Avis d'un critique : Jacqueline Ury

Par Alain Fusion
Portrait par Alain Fusion

- Redouté des restaurateurs et envié par les lecteurs, le critique gastronomique fait partie du paysage français et de notre culture gourmande. Le métier de journaliste gastronomique fait couler beaucoup d’encre, puisque les restaurants se reposent sur les médias.

Pour un restaurant, la présence dans les guides est espérée, les articles dans la Presse sont souhaités et recherchés. Faire parler de soi est d’une importance capitale : obtenir un bon article dans une bonne publication se traduit immédiatement en chiffre d’affaires, en afflux de clientèle et en notoriété. Les titres s’affichent en devanture pour attirer le client. Le " bouche-à-oreille " viendra ensuite, après l’amorçage de la communication grâce à la Presse.

Les missionnaires de la gastronomie sont devenus des pionniers, explorant pour nous des terres inconnues de restaurants incertains aux Cuisines improbables, pour en extraire les pépites aux plaisirs exquis et délicats.

Jacqueline Ury est une grande dame de la profession au parcours exemplaire et à la carrière souvent enviée. Respectée et admirée elle collabore à plusieurs titres et guides prestigieux et fait bénéficier de son expérience et de son savoir-faire les journalistes spécialisés dans la presse gastronomique en siégant dans des instances professionnelles.
Très active, cette femme d'influence connait sur le bout des doigts le grand et le petit monde de la Gastronomie. On la rencontre partout, son avis est sollicité et ses recommandations sont écoutées. Elle a beaucoup à faire et à dire.

les questions à Jacqueline Ury
Quel est votre parcours personnel ? Comment êtes-vous devenu journaliste ?
J’étais déjà " dans l’encre ". Ma collaboration au Parisien Libéré a succédé à des collaborations avec écrivains, journalistes, critiques de cinéma.

Pouvez-vous définir et présenter votre métier ?
C’est une exploration quotidienne de tous les domaines. Avec quelques axes principaux qui se dégagent au fil des ans. Il commence le matin de bonne heure, et ne se termine jamais. Il faut être disponible à toute heure, tous les jours.

Comment souhaitez vous être considéré ? Journaliste, chroniqueur, critique, … ?
J’étais journaliste – dans un journal. Je suis devenue chroniqueur. Critique, non. Plutôt observateur !

Vous écrivez pour quels titres de Presse ?
Voilà qui est bien indiscret pour une journaliste mise de force à la retraite. J’écris pour des guides de restaurants et pour une revue d’art (Miroir de l’Art) sur des sujets gastronomiques et vineux qui peuvent entrer dans la ligne éditoriale.

Comment préparez-vous vos visites de restaurants ?
Je téléphone pour réserver. Journaliste, j’étais à l’affût des nouveautés et des mouvements dans la profession. Pour être la première à en parler. Le travail des guides est différent.

Règles d’or
Ne pas juger sur les apparences. Avoir l’indulgence de ne pas assassiner un restaurant. Y retourner. Parler des imperfections avec le responsable, si possible. Mais si c’est trop catastrophique, ne pas insister, ne pas parler du restaurant (il y a toujours des gens qui veulent vérifier !).
En tous cas : connaître un peu la cuisine, les produits, les vins. Ne pas juger sans savoir et être un peu pédagogique dans les commentaires.
Etre deux à table. Pas moins, pas plus !

Quelle est votre opinion sur l’anonymat du critique, sur le paiement des additions, sur les invitations, sur le rôle des attachées de Presse ?
L’anonymat est parfois nécessaire. Surtout quand on écrit beaucoup et qu’il est bon de partir à la découverte de nouveaux établissements, en particulier pour des thèmes.
Pourtant, après quelques années de parcours, on est un peu connu. On peut accepter d’être invité en précisant bien que ce n’est pas une raison pour qu’un papier favorable paraisse. Dans ce cas éventuellement, faire des remarques verbales et attendre pour parler de l’établissement. Sauf catastrophe. Il y a de l’intuition dans l’approche d’un restaurant, pas seulement de la critique.
Les invitations sont regrettables mais nécessaires car les journaux ne consacrent plus de budget aux notes de frais d’un responsable de la gastronomie. Et, encore heureux quand on n’est pas sollicité par le service de publicité pour parler d’un client sans savoir s’il est digne de figurer dans la rubrique.
Demander toujours l’addition à la fin d’un repas. Et la payer sans discuter.
Les attachées de presse sont nos auxiliaires précieux(ses). Elles entretiennent un bon lien du journaliste avec le restaurateur. Et nous permettent de découvrir des établissements sans avoir à en débourser le montant de la note. Leur intervention est proportionnel à l’activité du journaliste et au titre qu’il représente.

Comment désirez-vous être perçue (comprise) par les lecteurs de vos articles ? Et par les restaurateurs ?
Comme un guide compétent.

Pour qui écrivez-vous ; qui sont vos lecteurs ?
Au PL, j’ai eu l’occasion de parler avec des lecteurs modestes, rencontrés dans la vie courante. Ils étaient tous intéressés. Même s’ils n’allaient au restaurant qu’une fois par an pour un événement.
Dans les guides, c’est différent. Au Guide Hubert, les lecteurs écrivent beaucoup. Pour dire s’ils sont contents ou mécontents.

Quels sont vos critères fondamentaux pour écrire - ou ne pas écrire - sur un restaurant ?
Voir plus haut.
Critères : attention, décor même minimaliste correct et propre dans les détails (poignées, coins, WC etc…). Accueil sans obséquiosité mais attentif. Précision dans le service. Et, bien sûr, bonne cuisine.
On ne met pas tous les restaurants sur le même plan. Il faut donc faire la différence. C’est pourquoi noter un restaurant est difficile. On peut donner un 18 à un bistrot et un 12 à un gastro… Difficile à comprendre pour le lecteur comme pour le restaurateur.

Est-il souhaitable de tout écrire ?
Non. Voir plus haut.

Vos articles suscitent des réactions ; quels sont vos meilleurs et vos moins bons souvenirs ?
Le meilleur souvenir : les palettes de vin qui se sont vendues après que le vin ait été cité dans une rubrique. Le pire – pour autant qu’il y en ait – c’est quand il y a eu une erreur dans le papier. Mais cela a permis d’estimer l’efficacité de la rubrique.

Qu’aimez vous trouver dans un restaurant ?
La bonne chère. La simplicité. Le bon accueil. Le service huilé, attentif et non obséquieux. Je n’aime pas toujours autour des grandes tables, l’excessive présence du sommelier. Mais il est bien nécessaire quand même et comme nous n’avons pas la science infuse, nous fait souvent découvrir des vins discrets et intéressants.

Quelles doivent être les qualités d’un Chef Cuisinier ?
Le courage, la modestie, le goût, le respect pour celui qui va déguster sa cuisine.

Vos coups de cœur ?
J’en aurais trop dans divers styles de restaurants. J’ai toujours parlé des petits comme des grands et ne fais pas de différence entre les spécialités quand elles sont sincères. Et puis je travaille sur Paris comme sur la province. Ce n’est pas pareiL

Quels sont les défauts impardonnables dans un restaurant ?
L’indifférence, le laisser-aller, la crasse - le chef qui se ronge les ongles, les cheveux sales

Dans vos articles, quelle est la proportion entre les nouveautés (créations, reprises, nouveau Chef) et les autres ?
Quand j’écrivais des pages dans un quotidien, la priorité était donnée aux nouveautés mais toujours étayée par les restaurants existants – dont d’ailleurs, beaucoup peuvent être nouveaux pour les lecteurs.

Comment percevez vous la gastronomie parisienne et française en 2005 ?
A Paris, les styles sont bien définis et les exigences des clients plus précises – peut-être parce qu’il s’agit souvent de clientèles d’habitués dans les petits restaurants ou les bistrots et que l’on demande une prestation parfaite au restaurants plus huppés, chics, étoilés en tous cas où l’on se rend comme au spectacle.
La province, à quelques exceptions près, est atteinte par la mode et copie Paris : dans l’intitulé des plats et leur réalisation, hélas souvent approximative. Mais il y a, heureusement, de très grands chefs en province qui pratiquent la cuisine comme un sacerdoce, avec art et les qualités requises.

Vivons nous une période d’évolutions ?
La grande évolution est passée. Dans les assiettes, on a parfois l’impression de becquées pour les oiseaux. Le menu dégustation est à la mode.
Je trouve qu’il brouille les goûts et retire la notion de choix à la lecture d’une carte. On laisse faire le chef… Cela devient banal. Cela dit, il est parfois nécessaire pour le chroniqueur d’avoir un éventail gustatif élargi. Mais il ne faut pas en faire une habitude ; - et puis dans ce cas, on mange trop.

À votre avis, quelle est la place de la gastronomie française dans le Monde ?
On appris aux étrangers les secrets de notre cuisine grande et petite. Aussi, y a-t-il une vraie cuisine française dans le monde. Il y a, certes, des cuisiniers français. Mais il pratiquent leur cuisine avec les produits locaux. CQFD : y a-t-il une cuisine française à l’étranger ?

Comment voudriez-vous voir évoluer votre métier ?
Il est bon de naviguer dans le monde de la restauration en toute liberté, que les journaux soient conscients de l’ intérêt porté par leurs lecteurs à la " gastronomie " (comprenez, les produits, les restaurants, les vins, les recettes et, pourquoi pas, les produits manufacturés). Donc : avoir des rubriques complètes, rédigées par des gens d’expérience. Mais pas par des chefs !

Que pensez-vous des Guides de restaurants ?
Les principaux (Michelin, Lebey, Pudlo, Petitrenaud) ont leurs lecteurs. Il y en a trop et ceux qui sortent ne sont pas tous fiables. La mode : les guides à thème : " bistrot ", " moins de ??? euros ", " restos d’affaires " etc…

Quels sont vos plats favoris ?
Quelquefois, ceux que je cuisine. J’ai l’autre soir préparé des cassolettes d’escargots parfaitement bonnes et un poulet aux figues en cocotte lutée intéressant! J’essaie beaucoup pour écrire des recettes. Pour le reste, j’aime tout ce qui est bon, joli à regarder, relativement copieux et n’aime pas les associations hasardeuses de certains cuisiniers.
Mais, comme avec 7 notes on a écrit la musique du monde, on peut faire beaucoup pour le plaisir du dégustateur. Et je suis très curieuse.

Quelle est votre boisson préférée ?
Les champagnes, les vins qui " ont de la bouteille ", les vins de vigneron, les vins du Sud

Etes-vous plutôt " déjeuner " ou " dîner " ? Seule ou en compagnie ?
A deux, toujours, déjeuner ou dîner

Quel est votre principal trait de caractère ?
La gourmandise et la critique aimable,

Avec qui aimeriez-vous travailler ?
Avec des gens bien élevés qui partagent le travail sans se sentir inférieur ni supérieur

Avez-vous des projets ?
Plein

Si vous deviez en changer, quel autre métier auriez-vous choisi ?
Vétérinaire ou jardinier

Qu’évoque pour vous l’expression " Mener la Belle Vie " ?
Faire les choses au bon moment, passer de la solitude de la campagne à la vie parisienne un peu mouvementée, travailler à mon rythme et ne rien faire parfois.

Où aimez-vous passer des vacances ?
Chez moi à la campagne. Seule ou avec de bons amis.

Quel est votre rêve d’enfant qui n’a pas encore été réalisé ?
Drôle de question ! Chanter

Vous êtes l'auteur de nombreux ouvrages sur la gastronomie, pouvez vous nous en citer quelques-uns et quels sont les titres les plus récents ?
Rasteau et recettes de cuisine (France Univers ed.)
La cuisine au vin au fil des saisons (Hachette)
La Cuisine de d’Artagnan – recettes du grand livre de cuisine de Dumas 2 vol. (France Univers ed./Atlantica)


D'autres avis de critiques

Emmanuel Rubin - Figaroscope - l'Optimum - BFM - Fooding®
Caroline Mignot
Christophe Wakim
Jean-Louis Galesne - Les Échos
Portraits de chef

Samouraï chakaiseki à la flamboyante route, dans sa petite maison de bois monacale, Yuichiro AKIYOSHI nous éveille à l’éblouissante intériorité...

En savoir plus
Découvertes

Tout est nouveau dans le restaurant NOMICOS du chef Jean-Louis Nomicos, la décoration, la carte et la gastronomie inspirée de la Méditeranné.

En savoir plus