LA MAISON DES BOIS DE MARC VEYRAT

On aime : À la folie...
Faut-il aller manger et dormir chez Marc Veyrat ? Découverte de sa nouvelle maison des bois à Manigod qui vient de récolter deux étoiles dans le Michelin 2017.    
Par Ludovic Bischoff

«Avec le prix que je fais payer à mes clients, ils ont le droit de m'avoir dans la salle ! » Dans sa ferme idéale qu'il vient de rouvrir à Manigod, dans le massif des Aravis, Marc Veyrat ne passe pas inaperçu. Son imposante silhouette de noire vêtue, le chapeau en feutre des alpages vissé sur la tête, il est ici chez, lui, plus que jamais. Plus qu'à Veyrier-du-Lac ou Megève, où il a été sacré comme le plus talentueux des chefs français, seul de l'histoire à cumuler les trois étoiles Michelin et les 20/20 du Gault&Millau. Et cela à deux reprises. Plus que partout ailleurs, c'est ici, sur les terres familiales dans son Manigod adoré, que le savoyard se sent chez lui. Et comme tout maitre de maison, il vous reçoit à l'apéritif, que l'on prend autour de la grande cheminée. Et il vous accompagne durant tout le repas. Toujours présent en salle durant les quelques heures que durent la dégustation de la ribambelle de plats qu'il a concocté avec son équipe. Si les chefs ont depuis longtemps quitté leurs  fourneaux pour hanter les salles, Marc Veyrat pousse le concept à son paroxysme avec une présence de tous les instants auprès de ses invités ravis de l'avoir à leurs côtés durant tout le repas. 
 
« J'aime les gens et s'ils viennent à moi, je veux les voir, leur parler, les toucher même ! Pour autant, c'est moi qui fait mes sauces. Je suis en cuisine toute la matinée, mais c'est vrai qu'à l’heure du service, je suis en salle, car c'est là que tout se passe... », raconte le chef qui se transforme alors en tribun enchainant anecdotes et histoires à chaque service d'un plat. C'est donc à un repas spectacle que l'on assiste lorsque l'on vient dans sa Maison des bois.
 
A la table d'un « paysan »
 Ici, la salle est une scène toute entière dédiée à mettre en lumière la cuisine et la personne de Marc Veyrat. Via les grandes fenêtres, on domine le Mont-Blanc, au fond, et les pistes de ski de la Croix-Fry, juste devant. La vue est spectaculaire, surtout pour ceux qui ont la chance de décrocher une table au premier plan. Les autres jouissent, eux, de la vue sur la cuisine vitrée où l'on s'agite sec pour suivre le rythme endiablé du service. A la Maison des bois, on passe son temps à vous rappeler les origines paysannes du chef. Un restaurant gastronomique qui vise la reconquête des 3 étoiles mais où l'on vous annonce que l'Opinel posé sur votre table restera entre vos mains durant tout le repas. « Dans le temps, on ne changeait jamais de couteaux, on l'essuyait avec du pain entre chaque plat. C'est ce que nous vous proposons ici aussi... », annonce le personnel de salle en vous découpant de grosses tranches de pain « paysan ». Oubliez les petits pains raffinés des tables gastronomiques, ici on sert de grosses miches au levain, au seigle, épeautre ou safran que l'on débite en morceaux épais avant de les déposer sur un rondin de bois. Les clins d'oeil à la vie champêtre fantasmée par Marc Veyrat se poursuivent ainsi durant tout le repas. Comme lorsque l'on vous dépose une assiette vide au moment du dessert. A table, certains convives font les yeux ronds et attendent que l'on y dépose quelque pitance... Jusqu'à ce que le maitre de cérémonie, goguenard, ne débarque en plaisantant. « Alors, vous avez déjà tout mangé ? » Moment de gène. « Vous savez, mon grand-père, qui n'était pas bien riche, il ne changeait pas d'assiette durant le repas. Une fois le plat terminé, pour manger dans une vaisselle propre, il retournait son assiette... » En faisant de même, on découvrira alors niché sous son assiette une crème renversée à la vanille ! Ludique.
 
Un show-man en salle
 Peut-être trop vont penser certains. Les mêmes qui vont dénoncer une sorte de mise en scène très marquetée et un Veyrat « show-man » qui peut agacer ceux qui n'aiment pas être dérangés lors de leur repas. Les mêmes feront la grimace devant la marchandise estampillée Veyrat en vente dans le hall du restaurant : des livres, des tabliers, des tee-shirt, des couteaux et des bocaux de condiments et sauces Jardin d'Orante élaborés par le chef. On peut même acheter le fameux chapeau noir en feutre de Marc Veyrat ! Vendre son bibi iconique au premier venu, c'est vrai que c'est un peu fort. Toutes ces critiques peuvent s'entendre. Mais reste que la cuisine que Marc Veyrat et son équipe de cuisiniers, tous italiens, offre est digne de la renommée stratosphérique du savoyard. Et c'est bien ça le plus important...
 
Car on ne peut qu'être étourdit par la ronde des plats que l'on vous propose. Déjà, à l'apéritif, la planche que l'on dépose devant vous est une belle ouverture : deux petites cuisses de grenouilles panées au polypode, l'une des herbes de montagne fétiche de Veyrat, une mini tartiflette végétarienne accompagnée d'un feuilleté au pormonier, cette saucisse aux herbes typiquement savoyarde, comme la tomme blanche encore crémeuse qui termine cette proposition. Oubliez la flûte de champagne que l'on vous propose et demandez le cocktail (alcoolisé ou pas) du chef concocté à base de jus de fruits. C'est divin et ça colle parfaitement à la nouvelle orientation que Marc Veyrat, de plus en plus végétarien, souhaite donner à sa cuisine.
 
Une ribambelle de plats
 Mais passons à table. Un potage de potimarron, châtaignes croustillantes et écume de muscade avec un biscuit concocté avec des coquilles d'oeuf ravissent les papilles. On trouve ici la marotte du paysan Veyrat : ne rien laisser perdre. Même pas les coquilles d'oeufs qui, une fois broyées et transformées en « farine », rentrent dans la composition de ce biscuit...  Le plat suivant baptisé « mais où est passé cet œuf au plat » continue de surprendre : une brume de berce, une autre plante sauvage, cache un jaune d'oeuf auquel on ajoute un mélange d'herbes via une seringue. On déguste le tout comme un œuf à la coque posé sur un lit de mousse que Veyrat cultive et dont il décore presque tous ses plats. On joue encore les faux semblant avec un « faux caviar du Léman » (des oeufs de truite), gelée tremblotante et crème de tussilage sauvage servit avec un thé au serpolet au fumet de poisson. Moins convainquant à mon goût le yaourt de foie gras virtuel, myrrhe odorante, qui déroute plus qu'il n'emballe les papilles. Mais on se reprend avec la très visuelle truite du lac Léman cuite dans une écorce d'épicéa que l'on dépose devant vous. A peine cuite, fondante, elle est délicieuse. Et lorsque l'on débarrasse, la souche de bois laisse des traces noires sur les linges à reblochon qui servent de chemin de table... On est vraiment loin de la table gastronomique ampoulée !
 
D'ailleurs, plus tard, on n’époussettera pas la table de ses miettes mais on repliera simplement le linge en deux, pour « cacher la misère » comme devait dire la grand-mère du chef !
La langoustine arrive alors cuisant sur un galet de rivière. Point de salamalec ici, le chef passe à votre table et vous coupe la bête en trois morceaux, vous ordonnant de les gober avec un bonbon à la reine des prés sauvage. Ce n'est pas comme si vous aviez le choix, il faut obtempérer. Il est comme ça Marc Veyrat, il vous reçoit chez lui, mais avec ses règles ! Idem pour la tartiflette revisitée avec du saumon et de l'ache des montagnes que le personnel de salle se charge de découper sauvagement dans votre assiette, défaisant la belle présentation, car « c'est comme ça que le chef souhaite que l'on mange ce plat populaire »... En salle, personne ne moufte. Et, dans le silence qui se fait, on entend les poules et le coq qui, derrière une vitre donnant sur la salle, chantent comme pour se moquer de ces gastronomes obligés de suivre les ordres d'un cuisinier étoilé mais cultivant une ruralité qui bouscule les citadins se pressant à sa table. Par miracle, le filet de bœuf et foie gras en pâte feuilletée et choux, accompagné d'un beignet de lichen, on pourra le déguster à sa manière, sans consigne. Mais avant d'avoir pu reprendre ses esprits, le géant de Manigod est déjà de retour et il vous tend une sorte de bonbon vert qui sort de l'azote. Vous avez ordre de mettre la petite bouchée glacée dans votre bouche et d'écouter le chef vous hypnotiser en vous racontant une balade dans les bois. Lorsque la bouchée fond sur la langue, on voit alors les cèpes et les girolles envahir nos papilles. « C'est cinq ans de boulot pour arriver à cette balade en sous-bois entre réel et virtuel », annonce alors un Veyrat pas peu fier de son tour de magie.
 
Marc Veyrat n'a jamais cessé d'être un paysan savoyard dissimulé sous les habits d'un chef nourrissant les bourgeois. Vous vous en rendez compte lorsqu'il sert le fromage « de ses cousins des Aravis », sur-affiné dans ses caves. Entre chaque tranchage d'un bout d'abondance, de beaufort 36 mois ou de tomme de vache craquelée comme un vieux morceau de bois, le chef essuie son Opinel entre ses gros doigts de laboureur. Faisant fi des convenances, comme à la maison. C'est limite s'il ne vous tend pas un morceau de bleu de Termignon sec comme jamais à pleine mains. Mais on sent qu'il se retient !
 
Enfin, arrive la planche des desserts. Présentés sur une plaque de cuisson de pâtisserie, ils terminent le repas avec panache. Le soufflé de poire blette est délicieux. Le sandwich à la crème de polypode, décidément star chez Veyrat, surprend. Le biscuit conversation à la chartreuse, les crèmes brulées à la lavande, verveine et café, l’omelette norvégienne aux deux sorbets... quel festival !
 
Un conservatoire et des produits locaux
 Mais au terme de ce repas, il faut aborder la question qui fâche : faut-il venir à la Maison des bois de Marc Veyrat et débourser entre 295 euros (pour le menu du dimanche midi) et 395 euros (pour le menu du soir) ? Pour le show du maestro qui paye de sa personne et joue l'animateur, oui, évidement, qui n'a pas envie de se frotter à une légende de la cuisine, à le jauger, le dévisager, l'envisager et se dire que l'on côtoie, une fois dans sa vie, un cador des fourneaux, un orfèvre des associations insolites, un génie des alpages ramasseur de plante sauvages oubliées ? Pour sa cuisine, oui, il faut oser monter tout en haut de ce Manigod un peu perdu et enneigé l'hiver. Vous serez forcément déstabilisé par ces plats qui bousculent parfois les papilles. Vous n'aimerez sans doute pas tout. Mais vous aurez expérimenté une cuisine qui frôle les sommets. Pour le décor de cette maison des bois, encore d'avantage. Le panorama est magnifique, la construction du restaurant une merveille qui est encore en évolution. Bientôt on pénétrera par le conservatoire alimentaire que Marc Veyrat a construit sous le bâtiment. Une cave des merveilles où il stocke les légumes qu'il récolte, sur de grandes paillasses ou dans des bocaux qui vont nourrir la cuisine durant l'hiver. Les plantes et herbes dont le chef raffole sont, elles, surgelées dans de l'azote pour une utilisation optimale lorsque la neige recouvre Manigod. On y découvre aussi un vivier pour les poissons, un fumoir pour les charcuteries, un office pour fabriquer la tomme et une belle cave d'affinage pour tous les autres fromages, une maie dans laquelle le pain est stocké dans du son...
 
Bref tout ce qui permet à la Maison des bois de fonctionner en autarcie, tout étant produit, récolté, transformé et stocké sur place. Le fantasme d'un ermite qui veut se contenter du meilleur et ne compter que sur lui-même. Car c'est bien là le grand défi de Marc Veyrat avec cette ultime adresse dont il dit qu'elle est le chef d'oeuvre de sa vie, tous ses autres restaurants n'ayant été que des ébauches : vivre en autarcie. Cultiver ses légumes et ses herbes, traire ses vaches, récolter ses œufs, faire son pain, son fromage... «Aujourd'hui, je suis à 80 ou 90 % autosuffisant, comme l’étaient mes ancêtres fermiers. Bientôt je vais aussi battre mon beurre... », rigole le ravit des Aravis, heureux comme un gamin dans sa ferme des alpages estampillée Relais&Châteaux.
 
Reste les hébergements que Marc Veyrat a construit pour accueillir ses hôtes (le service du soir se termine rarement avant 1h du matin et incite à ne pas reprendre la route, surtout en hiver !). Là, on peut être un peu plus circonspect. Les chalets et chambres sont mignons. Le chef n'aime pas les grandes pièces et a donc voulu des petites maisons de poupées. Le plus, elles sont équipées de cheminées qui fonctionnent, un vrai régal lorsque la nuit envahie ce petit coin de montage. Des habitations confortables et chaleureuses mais qui me valent peut-être pas les tarifs astronomiques auxquelles elles sont proposées en regard à leur décoration et équipement. Comptez entre 750 et 1200 euros la nuit. Un peu cher tout de même au regard de ce que l'on trouve aujourd'hui lorsque l'on cherche un hébergement de charme à la montagne. Et surtout, rajoutez 80 euros par personne pour le petit-déjeuner ! Remarquez, il vaut le coup d'oeil, le petit dej'. Envisagez-le plutôt comme le premier repas de la journée et armez-vous d'un bon appétit pour l'affronter. Devant vous, on va disposer : un œuf à la coque, une timbale d'oeuf brouillés aux herbes (très très bons), un œuf au plat à la truffe, une assiette de charcuterie de la maison, une assiette de saumon fumée mariné, un plateau de fromages secs et odorants comme il se doit, un yaourt, un jus de fruit « du chef », de la compte et des confitures forcément maison, un pain perdu à la myrrhe odorante, du cake à l'orange, de la brioche, une part de tarte aux pommes (absolument divine au bon goût de beurre frais) et j'en oublie sans doute... Rien que ce menu du matin pourrait presque justifier la nuit sur place. Mais le risque, c'est d'être tenté de s'attabler une nouvelle fois, le soir venu, à la table de Veyrat. Et ça, c'est dangereux car il faut bien repartir un jour de cette Maison des bois qui vient tout juste de récolter deux étoiles au Michelin 2017. En attendant la troisième...
 
Informations pratiques :
 La Maison des bois de Marc Veyrat se trouve à Manigod, dans le massif des Aravis, à une petite heure de route d'Annecy. L'établissement est ouvert du jeudi pour le diner au dimanche pour le déjeuner. Comptez 395 euros pour le menu du soir baptisé « la grande fête dans les étoiles » et disponible en version végétarienne. Le menu dominical du dimanche midi est plus abordable à 295 euros et permet déjà d'avoir une très vue du travail de Marc Veyrat. Pour l'hôtel, ouvert selon le même rythme que le restaurant, comptez de 750 euros pour une chambre dans un chalet pour deux personnes à 1560 euros pour un chalet pour quatre personnes.
 
LA MAISON DES BOIS MARC VEYRAT
Col de la Croix-Fry - 74230 MANIGOD - France
Téléphone : 0033 (0)4 50 60 00 00


Voir le site du chef Marc Veyrat

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