MARTINE NOUET : EX-RÉDACTRICE EN CHEF DE WHISKY MAGAZINE. - PAR FABIEN NÈGRE


- Une enfance vouée à l’amour du Calvados. Par essence, rien ne la prédestinait aux eaux-de-vie ni à l’alcool. « Normande pure laine » pour ses amis québécois, née dans la Manche à Saint-Samson-de-BonFossé, Martine Nouet a dirigé Whisky Magazine jusqu'en juillet 2010. Depuis une poignée d’années, elle s’impose gentiment sur l’univers miniature des spécialistes mondiaux du Malt. Rencontre rare, sensible, avec une dame de « still », la fameuse « drôle de dram ».

Dans un calme paysage de secrets paysans, d’un père secrétaire de mairie et d’une mère institutrice, la fièvre de l’arpenteuse des sentiers du malt poignait déjà. Martine Nouet suit des études secondaires dans la « capitale des ruines » : Saint-Lô. Elle a souvenance du bon temps. Son village ensommeillé, peuplé de vacances et d’odeurs, ses grands-parents modestes, heureux, la fragrance des champs. Un livre honorera le Calvados en 2002. Elle y conte le spectre scrupuleux de ces incroyables senteurs de pomme qui hantent son esprit comme madeleines en fanfare dans la douce mémoire olfactive. Une enfant gourmande, une enfance curieuse, peuplée de la tendresse de bouche. Elle dévorait des desserts tout le jour. A 5 ans, Martine Nouet plonge ses mains dans la pâte, prépare patiemment des gâteaux avec ses tantes, sa mère, sa grand-mère.

Bonté de la voie, ouverture aux mondes, alacrité journalistique anticipée. Pourtant, les eaux-de-vie ne trottent pas dans sa tête. Au domaine, le « Calva » habitait tout l’espace. L’oncle parcourt sans cesse les vergers de pommiers. Une troublante épopée de famille. Tous les fermiers alentour élèvent sans appellation, pour la consommation domestique. Un distillateur ambulant visitait la maison perdue loin dans la campagne. Subsistait une énigme, un cache-cache : les bouteilles millésimées 1870, enfouies au moment de la guerre, quand les allemands avaient pris possession de la ferme. Le patriarche, avant l’exode, élabora des renardières dans les prés. Encore des histoires fascinantes de subtils flacons cachés. La grand-mère maternelle, pour les occurrences festives, jouait à sortir un calva majeur, bien liquoreux, dans une bouteille toute de poussière ceinte. A 6 ans, la dame du malt mirait le bout de ses lèvres dans cette quintessence.

Les repas de famille s’éternisaient. A la tombée de la nuit, les hommes dégustaient l’élixir normand dans une sorte de rituel adossé au café. Les liqueurs consolaient les femmes. Entre la vaisselle, expertise féminine et la partie de cartes, loisir curieusement viril, en cachette, dans un intermède subreptice, Martine Nouet se délectait des pénultièmes gouttes endormies au creux des tasses. Cette gouttelette merveilleuse cheminera dans son cerveau. Sa redécouverte des eaux-de-vie françaises passera par la liqueur de monastère grâce à une passion écossaise et un amour de l’écosse. Or, notre journaliste avisée n’appréciait guère le single malt à la suite d’un mauvais souvenir !

A 17 ans, elle intègre l’Ecole « dite » Supérieure de journalisme. Sa scolarité s’effectue dans les cafés sorbonnards. La presse écrite, la politique, les points chauds du globe la captivent. Ses exercices d’admiration oscillent entre Léon Zitrone et Christian Bernadac un grand reporter, envoyé spécial sur Antenne 2, inconnu notoire aujourd’hui. Normal, « personne ne remarque jamais la présence d’un inconnu », selon le fameux paradoxe logique de Jérôme Lindon. Puis, le cheminement de Martine Nouet prend une singulière tournure. Aucune femme, dans ses années 80, ne pratiquait le « journalisme de société ». Elle fonde, avec des consoeurs, l’« Agence Femme Informations », une Agence médias (vidéos, radio, papier) qui défendra la cause des femmes « dans un esprit militant mais pas militantiste ».

Face à cette peau de chagrin que représente la place des femmes aux postes stratégiques dans les médias, tous supports confondus, elle collabore au journal « La Télematique » et couvre la politique intérieure et ses débats. Après la cuisine politique, elle investit la politique de la cuisine. Elle adore manger. En 1988, elle couvre le premier « Salon de la gastronomie » à l’Espace Champerret. De la distraction à la révélation. L’art de vivre conjoint ce qui se joue autour d’une table et son talent pour raconter des histoires. Le vinaigre la renverse. Aussitôt, elle compose un ouvrage sur les vinaigres aromatisés ! Comme un chien qui ronge son os jusqu’au bout, la passion la dévore.

La rencontre des chefs la galvanise. En 1990, « Licence IV », une revue spécialisée dans les restaurants parisiens, lui propose une rubrique. Pourtant réputée solide, elle ne s’occupe pas du liquide. Interdit aux femmes même si elle écrit la moitié du numéro. Néanmoins, personne ne croit au destin mais nul n’échappe à sa destinée. Un jour, lors d’une conférence de rédaction discutée, un dossier « Whisky » advient. Martine Nouet partage sa vie avec un compagnon d’origine écossaise, amateur averti et confirmé de single malt, mais elle connaissait mal cette Aqua Vitae. Après la visite de la distillerie Tamdhu dans le Speyside, cet éblouissement ne l’abandonnera plus jamais : des ouvriers aristocratiques, des machines acrobatiques, des flaveurs insensées, des odeurs infinies, des parfums inouïs, les tours et les atours, les bords et les abords d’une fabrique. Le malt ne se goût presque pas, il se sent tel un rêve envisagé.

La folie rigoureuse des hommes derrière une boisson aberrante, la fierté apprivoisée de la lande écossaise : une éclatante philosophie, un art de l’existence. Martine Nouet enquête minutieusement sur l’incroyable eau de vie d’orge maltée. Elle rencontre Georges Benitah, fondateur de « La Maison du Whisky un incomparable importateur. Son territoire s’étoffe en 1991 : les eaux-de-vie passent sous sa coupe mais toujours pas le vin, domaine réservé aux messieurs, sans doute plus sérieux. Notre normande têtue approche le cognac, réinvestit le Calvados, déguste tous les alcools raffinés du monde. Tout voir, tout savoir. Polygraphe frénétique, ulcérée par ces journaleux viniphiles condescendant à apposer leur nez dans un verre liquoreux, Martine Nouet résiste à coup de contre-pieds : travail pédagogique auprès des jeunes journalistes, harmonies réussies entre cuisine et malt, défense habile des armagnacs, gin, tequila et autres vodkas.

Chahutée par ses confrères à ses balbutiements, seule femme à écrire sur les Whiskies et les eaux-de-vie, l'ancienne rédactrice en chef de Whisky Magazine, version française adaptée de la fameuse revue britannique, jubile en 2008. Elle tira sur le fil ténu de la bonne pelote, dans le judicieux labyrinthe. Pour l’heure, pour longtemps, spécialiste incontestée des alcools interdits aux fillettes, auteure culinaire officiant sur différents supports (notamment sur Single Malt TV en Ecosse dans un anglais digne de l’Oxford University Press !), elle emporte tous les chapeaux. Bien avant les Trissotins de basse-cour lovés dans leur mélancolie, les clowns alcooliques, les nouveaux coluches tristes, les imposteurs touchés par la grâce, Martine Nouet paria sur le whisky et la haute gastronomie, s’attachant aux promesses fabuleuses des arômes et à la sensualité des desserts.

Dès 1998, elle enseigna la cuisine au Single Malt avec des chefs étoilés et ses confrères, au risque de s’attirer les foudres des marketers écossais de la part des anges, choqués par l’incorporation d’un Lagavulin 16 ans à l’élaboration d’une sauce. Avec la patience d’une fourmi, la détermination d’une amazone, elle expliqua ses propositions dans les colonnes du prestigieux « Whisky Magazine », dans sa rubrique, « Whisky and Food ». Elle organise maintenant des séminaires « Whisky et Chocolat », « Whisky et Fromages ». Davantage reconnue à l’étranger (Angleterre, Russie, Afrique du Sud…) que dans l’hexagone, rédactrice-en-chef de l’unique magazine français pour malt maniacs depuis trois ans, age légal d’un scotch, elle entre dans le club très ésotérique des fins connaisseurs : Thierry Benitah (patron de « Figures de Still », éditeur de Whisky Magazine), Damian Riley Smith (éditeur anglais de Whisky Magazine).

Il y a plus et sans doute plus méritoire. Celle qui oeuvre à métamorphoser son éclat, invente une french touch du single malt, une approche autre de la culture scottish, de la réception des altérités, de l’actualité, d’un délicat et décisif art de la dégustation. Avec sa petite équipe, une DA raffinée Anne-Claire Mery , un talentueux traducteur strasbourgeois Christian Diebold, des pigistes dévoués Serge Valentin, également animateur de l’excellent site www.whiskyfun.com, Emmanuel Dron , chargé des vitoles, Martine Nouet focalise chaque numéro sur un dossier afin de satisfaire l’avide béotien comme le collectionneur atrabilaire.

Chaque année, avec Eric Obry , chef de LA FAISANDERIE » à Dufftown dans le Speyside, elle livre ses créations dans le cadre du prestigieux dîner ABERLOUR. Au sein de la distillerie, cet évènement flanqué de convives cosmopolites, valorise les accords originaux whiskies/food. La visite d’une distillerie, avec ses travailleurs orfèvres aux rocailleux accents, enseigne bien davantage que les stratégies marketing huilées. La grandeur du malt s’origine dans ces parfums qui vous « mènent par le bout du nez », dans les chais. La verticalité provient de la maturation où une sensuelle conversation opère, un dialogue alchimique travaille entre l’air, le bois et l’alcool.

Cette patience de la transcendance, cette alanguie sculpture du temps, produisent un alcool buriné à l’imaginaire noyé dans le brouillard, une danse dionysiaque où le culte des tartans amuse les cornemuses. Selon Sir Robert Bruce Lockhart : « L'histoire du whisky reste voilée dans les brumes de l'aube celtique. ». Cette culture, une rude historicité, une âpre agonistique clandestine contre l’oppresseur voisin, confine à la beauté convulsive. « Cette eau-de-vie qui distille du romantisme », selon le délicieux mot glamour de Martine Nouet, noue une « eau de feu » (formule irlandaise qui désigne les whiskeys), un caractère, une nature. Dans son cottage, sur Islay, l’île de sa deuxième vie, sa vraie vie rimbaldienne, elle médite, écrit. Un verre infini, des séminaires de dégustation de haute voltige, des événements remarquables (Whisky Live par exemple), des livres érudits : rien ne remplacera une flânerie en écosse. Des expériences de distillerie. Des intrigues de pillards et de billards.

Le whisky, métaphore du pain liquide, ne tient à rien, un abîme. Un monde aqueux, une céréale maltée (l’orge), de la levure qui transforme le sucre en alcool. Dans le cas du Single Malt, l’orge se malte car son grain contient une grande quantité de sucre en devenir. La graine, en soi, cassée, n’intègre pas de maltose. La mutation de l’amidon de la céréale nécessite des enzymes particulières. Pour ce, le distillateur leurre la graine, trompe la plante, laquelle secrète des substances qui transforment l’amidon en sucres fermentescibles lors de la germination. Autre piège diabolique : le maltman (malteur) interrompt prématurément la germination en séchant le malt vert au dessus d’un feu alimenté par l’air chaud, la tourbe et le charbon.

Cette opération éclaire les flaveurs tourbées, minérales ou terre de bruyère de certains whiskies. Le malt séché, grossièrement brisé dans un volumineux moulin, dégage une farine (grist) et des drêches, mêlées dans une immense marmite d’eau chaude. Pour le Single Malt, seul le jus (moût sucré, jus d’orge maltée au goût de « tonimalt » de notre enfance) se refroidit dans une autre cuve avec de la levure. Cette forme de bière transite dans un premier alambic « à bière » (première distillation) de 7 à 25°. Elle repasse dans un alambic à alcool (deuxième distillation) où l’opérateur élimine la queue et la tête pour ne conserver que le cœur de chauffe ou distillat (incolore mais pas inodore) qui titre à 70°. Cette phase de production incarne la célèbre acclamation de Martine Nouet : « La distillation est une histoire sans queue ni tête ! ».

Ce miraculeux liquide concentré possède une saveur unique, une odeur rare. Les distilleries le passent ensuite à 62,5° afin de le mettre en fûts. Là, tout commence et recommence, tout vient et revient. La manière dépendra du résultat désiré : des fûts de bourbon de 200 litres parfois rechapés en 250 litres. Pour les affinages, les fûts s’utilisent entre 6 mois et un an avant l’embouteillage. Le master blender (maître de chais) saute sur la scène. Il assemble des blends (mélange de whiskies de grain et de whiskies de malt distillés à la colonne en une seule distillation). Il crée un style maison loin du single malt, lequel se définit comme l’assemblage de fûts ou d’un seul fût (single barrel, single cask..) embouteillé à la force du fût ou réduit à un degré donné.

Contrairement au vin, le millésime signifie simplement que le whisky résulte de la même année de distillation. Les embouteilleurs indépendants pratiquent le négoce, achètent des fûts. Ils occupent une place de courtiers sur le marché. Aucune marque ne domine mais existent des moments, des sensations, des présences. Tourbé, fumé, le seul guide réside dans la sensation de dégustation. Martine Nouet , à contre-courant, débuta ses initiations par des vintages de Macallan 1946. Un malt de 8 ans, équilibré, peu onéreux, enchantera les primo débutants. Les régions de production importent moins que les puristes ne le prétendent.

Historiquement, Glenfiddich monopolisa le marché en précurseur. Ce malt agréable, léger, quoique plus complexe quand il vieillit, forme un excellent apéritif. Il ne marque pas les papilles, autorise ensuite à goûter d’autres flacons. Aucune règle ne prédomine, seule la recherche aiguë du plaisir diffère. Dans le Speyside, le Glenlivet présente des notes fruitées, le Macallan, des arômes de fruits secs, le Glenrothes, un équilibre sophistiqué de bois et de caractéristiques florales adéquates aux fins de repas. Chaque malt correspond à une saison. Caol Ila (de l’île d’Islay) cisèle un écrin insaisissable à l’image de l’odeur d’une fleur. Bowmore et Lagavulin, désignent les ambassadeurs des grands tourbés. Talisker, envoûté par le poivre, à la puissance de séduction brutale, s’apprivoise à l’écoute de son tempo. Dans les Lowlands, sous-estimés, la légèreté, la fraîcheur gourmande abondent : Auchentoshan, Rosebank, Glenkinchie. Les malts classiques invitent agréablement au fantôme aromatique intégral.

Surgissent enfin les fabuleux irlandais : Bushmills, Blackbush (délice fruité, cassis, fruits noirs). Les bourbons du Kentucky : Maker’s Mark (maïs et blé, très doux, registre pâtissier), Buffalo Trace (seigle), Eagle Rare, Blanton’s (bois), Evans Williams (concentration d’épices). Quelques whiskies français arrivent. Last but not least, les nippons explosent depuis cinq ans. Nikka et Suntory, un malicieux duopole, produit des trésors. L’île d’Hokkaido prime. Elle élabore des malts et des blends au singulier caractère qui se marient parfaitement avec les fruits de mer et les sushi. Martine Nouet, prêtresse inégalée des alliances sybarites, suggère de substituer le malt japonais à la goutte de citron dans votre coquillage de pleine mer lors de vos bacchanales.

Le mollusque marin bivalve aphrodisiaque mourra de sa belle mort, béat dans son dram. Le gras de l’huître adoubé par notre eau-de-vie augure de douces noces d’équilibre et de raffinement. Le malt magnifie également les cocktails, sublime les affinages en fûts de grands crus, veille sur ses prisés « Collectors ». De la sous-évaluation à la spéculation, à l’instar du Cognac, qu’importe l’ivresse pourvu que le flacon émerge. Les nouveaux marchés perfectionnent le design renouvelé des bouteilles, les « ultrariches » friands, avides, curieux, poussent les prix à l’inaccessible. La production fourbit pourtant ses armes : amélioration de la qualité des fûts, maîtrise des maturations. Même si la concentration des marques et l’homogénéisation des goûts inquiètent une poignée de savants sourcilleux, Martine Nouet nous emportera toujours dans la rhapsodie des fabuleuses routes du malt.
Bibliographie de Martine Nouet :

-Les meilleures recettes du Nord-Pas-de-Calais, réédition 2007.
-Les meilleures recettes de Picardie, Ouest-France, réédition 2007.
-Les meilleurs desserts au Chocolat des grands chefs, Flammarion, 2002.
-Le Calvados, saveurs du terroir, Flammarion, 2002. Photogr. : Alain Muriot.
-Meilleures recettes de Picardie, Ouest-France, 2001.
-Les Pastis, Editions Turquoise, 1999.
-Les Routes du Malt, Hermé, 1999.
-Meilleures recettes de Champagne, Ouest-France, 1998.
-Eau-de-vie, Le Guide, Hermé, 1995.

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