Par Fabien Nègre
Chevillard chevillé, ardent têtu de ses enclos ombragés de blondes génisses d’Aquitaine sur les supériorités des bords de sa majestueuse Meuse, détective alerté de la gustation macaronée, «adulescent» rutilant mature, souliers vernis aux poings qui pensent loin, Alexandre POLMARD, pilote éthéré du jarret, hérite de cinq générations d’artisans de l’araignée, sises à Saint-Mihiel.
Le premier éleveur-abatteur-boucher français engrené renverse le grain de la carne par la haute surgélation sous vide.
"Le boucher Ding dépeçait un bœuf pour le prince Wenhui. À la façon dont de la main il tenait empoigné l’animal, le gardait calé contre son épaule et, le pied bien assuré sur le sol, le maintenait sous la pression de ses genoux, il s’en échappait si musicalement des ‘hua’ et son couteau évoluait si bien en cadence, en laissant entendre des ‘huo’, qu’il rejoignait de bout en bout un air de musique, tantôt s’accordant avec la danse du ‘Bosquet des mûriers’ et tantôt rejoignant la mélodie des ‘Têtes au plumage” (ou, autre lecture : il tombait juste avec son couteau au point de rencontre où débutaient les veines). - Admirable, vraiment ! s’exclama le prince. À quoi peut en arriver la technique ! Le boucher déposa son couteau et répondit : ‘Ce dont je suis épris est le tao et cela dépasse toute technique.
Quand je commençais à dépecer des bœufs, je ne pouvais m’empêcher de voir le bœuf tout entier. Puis, trois ans plus tard, celui-ci ne s’imposait plus à moi tout entier (aussi massivement). À présent, je le rencontre par une appréhension (décantée et) spirituelle au lieu de le regarder seulement des yeux : quand le savoir des sens s’arrête, ma faculté spirituelle aspire à le relayer en s’appuyant sur la structure naturelle de l’animal. Je m’attaque ainsi aux grands interstices et conduis ma lame au travers d’amples passages en épousant la conformation interne. Si je ne touche pas les veines, ni les artères ni les muscles ni les nerfs, à plus forte raison en va-t-il ainsi des grands os!
Un bon boucher doit changer de couteau tous les ans : parce qu’il tranche la chair ; un boucher ordinaire doit changer de couteau tous les mois : parce qu’il brise les os. Or, voici dix-neuf ans que je fais ce travail, j’ai dépecé des milliers de bœufs et le fil de mon couteau est toujours aussi neuf que s'il venait d’être aiguisé. Néanmoins, chaque fois que j’arrive à un point d’entremêlement, je considère la difficulté et, sur mes gardes, le regard attentivement fixé, opérant lentement, je manie le couteau le plus délicatement : un ‘huo’ et c’est défait - comme si c’était un peu de terre que l’on déposait sur le sol. Je relève alors mon couteau et me redresse ; je regarde de divers côtés et me délasse en trouvant mon contentement intérieur. Après avoir remis mon couteau en état, je le range dans son fourreau. - Admirable, vraiment ! s’exclama le prince en entendant les paroles du boucher Ding, je comprends ce que c’est que nourrir sa vie."
Tchouang-Tseu, Le Boucher Ding, Zhuangzi, Chap. 3, Guo - trad. F. Julien.
21 octobre 1989. Violent coup de vent pour le cinquantenaire hâbleur ou farceur. Un obsessif chérubin bondit du ventre de Dominique POLMARD. François POLMARD, le paternel-poule à la lèvre mutine presse ses jus d’orange mano a mano. L’armoire à glace sans tain pousse dans la carcasse à la FRA ANGELICO et les fins becs intimes. La laconique sœur, Eva, brillance oculaire enjouée, sidère par sa perception de la chaire. Une enfance heureuse en Meuse. La prédestination pour l’amour des bovins dans leurs parcs, advient à cinq ans, lors de promenades dans les champs avec le grand-père paternel. A la chevauchée de la lumière, Alexandre POLMARD, petit garçon brun aux yeux bleus, saisit le fossé entre un boucher, affineur de pièces remarquables et un charcutier.
Plus puissant, l’éleveur sculpte la sensualité de la chair, l’érotique flanquée du flanchet. Telle s’affiche la trilogie : agriculteur, éleveur, boucher. Le primaire vrille. «Aucune envie d’école». Direction « Notre Dame » pour un recadrage par les Sœurs dans un cocon plus familial. De guerre lasse, le garçon agité, pressé d’en découdre avec la vie, passe en Collège privé à Commercy. Notre écuyer hardi, nageur compagnon de Franck ESPOSITO, canalise sa méridionale énergie avec l’histoire et les mathématiques ludiques. En 2006, il valide son Baccalauréat série ES par passion du commerce et de l’économie. «La Meuse n’incarne pas l’avant-garde». Attiré tendrement par le bœuf, «la finesse du désosseur, des sculptures d’artistes», notre charmant troubadour du filet désire les ailleurs des antérieurs par-delà les postérieurs du plancher des vaches.
En 2007-2008, une année effrénée aux Etats-Unis lui écarquille l’esprit. Dans le pays de tous les possibles où le «goût et la passion du travail» encouragent à regarder plus haut et plus fort, ni artiste, ni autiste, notre ambitieux rêveur jauge son anglais à l’EF SCHOOL de Manhattan. Avec un ami d’enfance venu le rejoindre à la hâte, il sillonne la côte ouest, San Francisco, Las Vegas, Los Angeles, Santa Barbara, Napa Valley dans un «road trip» en puissante berline. Les chemins de la liberté flottent dans l’air de l’asphalte. Les velléités d’études de trading à Columbia au motif de compréhension de la complexité du système financier international s’évanouissent en quelques caudalies. Un soir de septembre 2008, notre aventurier de la côte de bœuf suprême, sur la cinquième avenue, s’étreint soudain la tête à pleines mains.
La neige envahissait les marches de l'Église baptiste sur la cinquième avenue où il scrutait la foule dense de la tombée de la nuit. Tous tricotaient le pavé, fourmis noyées dans un flux sonore ahurissant. «Je ne m’imaginai pas ici dans dix ans, la terre me manquait, je voulais produire quelque chose, une matière physique, provoquer du bonheur». Les POLMARD ne choient pas du ciel. Depuis un quart de siècle, ils étudient la fleur bovine, perfectionnent le concept de plat cuisiné, réfléchissent à l’élevage. «Revenir, respirer l’air, mon bonheur est ici». En 2008, notre jeune homme assoiffé au pays de «la tranchée de la soif» et du vent des forêts, décide de l’érection d’un abattoir onéreux pour obtenir une qualité optimale inédite en France. Ses yeux émeraude balaient sa Meuse, en contrebas, dans son lit tranquille, où brochets, sandres, ablettes, vandoises, rotangles et autres perches soleil troublent le miroitement de la surface.
Tirer la qualité du trumeau vers le haut adjure de glorifier l’entourage des bestiaux, prescrit de borner le stress qui étend la rigidité cadavérique, requiert une science de la maturation, un style de cuisson. Le Père POLMARD, tout de droiture et de charisme, malicieux en franche humanité par son seul regard madré, impressionne. «L’abattoir dominera la ferme». Le procédé de haute surgélation élude l’ancestrale congélation. La ventilation de quatre mètres/seconde charrie une cristallisation intracellulaire qui abolit la différence entre une viande fraîche et une viande surgelée. Sous vide, à basse température (- 45 degrés), la Blonde d’aquitaine déploie sa qualité myofibrillaire. "Tous les cinq ans, nous effectuons des tests avec vingt races différentes, de même sexe, de même âge, avec une alimentation identique. La race qui résiste, s’adapte le mieux est la Blonde d’Aquitaine".
Les génisses se nourrissent de façon mesurée : paille, foin, herbes, pierres de sel, compléments alimentaires, céréales, tourteaux. «Régulier, diversifié, équilibré». Tuées à deux ans et demi, elles octroient entre 450 et 650 kilos de chair. Le cuir, la panse, l’intestin, la tête et les poumons s’évanouissent. Les moultes caractéristiques d’une élevée côte de bœuf tiennent dans «la sélection des femelles, le sexe, l’âge, la race, la conformation, la génétique, la concavité des cuisses, l’explosion des épaules, la largeur du dos, la finesse du cuir et du poil, la forme des cornes, la formation crânienne». Façonner et œuvrer dans une figure de pureté, voilà le style POLMARD.
Cette viande maigre (entre 3 et 7 % de gras seulement), à la tendreté et à la jutosité inaccoutumées, au grain d’une apesanteur souveraine qui se discerne crue, issue d’animaux jeunes, loin du persillé et du marbré, ouvre une compréhension vigneronne du bœuf. Les jeux des maturations sophistiquées introduisent une harmonie giboyeuse et herbacée. Un onglet, une hampe, un plat de tranche grasse appellent trois semaines de maturation. A chaque morceau répond une maturation singulière. Un steak haché maturé bascule ipso facto dans le délice. 120 génisses âgées de 2,5 à 5 ans, paissent en quasi liberté dans quatre parcs : deux parcs d’été et deux parcs d’hiver. Des parcs du May, du Blockhaus, du Château d’eau ou de l’Est, les vaches chanceuses contemplent le soleil des côtes de Meuse. Griller et caraméliser une pièce, l’art maîtrisé des POLMARD depuis 1829. Toujours cuire à la cocotte afin de produire une réaction de Maillart agile.
Chauffer culminant avec de l’huile de tournesol, du beurre, ou un peu de gras de rognons. Quand un croustillant s’ébauche, briser la température. «La viande se mange rose rouge». Seul le grand-père paternel, Robert POLMARD domptait l’ivresse sans matière grasse, à l’aide d’une antique poêle oblongue et des allers retours fulgurants qui évitaient que les sucs ne s’accrochent à l’ustensile. Une archéologie enfouie de gestes et de paroles.
Le bœuf exclusif de notre audacieux martial de Saint-Mihiel se prête à des accords osés et bien dosés : «Tartare de bœuf et cocktails aux whiskies avec mon grand ami Colin FIELD». Les chefs choisissent leurs vaches sur pied, chez POLMARD, comme un vigneron enfante son vin. Renaissance du jarret, pots au feu aoutiens, chapeau du curé décomplexé. «Le bœuf possède un caractère fort, difficile à marier, à cuisiner mais je rêve des étoilés qui présenteraient un bœuf bourguignon. Nous allions un Angélus en crème à un tartare. Dans le style, dans le gout, nous essayons de créer du nouveau pour nos clients. Tartare au calvados». Ce style d’existence à l’air libre, cette esthétique vitale à pleins poumons au flan de l’animal relève d’une écoute du silence des bêtes à la façon d’Elisabeth BOURDEAU DE FONTENAY.
Le chevillard, artiste du gout, dégonde. «Dans l’univers de la boucherie, rien n’a été fait, rien n’a été imaginé pour façonner avec la plus grande créativité». La boucherie française se singularise par son savoir-faire : désossage, maturation, innovation. «Je veux adapter la technologie de pointe à l’artisanat, entrelacer tradition et avant-garde». Dans sa surprenante sagesse, notre jeune PDG n’excédera pas six bêtes par semaine. Propriétaire du futur premier abattoir privé hexagonal, sa devise : «Moins mais mieux». Les vachettes ne souffrent pas, cette absence de trauma lors du « travail », génère une introuvable maturation. Les maisons du site convoient la «transition écologique». Tous les sachets en plastique qui sortent de la notoire Boucherie POLMARD s’avèrent entièrement biodégradables.
Aux technologies vertes intégrées répondent des engrais produits à partir du fumier naturel semé. Ces sortent de composts transcendants sommeillent jusqu’à six mois. Dans ces forêts élaguées, une hygiène exceptionnelle règne sur 80 ha. Le cheptel aéré, heureux, détendu produit des efforts physiques quotidiens qui améliorent la fixation du fer. «Quand le veau court, il devient plus rouge». Ici, le terrain passe au terroir. Un microclimat favorable diversifie les ferments de la terre qui varie d’un champ à l’autre : sableuse, terreuse, calcaire. L’herbe semée, sélectionnée par des ingénieurs suisses, invente l’idée de «cépages bovins».
La variation de l’alimentation, le jeu pondéré sur les herbacées en fonction de leurs pouvoirs d’azote modifie l’acidité. Bohème de la confection en amont, Alexandre POLMARD apprête sa secrète finition alimentaire les six derniers mois. A la boucherie, comme à la cave, les stratégies de maturation officient. Elles dégradent lentement les glucides, les lipides et les protéines. Ces dernières, ensemble d’acides aminés déstructurés par des enzymes, se répartissent en deux catégories. La première semaine, elles coupent et rongent. La deuxième semaine, elles oxydent. Croute, fleur ou moisissure, le tableau se dessine. La maestria de l’humidité affronte l’aléatoire. «La pâte Polmard» définit une lucide clarté dans la perception des éléments, la meilleure maturation s’effectue sous vide.
Une bavette maturée cuit parfaitement. Salée, poivrée après cuisson car l’épice poivre se consomme cru et se marie mal avec le bœuf, le morceau de choix, escortée d’une ratatouille, de petits pois du jardin ou de frites maison au couteau, se transforme en chef d’œuvre. Le sel joue sa double partition d’absorption et de pénétration. «Une sauce avec de la viande, c’est comme de l’eau dans un grand cru». Une côte de bœuf Polmard relève de la grande garde à l’image d’un grand cru. «Nous mangeons, aujourd’hui, des entrecôtes conservées depuis sept ans».
L’élégance gustative de la race Blonde d’Aquitaine issue des élevages POLMARD étonne les amateurs avertis et même confirmés de viande rouge. Ses vertus hors du commun inventent un goût intense et caractéristique. Sa tendreté irréversible emporte le mangeur. Sa couleur rouge vif ainsi que sa fine granulosité apportent élégance et tenue. Cette passion de l’excellence, partagée par toute une famille, intacte depuis des générations, perpétue des savoirs dans le cadre d'une agriculture raisonnée, respectueuse de l'environnement et du bien-être de l'animal. Cette politique ambitieuse de nouveauté parfait la qualité et la traçabilité des viandes. Emplie de traditions orientées vers l'avenir, la structure qualitative pousse à sélectionner une race exceptionnelle : la Blonde d'Aquitaine.
Depuis 1829, POLMARD envoute les palais avec une chair au caractère incommensurable et à la saveur irréfragable. Une généalogie des merveilles. L'aventure POLMARD débute au milieu du XIXe siècle : Henry et Marie Charlotte THIESSE (1829-1909); Charles THIESSE (1857-1918) et sa femme Marie ; Louis-Georges THIESSE (1887-1952) et sa femme Marguerite ; Robert POLMARD (1914-1999) et sa femme Madeleine THIESSE (1922) ; François POLMARD et sa femme. Eleveur et boucher dans la grande lignée de son père, François POLMARD décidait de créer son élevage. Il se plongeait dans de longues recherches sur les différentes races bovines, leurs alimentations, leurs bien-être mais également sur la maturation. Un seul objectif : produire une viande ultime.
A son tour, depuis quelques années, Alexandre POLMARD poursuit ce patient travail de perfection aux côtés de son père. La grâce pour idéal. La philosophie POLMARD réside dans une tension vers l'excellence à toutes les étapes de façonnage d’une viande différente. Cette identité née dans les côtes de Meuse enchante tous les repas. L'art de la Ferme POLMARD résulte d’une composition réorchestrée chaque jour afin de porter le plaisir à son apogée. Une grande viande requiert et exige, avant tout, un savoir-faire exceptionnel acquis au fil du temps. L’appellation Blonde d'Aquitaine date de 1962. Issue de la fusion de trois rameaux du Sud-Ouest (la Garonnaise, la Quercy et la Blonde des Pyrénées), elle dispose de facilités d’adaptation unique à des régions et climats diversifiés.
Les équipements spécifiques élident toute blessure, limitent les traumatismes émotionnels corrélatifs aux manipulations. Conduite en étroite collaboration avec l'ENSAIA (École Nationale Supérieure d'Agronomie et des Industries Agro-Alimentaires), la recherche scientifique améliore les savoir-faire et l'équilibre alimentaire des bovins. Les secrets tiennent dans une découpe ultra précise, un processus de maturation différent, des techniques de conditionnement et de haute surgélation sous vide. La conservation pro domo atteint une période d'environ deux ans à une température de -18 degrés c'est-à-dire à la température ordinaire d'un congélateur. A la pointe de son temps, Alexandre POLMARD regarde le ciel de son avenir dans la brulante urgence de la sérénité solaire des conquérants.