PATRICK DULER : CUISINIER-PAYSAN

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Son regard lapis-lazuli d’aventurier radieux au tempérament de feu adoube la férocité lumineuse, de Patrick Duler cuisinier-paysan  
Par Fabien Nègre

Son regard lapis-lazuli d’aventurier radieux au tempérament de feu adoube la férocité lumineuse, la précision de sa délicate méticulosité voisine avec la féminine virilité des perfectionnistes de la tendresse éprise.

Dans son auberge à la campagne érigée à la paume de ses mains, le Domaine SAINT-GERY, à LASCABANES, près de Cahors, le maître des lieux empoigne le Génie du lieu.

Artisan-fabricant à la pointe de la forêt, notre chef spontanée caresse la luxuriance de la nature pour façonner des horizons noceurs par amour de l’excellence : jambons entiers de porc noir gascon affinés 36 mois, 8 000 chênes truffiers (tuber melanosporum, noire, musquée, brumale), foie gras étincelants (rôti entier à l’Apicius, mi-cuit au Safran, frais au sel ou aux baies roses, à la gelée de vin de Cahors à la Bacchus).

Sa grand-mère l’initie aux meilleurs morceaux mais il quitte la table.

Né dans une petite ville gallo-romaine du Gers, en 1960, à Pouy-Roquelaure, d’un père céréalier, ingénieur agricole, repreneur de fermes et d’une mère archéologue, ingénieure de recherches au CNRS, le « garçon à problèmes, bon à rien mais pas mauvais à tout » pilote tout tracteur à 12 ans.

D’une fratrie fleurantine de Tunisie, au pays du phytothérapeute Maurice MESSEGUE, notre littéraire et gourmand, titulaire d’un baccalauréat série C, ne veut pas « faire la cuisine » mais cultiver des fromentaux.

A Auch, André DAGUIN, inventeur du magret-steack, flamboie.

Faculté de Sciences, pion dans une école royale militaire du Tarn, vendeur de voitures, critique gastronomique pour « Le Petit Futé », à 23 ans, « sans passions », notre trufficulteur taciturne empli d’humanité, séjourne au « Pont de l’Arm », dans une « auberge à la ferme » sur les hauteurs de Mazamet.

Là, Yvette et Jean DURAU, un vétérinaire rural, l’émeuvent avec une simple recette de terrine de foie gras.

A 25 ans, sous le choc, héritier du Domaine, il crée un lien tenu entre cette campagne au cœur de la montagne noire et l’idée tendue d’une gastronomie improvisée en forme de pari sans lendemain.

En 1985, l’ouverture trompète : terrine de foie gras à volonté, magrets rôtis au brut de la cheminée.

Pure folie dispendieuse parmi les ruines où les branchages poussent vers le ciel. Notre manuel dilettante audacieux reçoit, avec ferveur, une cliente spéciale en 1990.

Il s’agit de sa future épouse, Pascale « la lyonnaise », diplômée de l’Ecole du Louvre et d’une maîtrise d’histoire de l’art, dont les parents possèdent le « Château de Charry » dans la région.

Le succès fulminant du menu unique avec son gratin de jambon aux raisins et à la tomate tonne dans toute la vallée.

Les DULER, en souveraine autarcie, initient les promeneurs aux viticulteurs cadurciens alors inconnus en 1986 : Clos LA COUTALE, Clos TRIGUEDINA, Château du CEDRE, Château du TARIQUET, Château MONTAURIOL, Château LAGREZETTE.

L’action enivre, la terre captive, la manne des prêts bonifiés et des subventions aux agriculteurs attise.

En 1987, dans ce jardin crépusculaire hivernal où les chevreuils broutent en lisières forestières, aux abords des bosquets, notre gaveur de canards de barbarie passe son BPA (Brevet Professionnel Agricole), restaure ses vieilles pierres typiques du Quercy blanc en créant deux luxueuses chambres d’hôte.

La clientèle fortunée et connue afflue du monde entier : Alain-Dominique PERRIN (leur témoin de mariage), Yves MOUROUSI, Richard GERE, Gérard LENORMAN, David GINOLA, Tina TURNER. Plus récemment, Frédéric BEIGBEDER, y séjourna durant 21 jours studieux et monacaux pour achever l’écriture de son roman « 99 francs ».

En 1989, un élevage de porcs noirs gascons et de sangliers voit le jour dans les bois.

Pas à pas, s’édifie non pas une maison agro-touristique intégrée mais bien une expérience inaccoutumée en France, une activité touristique au sein d’une ferme agricole.

En 1990, la loi d’orientation accélère ce projet inédit avec un lac alimenté par l’eau de la « Source aux Loups », une splendide piscine chauffée par une chaudière au bois domanial.

Notre minutieux boulanger, qui pétrit son levain dans les brumes claires du matin innocent du peuple des oiseaux, à 32 ans, s’inspire de l’agape moyenâgeuse, organisant des diners médiévaux où les guitares enchantent les magnums de Cahors.

En 1994, l’EARL familiale structure son élargissement : atelier de transformation aux normes CEE, agriculture réfléchie, verger truffier en hommage à son père qui nourrissait ce rêve en 1970, développement des haies pour la biodiversité plénière, potager « surnaturel », chevaux de plein air en souvenance de ses années de cavalier compétiteur.

L’agriculture suit de lents cycles industrieux : canards, céréales, fruitiers, armagnacs (25 ans).

« La truffe en tête, j’aime les choses du goût ». Notre meunier, boucher à ses heures, multiplie les étals des marchés.

En 1995, il dirige 12 salariés mais « ne se voit plus en DRH ».

En 2000, Saint-Géry ne préserve qu’un seul objectif : transformer et commercialiser l’ensemble de la production agricole du domaine.

La puissance du goût s’origine dans la profondeur de la naturalité du produit.

Sans artifice, en quête d’une amélioration rigoureuse de ses talents, notre cuisinier promoteur de la « cuisine sensuelle » dévore ses apprentissages auprès d’illustres chefs (Georges PRALUS, Michel PORTOS).

« Le chef accompagne sans dénaturer ».

Alain SENDERENS, après son passage dans cet abri de silence et de méditation, l’invite à réaliser des stages au LUCAS CARTON.

Alain DUCASSE et Joël ROBUCHON remarquent son « Escalope de foie gras de canard aux asperges vertes et truffes noires ».

En héritier d’une lignée de corsaires bayonnais, Patrick DULER devise fermement : « Un grand foie gras forme un équilibre entre le foie et le gras ».

Michel et Christine GUERARD, le 27 juin 2008, louent, « par sincère admiration de la vérité de ce travail », les tourtereaux féériques du bonheur en ce château hôtel écologique.

Cuisinier délicat en recherche tellurique de l’évidence transparente du goût qui parfois nous aveugle, Patrick DULER cuit son magret, entier, à la cheminée, flanqué d’un onctueux gratin d’endives à la texture émotionnelle des enfances.

Il assortit son escalope de foie gras aux truffes noires d’asperges braisées, en légèreté et suavité.

Cette façon de haute tenue, racinaire et céleste, pèlerinage de LASCABANES, se personnifie, en outre, dans un filet de porc noir gascon mariné aux herbes du jardin, un risotto de petit épeautre aux légumes croquants ou un sabayon de fraises à la cardamome.

La délicieuse issue aux tranches enchâssées de mélano et de kiwi éclaircit notre fin bec.

Des formations chez LENOTRE pour le pain et VALRHONA pour les desserts achèveront cette soif de la curiosité du savoir.

Cet homme d’esprit qui écoute la nature murmurer à ses oreilles, adepte des levures indigènes dans les salaisons, scrute les fermentations tel un vigneron.

« Je fais les choses que j’aime, qui me plaisent comme un artiste. ».

Cette libre pensée impose de ruminer des référentiels historiques imaginaires ou enfantins forcément perdus et oubliés afin de retrouver la grâce de ce goût à jamais ensevelie.

« Je ne trouvais rien dans tout ce que je mangeais ».

La manière radicale DULER, depuis 25 ans, épouse les asymptotiques saisons, affine son harmonie viscérale avec les soubresauts et les sauts naturels, articule créativité et bases familiale-bourgeoise, entre des herbes fraîches du potager, des fleurs sauvages et des graines germées.

A cents coudées de la sidération du marketing, elle nous porte considération, nous retourne au geste primal de savourer la saveur, sans fard et sans apprêts, au fondement enfoui du plaisir.

En 1996, notre affineur de saveurs provoque le haut convent de la charcuterie pour réaliser des « saucissons sans additifs ».

Jean-Pierre POMA, technicien hors pair des salaisons, lui affirme que « la mission n’aboutira pas ».

Notre maniaque obsessif des rillettes et autres noix de longe de porc gascon aux piments d’Espelette, cofinance, avec l’ANVAR, durant deux ans, une étude qui débouchera, en 1998, sur « la mise au point du premier process français certifié de saucisson bio sans additifs : un PH peu acide, un porc noir gascon sain, une viande hachée froide introduite dans le boyau rapidement. » Naît, à la même période, un charnel saucisson au couteau à l’ancienne.

La lente maturation pro domo introduit une troublante complexité aromatique giboyeuse alliée à une aménité quasiment érotique voire « charnelle ».

Descendant du Porc Méditerranéen à l’instar de son cousin Ibérique, le porc noir gascon croit depuis toujours sur les contreforts pyrénéens.

Race antique, autochtone, préhistorique, il vit dans les prairies et sous-bois, se nourrit d’herbes, de céréales, de glands et châtaignes.

Ses qualités naturelles ainsi que son mode d’élevage agréent l’obtention d’une viande finement persillée.

Doux, fondant, ce jambon diffère par sa longueur en bouche incommensurable, sa saveur contrastée en fonction des parties (petite noix, pointe, grande noix).

La viande de porc noir gascon présente une grande proportion d’acide oléique et gras polyinsaturés (bon cholestérol), Oméga 3, antioxydants naturels apportés par l’herbe.

La coloration rouge intense provient du taux élevé en fer.

Au-delà de la norme AB car sans salpêtre et sel nitrité, par-delà les grands belottas espagnols et les fins jambons de Parme, la typicité des merveilleux jambons de Patrick DULER équivaut aux meilleures salaisons de la planète.

Au séchage, composante artistique de l’élevage répond la fermentation, science alambiquée à l’image du cidre ou du vin.

Propre, cohérent et intégré, cet écosystème vise l’exemplarité.

La culture truffière s’étudie sous l’angle de l’énigmatique mycorhize.

In vitro, les éléments structurants la vie présentent trop de complexité pour la reproduire.

L’homme ne peut pas imiter l’arôme de la truffe, des centaines d’éléments volatiles.

Le vivant avance un mystère indéchiffrable.

A partir du diamant noir, une réflexion plus profonde s’élabore in situ.

« J’ai voulu faire un verger à la façon des pommiers : chênes pubescents, chênes verts, chênes kermès, colurna, noisetiers de Byzance, vigne, lavande, blé, seigle, pois chiches, lentilles…».

En 2003, devant son désarroi face à l’absence de récolte, Patrick DULER invite le révolutionnaire Claude BOURGUIGNON, fameux microbiologiste des sols à l’INRA.

« Laisser vivre le sol et les racines avec l’esprit d’un vigneron ».

Sur le causse caillouteux calcaire, le terroir sensibilise la tuber melanosporum aux veines de sol.

Complexité, diversité et séparation des terroirs.

Suivre les courbes de niveaux pour délimiter des parcelles homogènes, séparer des éléments de plus en plus cohérents : tel se présente l’affinage.

Depuis 2007, l’inépuisable Patrick DULER mélange les arbres céréaliers aux chênes truffiers, inspiré par l’extraordinaire modèle de la forêt et la nouvelle théorie de la symbiose.

« Le chêne truffier vit avec son milieu naturel sous-terrain.

Il n’existe pas de principe de lutte mais un système de la symbiose ».

Cultiver, enherber la truffière conduira à récolter 25 kg par an alors que la production française plafonne à 25 tonnes.

« Les vieux prétendent que l’on plante la truffe pour les petits enfants ». Le paysan de 2012 déserte les zones escarpées pour privilégier la vallée.

Avec le tracteur, il s’éloigne du sol, ne cultive plus l’ensemble du paysage.

La forêt prédomine.

« Le système agricole le plus intensif est la foret ».

L’absence de labour apporte des collemboles qui la mixent au minéral.

« Ne pas retourner le sol».

De facto, la matière se produit en quantité colossale.

« Le sol se construit par couches successives qui ne se mélangent pas ». Les végétaux effectuent la photosynthèse, les micro-animaux nourrissent les racines.

« La terre s’agrade mais ne se dégrade pas ».

Dans cette architecture symbiotique, l’homme oriente ce système pour ses bienfaits.

Bouleversée depuis dix-sept ans, l’agriculture conventionnelle fonctionne dans une logique de lutte.

L’agriculteur biologique obéît au combat biotique.

Bien plus encore, dans le potager, l’interrelation s’applique.

L’atmosphère de la forêt se reproduit comme les feuilles tombent des arbres.

« Sous les couches, la vie croit très vite ». Le prédateur d’autres variétés mute en prédateur de lui-même.

La futaie ne connait pas la maladie qui arrive toujours de l’extérieur.

« La forêt forme le stade ultime » : roche en fusion, noyau, lichens, graines, graminées annuelles, biannuelles (fleurs), arbustive (ronces), fruitiers (prunus), arbres, grands arbres (100 ans).

« La terre tend, en permanence, à devenir la forêt ». Sans lutte mais dans l’adversité, ce paradigme ultra contemporain incarne une « démocratie moderne mondialisée ».

Le sentier creusé par cette expérience de « cuisine sauvage » conduit à un style de vie à part entière.

Au Domaine de Saint-Géry, le moindre geste, la touche la plus minuscule, participent d’une cohérence globale de valorisation, de l’escargot à l’ortie.

Cette approche aimante du quotidien associe gastronomie, diététique et authenticité.

Elle contrevient aux tumultes occidentaux dominants pour satisfaire ceux qui désirent prendre leur temps, élargir le chromatisme de leurs sapidités, s’étonner encore du raffinement sophistiqué de la simplicité.

La « cuisine sauvage » repose sur un respect des cycles, une attention aux sols (semis direct pour les céréales, couvertures végétales), une écoute de la vie ex cathedra. La sobriété des préparations, dans une carte autonome des productions, distille la corrélation vigoureuse avec la ruralité.

L’alimentation vivante (ingrédients, fraîcheur, micronutriments) nous réapprend notre geste oubliée, nous rapproche de nos ancrages, embrase nos vies en perte absolue de sens.

Ici, la cohérence du jardin correspond à la stylistique des pianos.

Patrick DULER et son épouse, Pascale, profitent des belles après-midi ensoleillées des mois hivernaux, en compagnie de leurs trois chiens, pour le cavage.

Au beau milieu des « brulés », la recherche des sorciers tubercules figure une enquête policière où la joie se mêle à l’excitation des arômes de sous-bois, des parfums musqués de la terre, dans l’humilité des exercices de la patience.

Notre héritier, au quart de siècle, de l’ancien fief du Seigneur de Saint-Géry depuis le IXème siècle, fit surgir une bâtisse là où les ruines enlaçaient les arbres.

Aux moments instinctuels de l’éco-jardinier d’un bocage indompté, fasciné par la sophistication du légume sitôt arraché, notre créateur de foies gras millésimés écoute mère nature.

Au sein d’une ferme agricole sans concession, il prône la rencontre holistique.

Notre entêté cavalier, sociétaire des BRF (Bois Rameaux Fragmentés, inventés en 1980 par des ingénieurs agronomes canadiens), entre le gouffre de Padirac, Saint-Cirq-Lapopie, Rocamadour et Saint-Céré, compose des techniques d’existence de soi à la française, loin du vacarme de la civilisation, dans l’intimité hiémale de la braise.

Tel un artiste gustatif, l’analyste des conditions de création de l’homéostasie végétale, vendangeur des profondeurs, amoureux de la forêt, stade ultime du monde, regarde grandir le limon, génie agronomique de l’homme.

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