Portrait par Alain Fusion
- Redouté des restaurateurs et envié par les lecteurs, le critique gastronomique fait partie du paysage français et de notre culture gourmande. Le métier de journaliste gastronomique fait couler beaucoup d’encre, puisque les restaurants se reposent sur les médias.
Pour un restaurant, la présence dans les guides est espérée, les articles dans la Presse sont souhaités et recherchés. Faire parler de soi est d’une importance capitale : obtenir un bon article dans une bonne publication se traduit immédiatement en chiffre d’affaires, en afflux de clientèle et en notoriété. Les titres s’affichent en devanture pour attirer le client. Le " bouche-à-oreille " viendra ensuite, après l’amorçage de la communication grâce à la Presse.
Les missionnaires de la gastronomie sont devenus des pionniers, explorant pour nous des terres inconnues de restaurants incertains aux Cuisines improbables, pour en extraire les pépites aux plaisirs exquis et délicats.
Jean-Marie Pinçon est un gentleman imprégné des bonnes manières de la civilisation ; celles que l'on acquiert par l'éducation et par la fréquentation assidue de la bonne société. Une expertise reconnue dans les domaines du Champagne, du Caviar et du Cigare en fait l'interlocuteur indispensable et le meilleur ambassadeurs de ces produits d'exception. C'est un passeur de savoirs qui transmet une compétence acquise avec le temps et la pratique des univers de la gastronomie et de l'Art de Vivre.
Toujours disponible pour aider et faire découvrir à travers ses Présidences de Clubs les plaisirs du palais et de l'esprit a ses amis et aux lecteurs, il est le compagnon idéal des adeptes du Bon Goût.
les questions à Jean-Marie Pinçon
Quel est votre parcours personnel ? Comment êtes-vous devenu journaliste ?
Par choix. Le circuit traditionnel avec passage aux informations générales puis reportages et après un crochet par l’édition, la voie hiérarchique vers la rédaction en chef.
Vous écrivez pour quels titres de Presse ?
Après la presse quotidienne régionale (L’Union, Le Courrier Picard) puis nationale (Mon Jardin & Ma Maison, ACP, J’Informe, Le Figaro) recentrage sur des collaborations dans des magazines spécialisés en majorité d’art de vivre.
Chroniques dans Vins & Gastronomie et sites Internet (luxe-magazine.com) conseils dans divers autres titres et développement d’actions éditoriales.
Rédactions d’ouvrages. Une douzaine de livres à ce jour parmi lesquels Odiot l’orfèvre (Sous le vent, 1990), Nestlé France à Noisiel (1992), Jacquesson & fils (Ediguide, 1998), La France (National Geographic 2000 collectif), Champagne (Editions Volets Verts, 2003).
Comment souhaitez vous être considéré ? Journaliste, chroniqueur, critique, … ?
Journaliste et auteur.
Vous êtes un expert reconnu et actif dans les Arts de Vivre, en particulier dans les secteurs du Champagne, du Caviar et du Cigare. Comment faites vous partager ces passions ?
D’abord par mes écrits et des animations (ateliers La Belle Ecole), véritables travaux pratiques des articles et divers textes servant ces secteurs. Par ailleurs, en animant des clubs, Goûteurs de Caviar et Amateurs de Cigare du Scribe. Enfin, au travers d’interviewes dans la presse écrite et audio-visuelle.
Quelles sont les règles d’Or du journaliste gastronomique ?
L’humilité devant le travail accompli en cuisine, la capacité à l’émerveillement et la loyauté dans le commentaire tenant compte de la subjectivité inhérente au sujet.
Quelle est votre opinion sur l’anonymat du critique, sur le paiement des additions, sur les invitations, sur le rôle des attachées de Presse ?
L’anonymat est un leurre voire une supercherie. Le paiement des additions est à mes yeux une garantie d’indépendance. Mais les invitations sont acceptables à condition de rester vigilant et de conserver un esprit critique garant de l’intégrité du commentaire. Les attachées de presse sont des passerelles utiles pour la découverte de nouvelles adresses et produits. Mais elles ne doivent pas considérer qu’une invitation entraîne un satisfecit de facto pour leurs clients.
Comment désirez-vous être perçu (compris) par les lecteurs de vos articles ? Et par les restaurateurs ?
Comme un découvreur, un ouvreur de pistes gourmandes.
Pour qui écrivez-vous ; qui sont vos lecteurs ?
Des amateurs d’art de vivre curieux, avides de bonnes adresses. Des gens simples et confiants.
Quels sont vos critères fondamentaux pour écrire - ou ne pas écrire - sur un restaurant ?
Je n’écris que sur des restaurants dans lesquels j’aurais envie d’inviter des amis.
Est-il souhaitable de tout écrire ?
Non.
Vos articles suscitent des réactions ; quels sont vos meilleurs et vos moins bons souvenirs ?
Rares sont les lecteurs qui écrivent pour exprimer leur contentement. Ils en font plutôt part aux établissements recommandés où ils se rendent à la suite de leur lecture et quelquefois même article en main. Il est arrivé que des lecteurs se manifestent de longues semaines après parution soit directement soit à la rédaction du journal. C’est alors une grande joie de voir partagé un avis favorable. Les e-mails sont aujourd’hui des vecteurs plus fréquents de réactions positives.
Qu’aimez vous trouver dans un restaurant ?
Une table chaleureuse, relativement indépendante, au service sans faille (ni trop compassé, ni trop familier) pour l’ambiance. Côté mets, une carte simple rédigée sans prétention qui corresponde à une assiette appétissante et imaginative. Nécessité d’une harmonie entre les plats et la carte des vins. Un conseil à discrétion sera apprécié le cas échéant.
Quelles doivent être les qualités d’un Chef Cuisinier ?
Authenticité, générosité. Maîtrise de son art qui, logiquement, est une garantie de simplicité. Je ne suis pas contre une pointe de fantaisie.
Vos coups de cœur ?
Les (déjà) anciens à Paris : Philippe Legendre (George V), Christian Le Squer (Pavillon Ledoyen), Guy Martin (Grand Véfour), Alain Passard (L’Arpège).
Les plus jeunes à Paris : Yannick Alleno (Meurice), Pascal Barbot (L’Astrance), Eric Fréchon (Bristol), Jean-François Rouquette (Hyatt Park Vendôme).
En Province : Jacques Chibois (La Bastide Saint-Antoine à Grace), Arnaud Lallement (L’Assiette Champenoise à Reims), Bruno Oger (Le Majestic à Cannes).
Quels sont les défauts impardonnables dans un restaurant ?
Il y en beaucoup. Le pire à mes yeux est de sortir de table sans se souvenir de ce qu’on a mangé, ce qui arrive souvent lorsque les chefs se prennent pour des extra-terrestres. Je vais au restaurant, pas dans un laboratoire.
A part cela, le mauvais goût et le laisser-aller (propreté des lieux, des couverts et des ongles du serveur…). Enfin je déteste les chefs envahisseurs (interrompant les conversations pour quérir le compliment), les parents qui laissent la bride sur le coup de leur marmaille et les restaurants dont les tables se touchent m’imposant des voisinages non souhaités.
Comment percevez vous la gastronomie parisienne et française en 2005 ?
Dans un monde de restauration rapide et du manger sur le trottoir, je trouve que bon nombre de chefs (reconnus ou nouveaux dans le paysage gastronomique français) se battent bien pour nous offrir une honnête cuisine. Certes les goûts changent mais il en a toujours été ainsi. Ce qui est rassurant est que les bons s’en sortent plutôt bien. Ceux qui gesticulent, pas mieux.
La médiatisation à outrance a ses limites. Aujourd’hui le moindre pizzaïolo ou le premier vendeur de crêpes venu brode son nom sur sa vareuse. Force est de constater que les critiques gastronomiques pondent des kilomètres de copie pour nous présenter un restaurant où, en fin de compte, ils nous conseillent de ne pas mettre les pieds. Merci. Il me semble que le rôle d’un chroniqueur gastronomique est, à tout le moins, d’orienter le gourmet vers l’adresse jugée intéressante, à défaut d’éduquer le consommateur dans ses choix.
Les modes passent et, malheureusement, il y aura toujours des gens pour soutenir que le surgelé est aussi bon qu’un plat réalisé par un cuisinier. Il faut aussi admettre qu’aujourd’hui, dans leur délires culinaires, certains funambules du piano leur donnent raison.
A mes yeux, grâce à sa variété, ses serviteurs passionnés, honnêtes et à leur travail sur des produits authentiques, la gastronomie française a encore de beaux jours devant elle.
Vivons nous une période d’évolutions ?
Bien sûr. Comme toujours, lorsque le bouchon est allé un peu loin, la rectification est sévère. Les prix, les délires dont j’ai déjà parlés et la conjoncture ont découragé le client qui a fini par bouder certaines tables.
Le monde bouge et les gens voyagent de plus en plus. Des cuisines nouvelles influencent certains chefs. Pourquoi pas ? Il fut un temps où les régions tenaient le même rôle. On va simplement plus loin. Encore faut-il que les exotismes apportent réellement quelque chose aux plaisirs de la table et, si j’ose dire, soient digérés, fondus dans les réalisations culinaires traditionnelles.
À votre avis, quelle est la place de la gastronomie française dans le Monde ?
Elle reste une des références majeures. C’est la raison pour laquelle les grands classiques doivent toujours inspirer les chefs d’aujourd’hui. Evolution pas révolution et encore moins copie d’ailleurs, à l’instar des vignerons qui veulent faire des vins au goût américain. Les cuisiniers français doivent garder leur âme. C’est pour cela que les étrangers recherchent l’exception française en gastronomie. Et ce n’est pas un hasard si de nombreux chefs français sont recrutés ou s’installent avec succès dans d’autres pays.
Comment voudriez-vous voir évoluer votre métier ?
Qu’on préfère la joie à la morosité. Que les journalistes donnent envie aux lecteurs d’aller au restaurant plutôt que d’écrire pour leurs confrères, de régler des comptes et de critiquer uniquement pour exister. Que les médias, faisant fi du politiquement correct, redonnent la place au bonheur de vivre et cessent de pisser le froid. Et que les lecteurs ne se réjouissent plus des propos vachards qui leur sont jetés en pâture par quelques aigris dénués de conscience professionnelle. Au fait, c’est quoi ça, la conscience professionnelle ?
Je sais, je suis un incorrigible utopiste.
Que pensez-vous des Guides de restaurants ?
A propos des guides de restaurant j’ai écrit naguère : " poser la question de leur utilité c’est s’interroger sur leur contenu. Et là, il y a à boire et à manger… ". Car, par nature subjectifs, ils sont le reflets des hommes qui les animent.
Certains sont des vitrines honnêtes, d’autres viennent du cœur, d’autres encore se prennent au sérieux (évidemment trop), quelques-uns sont purement commerciaux (on paye d’une manière ou d’une autre pour y figurer). Bref, la crédibilité dans tout cela est très relative.
Le guide idéal est à venir. Aujourd’hui, Internet donne le moyen d’y parvenir grâce à son interactivité avec le consommateur et sa réactivité quasi instantanée. Mais il exige un plus grand contrôle que son cousin de l’édition écrite. L’avis " à chaud " d’un internaute est toujours partial. Un nombre élevé d’interventions est un correctif nécessaire à sa crédibilité.
Quels sont vos plats favoris ?
Tous ceux liés aux terroirs. Par ailleurs, j’aime les produits de la mer traités avec raffinement. J’apprécie aussi les pâtes pour les combinaisons qu’elles permettent. Peu porté sur les desserts je n’en apprécie que mieux la rigueur et la construction géométrique de certains d’entre eux.
Quelle est votre boisson préférée ?
Le champagne. Ses expressions sont si nombreuses qu’on peut faire un repas entier en sa compagnie. Mais j’apprécie aussi les vins complexes qui ne cessent de nous surprendre comme certains bourgognes. Les vins blancs exprimant une minéralité certaine. Mais ce qui compte d’abord dans mes choix est l’alliance avec le plat. Un vin ne m’intéresse guère pour lui seul, c’est son mariage réussi avec un mets qui m’enthousiasme. Quant aux eaux-de-vie, je les apprécie âgées et servies nature.
Etes-vous plutôt " déjeuner " ou " dîner " ? Seul ou en compagnie ?
Le déjeuner car tous les sens sont en alerte. Le soir, ils sont un peu plus émoussés. L’inconvénient de midi est le facteur temps. Ce qui n’est pas le cas pour le dîner qui vaut aussi pour l’ambiance. Une sorte d’intimité créée par la nuit.
En compagnie bien sûr (homme ou femme) mais réduite et complice. Sinon l’attention est trop absorbée ou troublée.
Vous êtes un fumeur de cigares confirmé et Président d’un Club. Qu’aimez-vous fumer ?
L’instant gouverne mes choix. Un cigare court et léger ici, un long et puissant là. J’affectionne plus particulièrement les diamètres des robustos, des churchills et de certains figurados. La ventilation est bonne et permet d’apprécier tous les arômes en respectant la fraîcheur au fumage. Tous les terroirs m’intéressent. Le Honduras a vu l’émergence de premiums intéressants. D’excellents dominicains existent depuis maintenant une vingtaine d’années. Les cubains offrent une large palette de puros incomparables qui correspondent à tous les goûts du fumeur exigeant.
Je citerai en commençant par le classique Cohiba Robusto, le trop rare et gouleyant Siglo VI, le régulier Montecristo N°2, le sympathique Ramon Allones robusto, l’indémodable Sir Winston de H. Upmann. J’ai beaucoup aimé le 8-9-8 de Partagas que j’ai délaissé pour le Quai d’Orsay Imperiales. En revanche je ne suis pas du tout D4 ni Trinidad.
Dans ma cave " autres terroirs ", on trouvera les honduriens Flor de Copan Linéa Puros et son lointain cousin Short Robusto, des Flor de Selva, les dominicains Juan Clemente, Santa Damiana, de très bon Pleiades 20e anniversaire, l’Orion pour les dames ou encore l’atypique Aldebaran. Pour le Nicaragua, Cumpay et Nicarao et le tout nouveau El Tratado 1494 qui nous vient d’Equateur. Un instantané qui n’exclut pas d’autres rencontres ponctuelles.
Quel est votre principal trait de caractère ?
La curiosité
Avec qui aimeriez-vous travailler ?
Pour ce que j’en sais, j’aurais aimé travailler aux côtés de Talleyrand et Antonin Carême pour leur goût de la mise en scène de l’art de vivre et leur recherche de l’excellence.
Avez-vous des projets ?
Ecrire et conter des histoires. En particulier remettre au jour des destins particuliers et injustement oubliés.
Si vous deviez en changer, quel autre métier auriez-vous choisi ?
Professeur d’histoire, archéologue ou chef d’orchestre
Qu’évoque pour vous l’expression " Mener la Belle Vie " ?
Je ne prends pas cette expression au sens quelque peu dévoyé de mener grand train avec ce que cela comporte de jouissances et d’éclat éphémères. Je l’entends plus exactement dans un sens cérébral. De mener une vie comme on la souhaite, jolie et en harmonie avec la beauté du monde telle qu’elle peut se montrer si on y porte un tant soit peu d’attention. Cela implique d’agir soi-même dans ce sens.
Où aimez-vous passer des vacances ?
A la campagne dans une région non touristique
Quel est votre rêve d’enfant qui n’a pas encore été réalisé ?
*Les héros de mes lectures d’enfant ont peuplé mon imaginaire. Et, d’une certaine façon, comme beaucoup de journalistes de ma génération, j’ai emboîté les pas de Tintin. Je ne regrette pas cette voie quand bien même la réalité s’est révélée moins… rêveuse.
Photos 1 : Jean-Marie Pinçon - 2 : en compagnie de Béatrice Cointreau - 3 : Le chef Yannick Alléno et Jean Marie Pinçon - 4 : au club du Scribe avec Jean Clément -