La presse féminine parle de Cuisine depuis toujours. Le magazine ELLE excelle dans ce domaine avec, en particulier, ses fiches-cuisine si souvent imitées. Une véritable histoire d’amour lie le magazine et les Chefs ; Léo Fourneau, le chroniqueur gastronomique de ELLE nous raconte comment, totalement anonyme et sous un nom d’emprunt, il parcourt les restaurants de la Capitale et des villes voisines, pour nous faire partager ses découvertes dans les pages
Vie Privée Restos et Cuisine, pour sa rubrique sur
Le Resto de la Semaine. Dans cet univers essentiellement féminin, il est savoureux que l’homme passe en Cuisine !
Les Questions à Léo Fourneau :
Alain Fusion : Quelle est le regard du magazine ELLE, sur les restaurants ?
Léo Fourneau : Magazine de mode, ELLE recherche la nouveauté. On privilégie donc les nouvelles adresses. Un chef renommé qui ouvre une nouvelle table, une déco originale (ou faite par un designer de renom, ce qui n’est pas forcément la même chose !) ou encore un lieu fréquenté par les " people " seront des critères décisifs pour parler d’un restaurant. Ce qui ne veut pas dire qu’on néglige les autres, mais compte tenu de l’actualité gastronomique (au moins 3 nouvelles adresses par semaine), ils ont moins de chance d’avoir un article.
Quel est votre principal trait de caractère ?
L’indépendance, d’esprit, d’attitude, de comportement… Ce qui n’est pas toujours bien vu car les braves gens n’aiment pas qu’on prenne un autre chemin qu’eux, comme dit la chanson de Brassens
Quel est votre parcours personnel ?
La gastronomie est un passe-temps pour moi, mon activité principale étant d’écrire des livres qui n’ont rien à voir avec la cuisine. Je suis venu à la gastro par hasard même si j’ai toujours aimé la cuisine (que je fais tous les jours pour les miens). Je ne souhaiterai en aucun cas qu’elle devienne un métier à temps plein. Il n’y a rien de plus ennuyeux que de manger tous les jours au restaurant , sans compter que c’est mauvais pour la santé car la nourriture y est très riche (à cause des sauces principalement). J’ai l’habitude de dire que la cuisine que je préfère est celle que je fais, ce n’est pas présomptueux, c’est simplement parce que je sais au moins avec quoi elle est faite !
Comment souhaitez vous être considéré ? Journaliste, chroniqueur, critique, … ?
Chroniqueur me semble le terme le plus exact. J’aurais aimé être critique, mais ELLE ne souhaite pas que l’on dise du mal des restaurants. Notre sanction c’est le silence. Quand j’ai commencé dans cette voie, j’ai parfois été dur avec quelques restaurants, mais cela a toujours amené des ennuis au journal (lettres de protestation). Donc, désormais, on fait dans le politiquement correct, on parle de ceux dont on doit dire du bien (ou presque). Mais je suis entièrement libre de mes choix, c’est moi qui choisi les restos que je vais tester et sur lesquels je vais écrire.
Comment préparez-vous vos visites de restaurants ?
Je reçois beaucoup de courrier sur les nouveaux restos, c’est une première indication. Puis je lis ce que font les autres journaux qui sont souvent en avance sur ELLE car ils n’ont pas les mêmes délais de fabrication (entre ma visite dans un resto et la parution de l’article il y a au minimum 3 semaines, ce qui fait que ELLE n’est jamais le premier à parler d’un endroit. C’est dommage pour un journal qui veut donner le La, qui veut être tendance, mais c’est comme ça). Parfois aussi je découvre un resto en me promenant dans Paris (ce que je fais tous les jours). Ce que j’aime avant de choisir un resto c’est de connaître sa carte. C’est un élément déterminant pour moi pour aller y goûter car le resto doit rester un plaisir. Il faut donc avoir envie d’y aller. Je plains mes " confrères " qui y vont tous les jours par obligation.
Etes-vous plutôt " déjeuner " ou " dîner " ? Seul ou en compagnie ?
Dîner puisque je ne déjeune jamais. Je trouve triste d’être seul quoique c’est parfois préférable que d’être mal accompagné. Un bon repas c’est aussi une bonne compagnie. J’invite donc mes amis à partager mes découvertes puisque ma femme n’est pas très resto.
Quelles sont les règles d’Or du journaliste gastronomique ?
L’incognito et la modestie. L’incognito est indispensable pour juger de la qualité d’une table, aussi bien côté cuisine que service. Un journaliste gastro qui s’annonce ne sera jamais traité comme le client lambda. Quant à la modestie, elle est essentielle face à ce métier très, très difficile. La restauration ce sont des heures et des heures de travail dans des conditions pénibles (y compris pour le service). Il faut en tenir compte et juger tout ce travail avec humilité. J’enrage de lire certains " confrères " suffisants qui ne savent même pas tenir une casserole mais qui se permettent des jugements d’autant plus péremptoires qu’ils ont été invités…. Je pense que pour parler de la cuisine il faut savoir la faire. Or, la plupart des journalistes gastros ne savent même pas faire cuire un œuf.
Quelle est votre opinion sur l’anonymat du critique, sur le paiement des additions, sur les invitations, sur le rôle des attachées de Presse ?
Je ne réponds jamais aux invitations (et pourtant je pourrai dîner gratis tous les jours) et je n’ai aucun rapport avec les attachées de presse. Elles font leur boulot (parler de l’endroit qui les paye pour cela) et moi je fais le mien (parler de l’endroit que j’ai testé comme n’importe quel client). Bien entendu, je paye mon addition. C’est d’ailleurs tout à l’honneur de ELLE de me permettre de faire ce " travail " dans ces conditions puisque mes notes de frais me sont remboursées. Certains journalistes n’ont pas cette chance, ils sont donc condamnés à se faire inviter. Il faudrait mettre au-dessus de leur article " publi-reportage " si leur journal était honnête.
Votre discrétion vous prive de pouvoir approfondir les contacts directs avec le Chef. Est-ce un avantage ou une difficulté ?
Oui et non. J’aime beaucoup parler avec les chefs incognito comme n’importe quel client (lorsqu’ils viennent en salle après le service). Ils sont plus nature en tout cas moins crispé que si je leur disais qui je suis. Si je veux parler vraiment business avec un chef (technique de cuisson, politique d’achat…etc) je l’appelle par téléphone, comme cela je reste incognito (et je peux donc retourner dans son resto en toute quiétude) et j’obtiens les infos dont j’ai besoin. Cela dit il y a quelques chefs qui me connaissent depuis le temps que je fréquente les restos (13 ans). Certains sont presque devenus des amis et j’aime beaucoup parler avec eux de leur métier. Ce sont toujours des gens intéressants qui ont appris sur le tas, qui ont une grande générosité (il en faut pour faire la cuisine tous les jours à des inconnus), beaucoup de bons sens et d’humilité. Ceux que je connais sont des hommes et des femmes formidables avec qui j’ai plaisir d’être.
Comment désirez-vous être perçu (compris) par les lecteurs de vos articles ? Et par les restaurateurs ?
Comme n’importe quel client qui, à la différence des autres, peut faire savoir à des milliers de personnes comment il a vécu son expérience culinaire. Je n’ai pas de dons spéciaux ni de sens surnaturels. Je suis comme tout le monde, je réagis avec ma sensibilité, mon odorat (essentiel dans un plat) et mes papilles. Ma seule " supériorité " réside dans le nombre de tables que je fréquente, soit bien plus que le consommateur ordinaire, ce qui me permet d’avoir des points de repère, de comparer et de juger peut être mieux que les autres clients. Grâce à cela je dispose d’une plus large échelle de valeur, mais c’est tout.
Pour qui écrivez-vous ; qui sont vos lecteurs ?
J’écris pour les gourmets et les gourmands de tous les âges et de tous les sexes. J’ignore quel est mon lectorat et je doute que ELLE ait jamais cherché à le savoir. Quand j’écris sur un resto, je ne pense pas à qui va me lire, mais je cherche à retranscrire brièvement (les articles sont courts) les sensations que j’ai éprouvées. Quand j’ai beaucoup aimé je veux absolument donner à mes lecteurs(trices) l’envie d’aller y goûter car je sais qu’ils (elles) passeront un bon moment. C’est le service que je leur dois (au resto et aux lecteurs).
Quels sont vos critères fondamentaux pour écrire - ou ne pas écrire - sur un restaurant ?
Ce qui compte le plus pour moi c’est la qualité des plats. Je préfère bien manger dans un boui-boui que mal dans un palace. La qualité réside à la fois dans les produits utilisés et dans l’originalité du plat (sans que le chef se prenne la tête car la meilleure cuisine est souvent la plus simple, en tout cas celle qui respecte le produit, justement). Au resto je prends des plats que je ne fais pas chez moi car ils prennent trop de temps où parce que je ne sais pas les faire. Ce qui compte ensuite c’est le rapport qualité-prix. Je préfère faire un bon repas complet pour 35 Euros que de payer une entrée à ce prix avec quarante serveurs autour de moi. Dans un resto le client n’est pas là pour payer les charges du restaurateur mais pour se restaurer et avoir du plaisir. J’aime aussi la générosité. Une assiette doit être copieuse (je suis un gros mangeur) mais la générosité c’est aussi des goûts affirmés qui explosent en bouche. Vient après la qualité du service (s’il est nul je suis agacé et mon repas est gâché même si l’assiette est bonne). Enfin, la déco joue son rôle mais ce n’est pas déterminant pour moi. Cela dit, c’est une lapalissade, mais le repas parfait consiste en une bonne cuisine généreuse, servie par un personnel attentif mais pas omniprésent, dans une belle salle chaleureuse. Oui, oui, ça existe.
Est-il souhaitable de tout écrire ?
Je suis pour la vérité et la transparence mais de fait je n’écris pas tout ce que je pense puisque je tais mes pires expériences gastronomiques. Le lecteur n’a donc que le côté positif mais là aussi je retiens ma plume. Parfois il m’arrive d’être mi-figue, mi-raisin et j’ose espérer que ceux qui ont l’habitude de me lire ont compris que je ne les encourage pas forcément à réserver dans ce resto. Pourquoi en parler alors ? Parce qu’il y’a des obligations dans ce " métier " : vous ne pouvez pas passer sous silence la dernière table d’un grand chef, ni la dernière déco d’un designer qui fait la une des journaux people. On en parle par ce qu’il le faut mais sans enthousiasme si l’endroit n’est pas aussi bien qu’on pouvait l’espérer.
Vos articles suscitent des réactions ; quels sont vos meilleurs et vos moins bons souvenirs ?
Mes meilleurs souvenirs c’est quand je reçois des lettres qui m’informent que grâce à un article enthousiaste un resto croule sous les réservations. Je suis content car j’ai le sentiment du devoir accompli. Mon pire souvenir c’est quand je me suis fait piéger par un grand restaurant : j’avais écrit un article assez dur, le patron a cherché à me parler ; j’ai discuté avec lui par téléphone longuement pour lui dire pourquoi je n’avais pas aimé son resto ; j’ai promis de revenir quelques semaines plus tard pour rejuger son établissement et en reparler dans ELLE si cela le méritait ; j’ai tenu parole ; ma deuxième visite fut nettement meilleure et je l’ai écrit dans ELLE. Malheureusement j’ai appris plus tard que les responsables de ce resto m’avaient identifié, ils avaient trouvé une photo de moi qui était placardée dans la cuisine, si bien que lorsque je suis revenu comme client anonyme je ne l’étais pas du tout. J’ai donc eu un service VIP et je me suis fait couillonner parce que j’y ai vu que du feu. Ce deuxième article élogieux je regrette de l’avoir écrit.
Qu’aimez vous trouver dans un restaurant ?
Du bon pain, une carte des vins originale et pas trop chere, de jolies serveuses souriantes.
Quelles doivent être les qualités d’un Chef Cuisinier ?
Qu’il sache s’effacer devant le produit. Tous les grands chefs le font, en général, mais la cuisine française à souvent un côté cérébral, trop réfléchi, qui ne permet pas toujours de mettre le produit simplement en valeur (car il est trop travaillé). C’est le défaut principal de la gastronomie française par opposition à l’italienne, l’espagnole, la portugaise (pour ne prendre qu’elles) qui sont peut-être moins sophistiquées mais plus proches des bonnes choses de la terre qu’en France (il est vrai aussi que les produits sont meilleurs dans ces pays que chez nous où l’agroalimentaire a fait des ravages, mais cela est un autre débat).
Vos coups de cœur ?
Dans mon guide sur les Meilleures tables de Paris à moins de 35 Euros il y’a un classement des 10 meilleurs chefs. Ce sont mes coups de cœur : Thierry Breton Chez Michel, François Pasteau L’Epi Dupin, Rodolphe Paquin Repaire de Cartouche, Christophe Beaufront L’Avant goût. J’aime la cuisine italienne de Paolo Petrini et parmi les grands chefs parisiens j’apprécie les goûts affirmés de Michel Rostang, l’élégance culinaire d’Eric Briffard Les Elysées du Vernet, la précision et l’humilité de Benoît Guichard Jamin, la qualité des produits chez Robuchon L’Atelier, mieux que La Table. En fait il est plus difficile pour moi de parler des restos que j’aime (ils sont trop nombreux) que ceux que je déteste (je préfère les taire).
Quels sont les défauts impardonnables dans un restaurant ?
La prétention de la carte, du service, du décor. L’attente qui fait manger du pain parce qu’on a faim. Le sommelier qui vous agace avec son savoir. Le service obséquieux avec cette phrase stupide ; " ça a été ? ". La fumée des cigarettes et le non-respect des zones fumeurs.
Comment devrait être votre restaurant idéal ?
Celui qui ne tombe pas dans tous les travers décrits précédemment.
Pourquoi est-il aussi important de parler surtout des nouveaux restaurants ?
Ils ont souvent besoin d’un coup de pouce (la concurrence est rude). Si un bon article les aide à percer, c’est tant mieux
Comment percevez vous la gastronomie parisienne en 2004 ?
Bien mieux qu’à la fin de la décennie 90 quand la mode de la world food s’est emparée des cuisines. On a alors assisté à n’importe quoi lorsque cette cuisine n’était pas maîtrisée. C’est aussi à cette époque que la déco a été privilégiée sur l’assiette. On a vu des restos super s’ouvrir avec des cartes et des assiettes affligeantes (sans parler du service déplorable). Heureusement, la sanction du public a joué : certains ont fermé, d’autres ont rectifié le tir. Il est devenu plus rare aujourd’hui de mal manger dans les lieux à la mode. En revanche, je constate que la cuisine industrielle progresse. La plupart de ces tables à la mode, justement, en usent et en abusent, ce qui fait qu’on y mange la même chose avec des plats (sauces et légumes notamment) préparés industriellement. Ce n’est pas forcément mauvais, mais on trouve partout les mêmes goûts, il n’y a plus d’originalité. Mon " job " est de privilégier le vrai chef, l’artisan si on préfère, celui qui fait sa propre cuisine, qui ne se contente pas de réchauffer au bain marie des plats sous-vide (ce qui est le cas d’au moins 50% des restos aujourd’hui, surtout parmi les nouveaux).
À votre avis, quelle est la place de la gastronomie française dans le Monde ?
Surestimée. Je suis surpris à chaque fois que je vais à l’étranger par ce que je mange : c’est souvent (pour ne pas dire toujours) meilleur qu’en France, en tout cas fait avec des produits top niveau et moins chers. On y est aussi mieux accueilli et surtout on n’attend jamais à table. C’est une maladie française que de faire attendre le client comme s’il devait mériter ce qu’il va manger. Je pense que la gastronomie française a son avenir derrière elle, que les plus grands chefs sont désormais à l’étranger, que l’innovation ne se fait plus sur les fourneaux français. La gastronomie française à de beaux acquis mais elle a tendance à vivre sur eux, et ils perdent de la valeur. La crise est à venir.
Comment voudriez-vous voir évoluer votre métier ?
Dans l’honnêteté et la transparence, mais je sais bien que c’est utopique.
Vous éditez depuis 6 ans un guide " Les meilleures tables de Paris " ELLE - Léo Fourneau. Que pensez-vous des Guides de restaurants ?
Ils sont utiles pour la somme d’informations qu’ils contiennent (mais pas forcément pour la justesse de leurs jugements)
Quels sont vos plats favoris ?
J’aime tout sauf le ris de veau. Je ne suis pas non plus un fana du homard (prétexte à l’envolée des additions). J’adore la charcuterie espagnole (surtout le jambon pata negra), les huiles d’olive italiennes et le bon pain.
Quelle est votre boisson préférée ?
Les vins du sud.
Avec qui aimeriez-vous travailler ?
En cuisine avec Ferran Adria pour sa technique unique.
Avez-vous des projets ?
Préparer une nouvelle édition du guide qui répondra mieux au besoin des gourmets et gourmands, dont je fais partie.
Si vous deviez en changer, quel autre métier auriez-vous choisi ?
Chef d’orchestre.
Qu’évoque pour vous l’expression : " Mener la Belle Vie " ?
La mienne : je suis un homme libre, je fais ce qui me plait, j’ai une famille que j’adore. Bien sûr j’ai des soucis mais c’est aussi le sel de la vie.
Où aimez-vous passer des vacances ?
Dans notre maison dans les Alpes-de-Haute-Provence où je fais des balades inoubliables.
Quel est votre rêve d’enfant qui n’a pas encore été réalisé ?
Aucun.
ELLE - Les Meilleures Tables de Paris - Léo Fourneau - Editions Filipacchi : 15,95 €
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