saumon de sept façons différentes, en jouant sur le mode de cuisson, et ils étaient émerveillés. Je leur avais même préparé un dessert, à base de fruits frais, alors qu’ils ne savent même pas qu’on peut manger du dessert là-bas.
C’est vrai que les voyages sont bénéfiques car ils permettent de dénicher des produits différents qu’on peut ensuite ajouter au menu.
Les produits
Il faut savoir cuisiner les produits au moment où une saison leur est propice comme les Saint-Jacques ou les cèpes. J’ai la possibilité d’imprimer ma carte tous les jours donc au moment où je ne suis plus approvisionné en un produit quelconque, je la change.
La biche est disponible pendant trois mois, le perdreau arrive début novembre et disparaît assez vite du menu.
Par exemple, les Saint-Jacques d’Erquy sont pêchées entre midi et 14h du côté de Saint-Brieuc, elles arrivent à quai à 16h, sont montées dans le camion à 18h, arrivent à Rungis vers minuit, dans mes cuisines entre 6h et 8h du matin et se retrouvent dans l’assiette de mes clients à midi. La Saint-Jacques est encore translucide, elle bouge encore et est pour tout dire magnifique.
Pareil pour le jambon à pâte noire qui vient du Sud. Je vais passer la commande le soir, le camion part à 23h, arrive à 6h à Rungis et à huit heures, le jambon se retrouve dans les cuisines du Lutetia.
A un moment, j’achetais du porc avec 60 % de graisse et 40 % de viande et il était topissime. Le porc est croisé, moitié sanglier moitié cochon, avec un cul noir et résultat, le jambon dans l’assiette est magnifique.
Je cuisine aussi le marcassin mais en fin de saison, c’est une viande nettement plus gouteuse que le porc. Pour la viande de Salers, elle est présente à la carte toute l’année.
Pour ma part, les produits que j’adore le plus travailler sont le bar, la langoustine et la côte de veau.
La brigade
On est 52 en cuisine, 7 jours sur 7. Le premier qui arrive est un pâtissier à 5h du matin et le dernier qui part un autre pâtissier à 0h30. On sert en moyenne 1200 couverts par jour, en comptant la brasserie, le restaurant gastronomique et 5000 m2 de salons pour les banquets plus 230 chambres. Rien que pour les petits déjeuners, on sert 300 couverts tous les jours.
Tous mes seconds peuvent être chefs demain. Quand je ne suis pas là, deux d’entre eux sont là pour me remplacer tout le temps.
Le Lutetia
Je me sens bien ici. Cet hôtel est magique, les gens que j’ai pu croiser ici m’ont beaucoup enrichi. Et comme je suis un éternel insatisfait, je continue d’avancer. J’attends 2013 tranquillement et ensuite j’irai voir ailleurs. Car pour l’instant, on ne sait pas si l’hôtel va fermer complètement ou en partie en 2013, on attend les décisions de la direction.
Depuis que je suis ici, on a annoncé plusieurs fois que l’hôtel allait fermer et jusqu’à maintenant il ne s’est jamais rien passé donc on verra bien. Si l’hôtel ferme, on sera prévenu un an avant, on va encaisser un gros chèque et en ce qui me concerne, l’avenir ne m’inquiète pas, il y a du travail à Paris.
Pourquoi pas ouvrir mon propre restaurant, c’est une perspective envisageable…
Le moléculaire
Il faut arrêter avec ça. Les gens peuvent manger de la mousse, du vent mais au bout d’un moment, arrivent à saturation. La plupart des cuisiniers qui se lançaient dans l’émulsion ont tout arrêté et ont choisi de revenir vers des fruits entiers. Thierry Marx continue à employer de l’azote liquide, c’est amusant, mais il faut qu’il revienne à la vraie cuisine qu’il sait faire divinement.
Hotel Lutetia, 45, boulevard Raspail - 75006 Paris.
Restaurant Paris
Menu à 65 € au déjeuner et 75 €. A la carte, environ 120 €. Accueil du lundi au vendredi jusqu’à 14h et 22h. Tel : 01.49.54.46.90.
Brasserie Lutetia
Formule à 37 € et menu à 45 € au déjeuner. A la carte, environ 60 €. Accueil tous les jours jusqu’à 14h et 22h45. Tel : 01.49.54.46.76.
Photos : J.Bourboulon - J.F. Krettly.