Biterrois pur parisien, fondateur des ultra confidentiels «Wine-Dinners», lumineux doué pour le bonheur intense, diligent industriel retraité, créateur de l' «Académie des Vins Anciens», comète de la cosmogonie terrienne des chercheurs de «rêves liquides» selon l'onirique mot de Jacques PERRIN, François AUDOUZE, obsessif jouisseur de la maîtrise dans l'excès nietzschéen, par sa sensuelle intelligence de gourmandise vitale, dépayse les vaniteux happy few de l'étiquette introuvable, évince tous les pédants byzantins de l'ampélographie.
A Béziers, en 1943, les vignobles faillissent au pays natal. Pourtant, à huit ans, l'enfant agile arpente les pentes raides des treilles de banyuls, à fleur d'océan. Le grand-père maternel, un des fondateurs du groupe familial de distribution d'acier, HARDY-TORTUAUX (4 000 personnes), reçoit, en haut bourgeois. Les parents ne pipent goutte. «Exceptionnelle exception», le titi curieux tire le pampre de messe, contemple les œuvres des moines, derviches tourneurs des «danses rabelaisiennes». A nous le beau Paris des années 50. Le protecteur, ORL militaire, «ne connaît pas le vin. Il n'a jamais bu Latour, Pétrus ou la Romanée Conti. L'obsession vient d'ailleurs». Au sortir de la seconde tragédie du siècle, les français ignorent le sang de Dieu.
Une invisible élite, britannique ou américaine, réserve ses vins. La culture œnologique française de l'acquisition déserte même le dessert. Ni «Cheval, ni Haut-Brion». Les caisses de prestigieux Bordeaux voguent vers Londres. «Seuls quelques privilégiés, proches des propriétaires, accédaient à ces étiquettes». La Famille élargie exerce l'art de la table, la civilité des fastueuses réceptions. La mère excelle aux travaux culinaires. Notre émerveillé par la surprise, ravi de talonner son interrogation sur le commencement : « Le vin ne formait pas un sujet de famille. Il n'y aucune excroissance quelconque portant mon entourage, de près ou de loin, à s'intéresser au vin même en milieu bourgeois».
Par l'heureux hasard de la capillarité autodidaxique, le paternel soigne, entre 1950 et 1960, le premier maître d'hôtel de la « Tour d'Argent »***. Le clan AUDOUZE installe ses habitudes dans ce « fascinant restaurant » : «des centaines de quenelles de brochet, des centaines de visites de caves». Dans la résidence domestique de l'Est parisien, le repas fonde l'ancrage d'un évènement dominical orchestré par les quatre grands-parents, les conversations incommensurables autour du rite des vins et des spiritueux. «Très tôt, très vite, gourmand et gourmet, j'achète une maison, je reçois énormément, le repas devient naturel, important, festif».
Au dehors, en ville, notre joyeux drille de la suavité des élixirs colle à son temps : «Je voulais en être, fréquenter les bons et beaux endroits. Je fête ma première année de mariage chez « Maxim's »*** et ses diners dansant du vendredi». En ces doux automnes, PARIS bruit du gracieux linge : Salvador DALI, Aristote ONASSIS, Amanda LEAR. Notre savant gouteur se précipite chez LASSERRE*** puis, instantanément, chez LEDOYEN*** : nappes en dentelles, couverts en vermeil. «Un émerveillement, une fascination. Aujourd'hui, la cuisine de Christian LE SQUER s'efface devant le vin, un succès assuré».
Dans l'allégresse incurable de l'affirmation, l'extase évanescente de la satiété, notre simple amateur diffère par sa personnalité originale dans la société du goût vouée à la conscience intime de la tragédie et l'excitation infinie de la vie. L'inventeur de la méthode de rétablissement des vins antiques, distingue trois catégories de chefs : les « sensibles », les « indifférents », les « étrangers ». Nonobstant leur immense talent, peu de cuisiniers souffrent de fondre la dimension du vin dans leur répertoire. «Alain SENDERENS, exceptionnel ultra-sensible». Notre père de trois enfants (1967, 1969, 1974) avoue, dans une rêverie subreptice : «je bascule, envahi par le vin».
En jeune pousse qui plaisante sérieusement, parfois enfiévré tel un styliste, notre rare X à 18 ans, PDG à 21, chérit l'atmosphère agonistique de la taupe de Louis le Grand. Un raisonnement, une existence. «La vie comme une évidence». Avec une précocité éclair, notre entiché du jus de raisin longuement fermenté mène un train infernal : «Je reçois bien, je mange bien». Echelons gravis à la lumière de sa vitesse, l'ogre délicat de la «femme qui ne boit que de l'eau hormis Yquem» acquiert ses vins fins chez le caviste «Nicolas» du coin. Il essaye «Cheval blanc, Haut-Brion, Latour», par binômes. «J'aimais bien, j'ouvrais six bouteilles à chaque repas, une démarche pour le goût du très bon mais je ne savais toujours rien».
En 1970, François AUDOUZE accélère son aspiration, achète une maison à Noisy-le-Sec, installe une cave, l'emplit. Dans une boulimique énergie d'emplette, il duplique les mises. «Un jour, un ami initié, me suggère de me rendre au Perreux-sur-Marne, chez un épicier, qui fait gouter. Je vois cinq ou six bonhommes, dans l'arrière-boutique, à l'aveugle. Je déguste Climens 23 en 1976. Je manque tomber à la renverse, je décide, à 33 ans, que tout mon avenir s'inscrira dans le vin ancien».
Notre amoureux des vieux vins qui ne boit jamais chez lui, s'inscrit dans un Club, débouche des «flacons de folie », peaufine sa frénésie d'acquisition en salle des ventes.
Passionné obsessionnel, notre jeune industriel patron de 120 sites d'exploitation entre la France et la Grande-Bretagne entrevoit la joie supérieure de l'érotique du vin. «Yquem n'est pas du vin». En 1978, nouveau soleil, autre cap : «Chambertin 29 ». Bouleversé, le 25 décembre, au matin, François AUDOUZE se rappelle, ses trois copains, accourus engorger un verre d'amitié, négligeant femmes et enfants au gué du dimanche. Ce suave bourgogne inaugura le procédé d'ouverture des bouteilles. Au gré du temps, une cave privée phénoménale se charpente : 40.000 fioles dont 10.000 antérieures à 1945. Suite à une OPA sur son groupe, notre vibrionnant prosélyte de l'eurythmie offre sa rare collection privée.
«J'avais du temps libre, je voulais du raffiné, du haut de gamme. Je définis alors la «gastronomie ultime» : un chef trois étoiles, une liste de vins, une cuisine pour les vins dans un ordre logique implacable, des accords vins-mets». Vorace de suprêmes sensations, notre enchanté sybarite ne recule devant aucune destination (Chine, Japon, Etats-Unis), sélectionne les plus grands chefs de la planète (Daniel BOULUD, Pascal BARBOT), étudie les «connivences sublimes d'une cuisine qui va vers le vin». Fin 2000, notre bouddha de la souche éveillée établit ses dîners d'exception (Wine Dinners) afin d'écouler ses merveilleux nectars, «rendre accessible l'inaccessible».
Preux combattant en guerre contre les livres de cave révoltants des étoilés, notre moine de la béatitude turbulente regarde le vin en objet de libation, non de spéculation. Un soir, un Monsieur chagriné s'avance : «J'ai un Haut-Brion 49 et il mourra avec moi car je ne connais personne avec qui le boire». L'Académie des Vins Anciens (AVA), en offrant la possibilité à des amateurs qui tiennent des bouteilles de les boire avec des passionnés, garnira ce manque : «Lors d'une séance, j'ai vu un Monsieur de 70 ans pleurer avec Suduiraut 47 car il ne pensait pas boire son joyau dans des conditions aussi magnifiques et avec des personnes aussi connaisseuses». Dans ce minuscule village, «voyez Mouton 45». Dix élus partagent une quille en chien de faïence.
«Margaux 34. Chaque flacon vous embarque dans une histoire». Notre colosse du chiffre et de la lettre, éclaireur dans la noble défense des crus anciens, d'accentuer, inexhaustible : «Le vin invente une école d'humilité pour la subtilité. Un vin ancien ne se juge pas, on essaie de le comprendre. Cette manie contemporaine de la notation. Les gens s'érigent en professeur au lieu d'écouter ce que leur raconte Pommard». Du rire à la rigolade, des éclats de cabotinage intérieur avec des heureux élus. Seul prime l'essai, grâce de la modestie gracile que l'expérience authentifie. «Je ne prolonge pas leur vie, je leur donne une autre vie. Les oubliés de l'histoire revivent. Moulin à Vent 47 au MEURICE avec Yannick ALLENO».
Sans doute le seul individu à avoir ouvert mais également bu autant de bouteilles de vins anciens avec l'anglais Michael BROADBENT, célèbre expert chez Christie's, notre stoïque buveur de clamer : «Avec Alain SENDERENS, j'ai ouvert une Romanée Conti 56. Un vin déclaré mort met six heures à revenir à la vie. Les défauts disparaissent, c'est miraculeux». Une bouteille, debout sur une table, dans une chambre, toute la nuit, magnifiera sa sublime puissance le lendemain car l'oxygène présente un pouvoir colossal d'élargissement. Conforté par ses méditations quasi métaphysiques de dégustation charnelle, notre homme bouleverse l'approche du vin ancien, il avance une praxéologie. L'absence de carafe protège la structure.
L'oxygénation allongée engage une régénération. Ultime provocation à lui seul, François AUDOUZE, réjoui, nous ouvre sa confidence policée : «Je suis doué pour le bonheur par éthique personnelle». Chaque dîner, chaque brindille de sarment découpe une nouvelle aventure civilisée de la courtoisie. Chaque jus coïncide avec une amitié. Dans l'écoute profonde du message de l'écrin, dans une libre jouissance de la matière et du raisin, notre fin limier sépare deux types d'accord : continuité et provocation.
Le vin et le mets comme des doigts dans un gant : «Duhart-Milon 62» sur un homard; Rouget et Pétrus. L'accord de provocation décille. «Chez Guy SAVOY. Montrachet du DRC sur un canard col vert. Une domination apprivoisée. Un choc». Selon l'Ambassadeur des Vins du Jura, l'accord parfait délimite une euphonie tellement distinguée que, parfois, l'acte de manger et de boire s'interpénètrent. Bâtard-Montrachet 49, Saint-Jacques juste poêlées. Le gras du Bourgogne épouse le suc de la noix. «Une écriture délicieuse, une approche généreuse, une œuvre de vie, je veux qu'on boive mes vins dans des occasions créées pour les sortir». Notre sudiste troublé par l'Archipel, sa culture, son éducation, éblouissant conteur, traque, au vrai, maints desseins.
Une fin pédagogique : sa compagnie heuristique transcende la cuvée. «Sortir les vins et les boire». Seconde ambition : savoir boire des vins anciens exige d'appréhender une méthode d'ouverture. Troisièmement : devenir une mémoire. «Ma mémoire du vin demeure décisive pour la compréhension du vin. J'ai bu des millésimes que personne ne boit. Laisser une trace de la connaissance de ces vins enrichit la connaissance de l'histoire du vin. Voir mes Carnets de note». La «Romanée Conti» : repères familiers et soudain étrange effondrement. «Alice passe au-delà du miroir». Notre passionné de la gagne prise la mêlée des ventes aux enchères internationales : « J'achète comme un papillon dans une prairie en fleurs. Je ne suis pas obsédé par la case à remplir».
Grâce à son réseau privilégié de chasseurs, il déniche «Chambertin Armand Rousseau 35 et 47» pour un prochain somptueux dîner. Notre combattant résolu des sempiternelles «erreurs de l'ignorance » exhorte les dégustateurs à ne pas sombrer dans une perception erronée de la madérisation du champagne. « Le vieux champagne : un objet différent, un vin à part entière». La méthode d'ouverture chirurgicale signée par notre cardinal du magnum induit une remontée intégrale du bouchon par mèche, une absence de filtration des liquides, une tranquillité des crus sans épuiser l'épuisette. «Haut Brion 18 : monstrueux. La durée magnifie le vin bien après 90 ans. Les vins parkériens m'insupportent. Les Californiens s'avèrent trop techniques sauf Penfold Grange 95. Fabuleux. Vega Sicilia Unico, La Turque 2005, La Mouline 90, La Landonne 91».
Dans une oasis, au milieu de l'Atlas nu, l'impérial François AUDOUZE livre sa hotte : «Mouton 45 rouge, Yquem 1861, Montrachet Bouchard 1865, Vins de Chypre 1845». Du vin comme des parfums envoutants, entêtants, une féerie impérative du présent, une fête de la bonté de la présence, un orgasme dans l'incandescence du silence. Le poivre au nez, la réglisse sur la langue, tremblement aromatique de la bouche infinie, complexité ineffable de la fragilité granitique de la grandeur. «Romanée est un monde en soi. Si on vous invite à passer une fin de semaine sur une planète, vous ne choisissez pas entre Jupiter, Saturne ou Vénus. Un aller sans retour». La perfection romantique assortie de componction rivalise avec le contentement inavouable de l'entendement. Notre jouisseur analytique explose : «J'ai gagné la chance inouïe de faire ce que je veux. Je ne me lasse jamais, j'ai une capacité infinie à cueillir le quotidien».
En famille, en compagnie d'inconnus ou de célébrités, le directeur de VIMPERIALE s'amuse. Avec les fortunés possesseurs cosmopolites de Ferrari GTO, il joue à intéresser des «gens qui ont tout». A Monaco, au Yacht Club, il trouble le Gotha par l'immensité atypique, vineuse et dérangeante d'un «Salon 59». Ailleurs, notre transi du vin jaune, comme lui, ne fait rien pour vous séduire. Loin de la société du spectacle, à rebours de la flagornerie moderne, découvrir, un soir d'été, à la clarté effarante de la nuit, Anselme et Jacques SELOSSE. «Le grand champagne ne viendra pas vers vous».
Notre plaisant voyageur, éternel imprenable blotti dans la sensation de sa raison, d'éclaircir : «Je ne pratique pas la verticale, un dîner parfait ne se réduit jamais à une thématique».
En décembre 2010, notre chevalier du taste-vin intronise ses convives aux méandres des labyrinthiques délices de « La Tâche » en cinq millésimes. «Le dîner définit un thème symphonique. Une musicalité unique. Un prélude, une ouverture, un drame et surtout une finale». La terre entière salivera sur une seule rencontre de la rentrée 2011 : «L'âme de Mouton : 1900, 1911, 1928, 1929, 1945. Un souper stratosphérique et fou. Ne jamais parler de prix, c'est incompréhensible pour le commun des mortels». Depuis 1970, l'ami structuré d'Aubert DE VILLAINE et de Jean HUGEL effectue un maillage avec des êtres-vins croisés à 30 ans, créatures aujourd'hui âgés de 70 ans. «Mon savoir est un tapis volant ».
Dans sa cave caverne, notre attachant maître du hasard, lecteur de Thomas KUHN trompe sa vigilance par un «picking» stochastique, possédé par le cep et ses marottes : «Six pièces de Romanée Conti, un joyeux désordre classé 1928». Ne cranez pas, vous sangloterez. Galopons, in fine, à l'essentiel à ciel ouvert : notre aventurier du choc des cultures, lit, ausculte le ressenti de son palais. Il s'accorde puis concorde dans une philosophie aristocratique de l'humilité, mère du discernement.
Tirer le meilleur de soi-même et des autres, apprendre à désapprendre. Etonnant éveilleur, François AUDOUZE s'emporte tout sourire : «PETRUS déçoit ceux qui le boivent pour la première fois souvent avec moi mais ce n'est pas du trapèze volant, juste un vin qui exige des années de compréhension. Entrer dans un vin équivaut à entrer dans un monde».
Entendre, dans un dernier encore lacanien, le sel subtil, les pétales de rose qui arrivent dans un Domaine de la Romanée Conti 57 : une trace, une signature qui adviennent sous les pas d'une colombe. Pierre GAGNAIRE a accepté, en 2008, une seule fois, de simplifier sa cuisine pour créer dix mémorables propositions. Le vin nous transporte, nous transforme, en acteur majestueux. «Mouton 45 ne changera jamais ». Notre païen à la fine plume réfléchit sa magnétique ferveur, toute une existence au service du vin.