Portugais meurthois, créatif arcois, motard tranquille, Manuel PEREIRA, renouvelle les notes intuitives de l’architecture suave dans le jardin aromatique du Domaine de Châteauvieux, à Satigny, avec vue sur le vignoble et le Rhône par une maestria des agrumes, majesté des épices, crémosité solaire de la matière.
A Viana do Castelo, très au Nord du Portugal, en 1985, pousse un mousse dans une petite ville maritime de surf et de pêcheurs. Toute la famille habite non loin de Porto, à Ponte de Lima, la plus vieille ville du pays des Œillets. Les grands-parents préservent leurs maraîchages et les beaux produits fermiers : « je récoltais les pommes de terre, les fleurs, je faisais les vendanges ». Le grand-père paternel soigne ses bois en ébéniste artiste. Derrière sa maison, pins et eucalyptus gondolent dans le feulement du vent.
Là, le haut comme trois pommes, dans la pâtisserie d’un oncle paternel, s’extasie devant les boules de Berlin, ces sortes de beignets briochés traditionnels portugais analogues aux allemands mais fourrés de crème pâtissière dite jaune, le remplissage dodu débordant, toujours visible. Cet oncle gourmand l’initie aussi aux entremets. A la maison, de moelleux goûters sucrés et salés le bercent. Sa mère rivalise d’imagination en twistant ses tartes aux fruits, ses puddings, ses flans lusitaniens : « une inoubliable tarte à l’ananas retournée et flambée ».
Le père, entrepreneur dans le bâtiment et la mère, couturière, s’installent, tout d’abord, en Meurthe-et-Moselle. Le soleil s’éclipse. Il réapparaîtra, pour le jeune garçon de 9 ans, dans cette Provence varoise des huiles d’olive vierges et des fruits confits aux Arcs-sur-Argens, commune limitrophe de Draguignan. L’adolescent de la franche solarité méditerranéenne réalise son stage d’orientation de 4ème dans une boulangerie. Son jeune âge obère son accès au four de tous les pains il passe au tourage où pains au chocolat et croissants flottent devant ses yeux brillants de malice.
L’apprenti se pétrit en boutiques. Diplômé du CAP Pâtissier du CAF des Arcs en 2001, il s’élance dans la pâtisserie Le Provençal, à Fréjus, où il acquiert les bases techniques de la chocolaterie et de la confiserie. Jean-François Musso le séduit autant avec ses tropéziennes que les raffinements de ces gros fruits confits entiers, ananas et mandarines. Bien plus encore, les vitrines artistiques, décorées en pièces uniques le charment : « il y avait ses œufs de Pâques, ses sujets en chocolat, le travail du sucre sur le marbre ». Ce solide bagage acquis, commis bondit vers des établissements prestigieux. A Monaco, au Café de Paris, la pâtisserie fine « colossale » l’attise.
Cette industrie qualitative participe à une dynamique évènementielle enivrante : Grand Prix, Intronisation du Prince, Energy Music Awards. La brigade pâtissière effervescente produit des joyaux chocolatés d’accueil sur-mesure pour chaque suite où résident les grands de ce monde. Les délégations des pays, ambassades ou chefs d’État logent, en exclusivité, durant un mois dans cinquante chambres. En novembre 2008, à l’Hôtel Intercontinental de Genève, le second pâtissier monte le volume et l’envergure dans la même veine.
Il couvre le Salon de l’Automobile, s’exerce à la créativité de la pâtisserie haut de gamme. En 2018, le chef pâtissier de Manu (Emmanuel Delaby) the Cook Catering, traiteur premium genevois renommé, se transforme en manager associé, des diners privatifs de dix convives aux grands évènements de mille personnes. A Cologny, à l’Auberge du Lion d’Or**, en 2022, le cuisinier sucré plurivalent réalise une année folle avec les deux chefs historiques de cette maison attachante depuis 40 ans : Gilles Dupont et Tommy Byrnes.
Au Golf Club de Genève, l’année suivante, le créateur de recettes confie une pesée, plutôt une pensée des formes, des textures, des couleurs, à l’instinct : « je ne reproduirai jamais la sublime et simple mousse au chocolat de ma grand-mère. Je m’approprie, je réinterprète, je différencie les goûts ». Dans le restaurant gastronomique d’un club privé au luxe suprême, l’homme de caractère couronne l’America Cup d’un extraordinaire sorbet au cacao. Ce poumon élitaire ne l’éloigne jamais de sa source : « je viens de la terre, j’aime la simplicité et l’authenticité que je retrouve à Porto ».
Après un passage remarqué chez Philippe où il mise sur un charriot de parfaits estivaux, une généreuse madeleine au popcorn fourrée au caramel, plantureuse et graphique, aujourd’hui, au Domaine de Châteauvieux, il cristallise les agrumes et autres épices qu’il affectionne tout particulièrement. Au jardin attenant à la propriété édifiée en 1986 par l’artisan gentilhomme Philippe CHEVRIER, il cueille le poivre timut, la baie rose ou le piment oiseau : « Les piments agissent en exhausteurs, notre petite chimie, nos petits secrets, les currys de madras cuivrés ».
Le processus de création se détache : « je dessine tout avant sur papier avec mes éléments, j’aime l’orange, je mets en œuvre des acidités, des amertumes, des sorbets, des glaces et des mousses ». L’orfèvre de la précision avance toutefois à la sensation, à l’instinct en « cuisinier de la pâtisserie ». En botaniste, il prélève des pollens, des extraits naturels. Au pinacle, le calme brûlant du pain au levain naturel réunit l’osmose et la synergie, du dessert classique absolu à la technique intrigante. Le miel, essence de son imaginaire, le transporte dans les ruches de son enfance.
La « végétalité intégrale » infléchit le jeu : « nous élaborons des chocolats végan à base de sucre de coco, nous utilisons des variantes sans lactose et sans gluten, la fraise gariguette à la sarriette, un blanc-manger complétement végétal avec une opaline pour le croustillant ». Le jeune quarantenaire ceint l’altérité dans les racines genevoises, des sarrasins torréfiés à la japonaise au sel noir fumé. " Faire bon, marquer l'esprit avant le beau, je ne dresse rien, je cherche le goût dans l'improvisation ".
Au petit matin, en jazzman de la ganache, il se remémore souvent la supplique de sa professeure de piano : « suivez les notes ». Le rétif de la spatule n’en fera rien, s’embarque dans une histoire du saccarose et une géographie de la cabosse, voyage terrestre ou naval du clou de girofle et de la badiane. La crème prise au chocolat grand cru du Cameroun se réconcilie à une anglaise parfumée au cognac et vanille fumée, croustillant au cacao, crème glacée au caramel. Le citron d’Amalfi soufflé au sucre toise la génoise et le croustillant aux zestes confits, sorbet agrumes parfumé à la vodka.
La fragilité extravagante du sucre soufflé dialogue avec le sudachi, ce petit citrus japonais, doux, vert et rond de la préfecture de Tokushima, également cultivé au Portugal. Autour d’une appellation se spiralise un jeu musical entre les typicités, les régions, les textures, les saveurs dans un paradoxe de la sucrosité ressenti en bouche et en tête. L’époustouflant soufflé chaud flambé à la Chartreuse verte densifie sa texture avec sa crème anglaise et ses bonbons à la liqueur. Le biscuit coulant au chocolat chaud « pur Venezuela », surprend la glace à la vanille de Madagascar.
Le pain de Gênes et ses suprêmes d’oranges sanguines à l’«orientale» désorientent les pistaches de Brönte et le sorbet fromage blanc : « Je suis curieux de toute la mécanique des choses. Refaire des moteurs entiers, comprendre la pièce montée et la démonter ».
Photos Adrian Ehrbar - Marc Ninghetto - Mathilda Perrot - Guillaume Cottancin
Avril 2025