Par Fabien Nègre
Attaché aux paysans des paysages de ballades en Lubéron, dans l’un des plus beaux sites secrets de France, esprit vif sur la montagne ancestrale du langage de la nature, affranchi de toutes grammaires pour une pure immanence du goût archétypal, Edouard LOUBET fore son style matriciel, s’élève avec son œuvre terrienne, solaire et serein, ardent et facétieux, mature et dionysiaque, jupitérien et émancipé.
Dans la nuit estivale, le vent au ventre de cigale, trouble les massifs de thym et de romarin. Le domaine de Capelongue s’étend, majestueux, avec sa vue sur la vallée, entre Bonnieux et Lourmarin, entre Bastides et Galinier, Fermes et Maisons. Le natif de Val-Thorens, encore en souveraine pensée et souterraine invisibilité avec Alain CHAPEL, de murmurer : «
En Savoie et dans le Lubéron, le même vent, les mêmes climats. Des coins où se perdre et se cacher». La trame gustative pudique, fondée sur les traditions françaises n’évince pas pour autant la «
spontanéité agressive» du divertissement qui cadence l’évanescence racinaire.
La sincère délicatesse de la manière de filiation de l’ancien espoir en équipe de France de ski, à l’orée des Alpes de haute Provence, rime avec le métissage de ses mondes de l’art à la Howard BECKER : «
J’ai grandi dans le Trièves, avec le petit vin de Prébois, j’ai articulé plusieurs mondes, la Mer, la Corse, je mélange l’Alpin et le Méridional dans mon bœuf-anchois». Jean Giono chantait ce vallon de vogues : «
J’aime particulièrement le Trièves. Cette plaine tourmentée qui s’étend en triangle sous l’Obiou et le Grand Ferrand. Je suis à pied d’œuvre pour mes marches dans la montagne. Et puis j’aime la vie avec ces paysans âpres et doux» (Lalley, Juillet 1935).
Foin de carte postale gourmande, l’art culinaire consommé du jovial et enchanteur maître du Kenya, sans cesse avide de surprendre son interlocuteur dans la joie décisive de la rencontre, dresse une cuisine végétale originale, incorruptible. Précurseur du «tabac d’herbes», avant-gardiste du potager dès 1992, le provençal isérois collabore, main dans la main, avec des paysans-amis qui lui offrent des asperges et des courges printanières à l’aune de ces vignerons raisonnés qui respectent intimement leurs terres. «
Nous, les cuisiniers, nous avons 20 ans de retard dans la compréhension des produits de la nature». Le sauveur, avec sa Fondation vauclusienne, de la qualité des productions bonnieulaises, anticipe l’avenir du «biologique» en protégeant la tuber melanosporum dans la Confrérie de Richerenches qui célèbre la «
messe aux truffes ».
Ensorcelé par le «
diamant noir», des abords valentinois à l’arrière-pays varois, des hauts du Ventoux à l’enclos des Bories de Gorde, le pincé des essences d’arbres à truffe qui surgissent des terreaux argilo-calcaire où les Celtes cultivèrent des vignes, explore un singulier imaginaire peuplé de vieille, de liche, de petites bonites, d’oursins, de mérou, de murènes ou bien de queues de lotte jadis jetées aux chats. Le boudin de congre à la française concorde avec les quenelles de brochets à la lyonnaise. «
Mes puissants souvenirs corses remontent avec la remontée des palangres, hameçons et câbles arrachés».
Le magnétisme de l’anguille, ce serpent de mer des pêches printanières, peloté dans la verveine et les liminaires girolles, montre la vertu arachnéenne du tissage avec les plantes : sarriette et crustacés, livèche et lavande, mélisse et thym, citronnelle fumée. L’éducateur des arômes extraits par mini alambics à même ses pianos, délimite une aromatique aqueuse, du basilic au genièvre. «
L’étincelle qui enflamme nos émotions». Cette profondeur concentrée éloigne de l’arrogante férocité de la radicalité. La première bouchée, toujours explosive, dans sa délectable agressivité, témoigne d’une volonté de gourmandise progressive. Le coulis de betterave au laurier et pruneaux marque une digestive tonicité à l’image de cette soupe de blé vert, chocolat blanc, mimosas.
Le primat topique des sols renouvèle l’imagination du coup de feu, agitation structurée. Les pains à la polenta, l’huile d’olive ou la châtaigne, façonnés avec des farines d’épeautre, d’amarante, de haricot rouge ou de pois chiche, érigent des sentinelles de nourriture lente. Tonique à la «Table du Chef», plein champ sur ses jardins suspendus aux fruits rouges, le bi étoilé à 27 ans, sait que le lait et le blé, berceaux de l’humanité, risquent de disparaître. Ses citrons poussent en Sardaigne, ses pistaches verdissent aux pieds du Vésuve pour «
une cuisine ludique et visuelle». «
Tout montrer, tout dire et tout partager. Des moments rares coupés du monde».
Ce tison ramassé allonge la temporalité du repas par où «
LOUBET l’américain» satisfait tous les désirs en son Domaine : des lieux pour vivre dans la rondeur et la méditation, regarder le soleil couchant sur le versant sud farniente. «
Hôtelier gastronomique, vrai aubergiste qui accueille des amis-clients, je compose des variations infinies pour les familles, les amoureux et les entreprises». Dans ce lieu unique de joie qui repousse tous les possibles, dans la «Maison» exclusive d’un des plus audacieux chefs cuisiniers français, Victoria, Joseph et Paul-Ange, ses enfants s’éveillent avec un père épanoui qui leur offre 42 ans de «
bonheur complice, de partage des gourmandises et de respect des traditions».
Le restaurant La Bastide de Capelongue - Edouard Loubet.
route de Lourmarin - 84480 Bonnieux
Tel : 04 90 75 89 78