EN EXCLUSIVITÉ, le critique Léo Fourneau répond à nos questions.
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Le critique gastronomique Léo Fourneau déballe les secrets cachés par les chefs et les critiques dans son livre
"Bon appétit, messieurs !".
A quoi servent les critiques gastronomiques ?
Le critique gastronomique, qui est apparu au XIX è siècle, doit jouer un rôle de médiateur entre les cuisiniers et le public. Il est chargé d'expliquer et de donner du sens à la cuisine proposé, il doit à la fois aider les chefs à lever le nez de leurs casseroles par leurs conseils et éduquer les gourmets par leurs critiques. En France, de grands critiques gastronomiques (de Grimod de la Reynière à Gault et Millau pour faire vite) ont remplis ces deux fonctions. Vous remarquez que j'emploie le passé.
Existe-t-il un "journalisme gastronomique" ?
Je ne sais pas vraiment ce que signifie cet amalgame. Etant journaliste de formation (carte de presse n° 37621) je ne suis pas certain que cela m'ait été utile lorsque j'ai abordé la gastronomique, sinon dans la facilité d'écriture. La gastronomie demande de la sincérité, du coeur, de l'intelligence et de l'humilité surtout, toutes qualités qui ne correspondent pas forcément au portrait type du journaliste.
Pourquoi publiez-vous le livre «
Bon appetit, messieurs ! Mémoires crus d’un critique gastronomique » ?
J'ai exercé ce métier (mais en est-ce un ?) pendant une quinzaine d'années pour le magazine ELLE. Cette collaboration s'est terminée d'un commun accord début 2005. Comme cette activité n'a jamais été mon métier principal, j'ai parcouru le petit monde de la gastronomie en amateur éclairé. De plus, ayant eu la chance de travailler pour un journal qui payait mes notes de frais j'ai pu "travailler" en toute incognito. Toutes ces conditions font que je peux décrire aujourd'hui tout ce que j'ai vécu, dire ce que j'ai compris de la cuisine et du milieu qui tourne autour, sans rien devoir à personne. Ces mémoires sont celles d'un homme libre (je n'aurai pas pu concevoir qu'il en fut autrement), D'un homme aussi qui éprouve de la reconnaissance envers toutes celles et tout ceux qui lui ont donné tant de plaisir au fil de ces années. Cela étant dit, je ne prétend pas jouer les chevaliers blancs. J'ai aussi eu mes petites faveurs, j'ai aussi pêché comme je le dis dans mon livre.
Qui incarne le mieux le "bon" critique gastronomique ?
Je ne sais pas qui est le "bon" critique gastronomique mais j'ai une idée du "moins mauvais". Celui-ci doit être anonyme afin de goûter la cuisine des autres dans les mêmes conditions que tout le monde, sans faveurs particulières. Il doit être humble par rapport à son objet d'étude, face à l'assiette qu'on lui présente, car le métier de chef est difficile et que la cuisine faite pour autrui demande abnégation et générosité à la fois. Il doit savoir se mettre à la place du client lambda qu'il est censé représenter (ce qui est le plus difficile car soit il est invité et ne paye pas, soit il paye et il est remboursé). Il doit être ouvert aux expériences culinaires pour jouer son rôle d'éclaireur auprès du public. Enfin, il doit avoir un minimum de connaissance culinaire, pratiquer le plus souvent la cuisine lui même pour avoir une idée de ce dont il est censé parler. Peu de critiques, me semble-t-il, correspondent à ce portrait bien que je ne les connaisse pas tous.
Qui incarne le "moins bon" critique gastronomique ?
Celui qui harcèle les attachés de presse pour avoir les meilleures tables (et hôtels), celui qui abuse de son pouvoir pour terroriser le service en salle, celui qui cire les pompes des chefs pour être traité comme un roi, celui qui ne paye jamais son addition, celui qui croit être un oracle, celui qui passe sa vie au restaurant et qui ne sait même pas à quoi sert une casserole. Les "plus mauvais" critiques, pour reprendre la classification précédente, sont malheureusement plus nombreux que les autres.. A travers ce que j’ai vécu et que je raconte en détail dans mon livre, sans cacher ni les noms, ni les lieux, ni les circonstances le lecteur verra bien ce que j’entends à « le moins mauvais « et « le plus mauvais « critiques gastronomiques. Il y a des profiteurs dans toutes les professions. Les critiques gastronomiques sont des hommes comme les autres. Tout cela n’est pas bien grave au fond, il ne s'agit que de cuisine, l'avenir du monde n'est pas en cause.
Peut-on gagner sa vie en chroniquant des restaurants ?
Sans doute puisqu'on se bouscule au portillon pour le faire. Il faut toutefois distinguer le critique qui a pignon sur rue (collaborateur d'un grand journal, éditeur de guide...) qui, lui, arrive à en vivre, et tous les autres qui tirent le diable par la queue. Les premiers ne sont pas les plus honnêtes car ils ont la fâcheuse tendance de profiter de leur position dominante pour en faire toujours plus, pour gagner toujours mieux, si possible sans bourse délié. Ceux-là ont le beurre et l'argent du beurre, ils ne sont pas prêts à céder leur place. Encore une fois ils se reconnaîtront.
Est-ce une activité pour oisif ?
Oui et non. S'il s'agit d'aller au restaurant pour goûter la cuisine des autres, cela peut-être considéré comme un divertissement pour fortunés. Mais il y a aussi, avant ou après, un travail de recherches, d'écriture, ce qui n'est pas toujours une partie de plaisir, pour ceux qui s'appliquent j'entends. Si vous lisez attentivement les chroniques et les guides des principaux critiques vous constaterez que bien souvent ils négligent ce travail, par facilité, par fainéantise aussi. Les clichés stylistiques sont devenus l'ingrédient principal de la critique gastronomique. En ce sens, ceux qui la pratique sont de plus en plus oisifs. C'est dommage car la critique intelligente, pertinente, documentée est essentielle pour faire progresser la gastronomie. On l'a vu à l'étranger où ce métier est fait avec beaucoup plus de sérieux qu'ici, ce qui permet à certaines cuisines de rayonner (Espagne, Italie, Grande-Bretagne, Etats-Unis...) En France, le critique gastronomique reste le plus souvent au raz des nappes comme l'a dit un jour Alain Senderens. Je me met dans le lot.
Pourquoi les critiques gastronomiques conservent ils très longtemps cette activité ?
Parce que c'est une rente de situation, un fromage, parce qu'ils ne savent rien faire d'autres.
À quoi rêve un critique gastronomique ?
A ce que son prochain repas soit encore meilleur que le précédent. Personnellement, j'ai toujours abordé les restaurants avec cet espoir, qu'il s'agisse d'un bistrot ou d'une table étoilée. Et quand ça arrive, le rêve devient réalité.
L'interet du public pour la gastronomie et pour les restaurants et très important, pourtant il paraît que les Guides ne se vendent pas facilement, pourquoi ce paradoxe ?
En premier lieu, le marché est saturé. Il existe une dizaine de guides parisiens, neuf guides nationaux, quelques guides régionaux et maintenant la critique gastronomie fleurit sur Internet. Comme personne n'est assez riche pour aller au restaurant tous les jours, tous ces guides s'adressent à un public restreint. De plus, il y a aujourd'hui tellement de cuisines différentes, accessibles, que le gourmet ne demande plus aux guides (et aux professionnels en général) des normes (ce qui est bon ou pas) mais des conseils. Aucun guide ne remplit vraiment cette fonction. Personnellement, j'ai dans ma bibliothèque une quinzaine de guides différents. Si je dois choisir un restaurant, je grignote ici et là des avis mais je ne me fie à aucun d'eux en particulier.
Parmi tous les restaurants que vous avez recommandés, quel est le pourcentage de ceux où vous acceptez de dépenser votre propre argent, comme le font vos lecteurs ?
J'ai toujours eu plus d'admiration pour un chef qui me propose un bon repas complet pour 30 Euros que pour celui qui, à ce prix, n'offre même pas une entrée. Pour être clair j'ai pris plus de plaisir dans les bistrots (classiques ou néos) que dans les grands restaurants où l'on paye le décor et le personnel. A mon avis, aucune table au monde ne vaut qu'on dépense plus de 150 € par personne (hors vins). C'est malheureusement le coût de la plupart des tables étoilées. J'ai publié en son temps un guide sur les meilleures tables de Paris à moins de 30 € , parce que cela me paraissait le bon prix même si c'est encore cher. Il faut savoir que le ticket moyen dépensé en France, au restaurant, tout compris, est de 14 €. Voilà pourquoi la majorité des critiques (qui ne sont pas regardants sur l'addition, et pour cause) vivent sur une autre planète que ceux à qui ils sont censés s'adresser. Ce qui les discrédite quelque part.
Quel est votre meilleur souvenir ?
Les chefs. Malgré mon incognito j'ai croisé quelques chefs tout au long de ces années-là, des grands et des moins grands. J'ai toujours été surpris par leur humanité. C'est normal. Il font un métier unique au monde. Nourrir son prochain sans le connaître (même s'il a un échange commercial avec lui) est un acte de générosité exceptionnel. Il se crée entre le cuisinier et le client un lien de confiance qu'on ne trouve dans aucune autre profession, aussi directement, si l'on songe que ce qu'on mange au restaurant peut nous rendre malade. Tous les chefs que j'ai eu la chance de rencontrer sont des êtres qui avaient un regard sur les autres d'une rare qualité. Je leur rends hommage dans mon livre.
Avez vous de nouveaux projets dans la critique gastronomique ?
Pas pour l'instant, mais je continue à sortir dans les restaurants, à prendre des notes et à goûter différentes cuisines. Je n’ai pas encore tout dit. De toute façon, j'exerce un métier qui me passionne, qui donne le vrai sens à ma vie. Le plus important dans la critique gastronomique n'est pas d'y entrer, mais d'en sortir. Un jour ou l’autre.
BON APPETIT , MESSIEURS !
Mémoires crus d’un critique gastronomique.
Par Léo Fourneau.
Editions Grasset. Prix : 16,90 €.
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