Avis d'un critique : Jean-Luc NARET : Directeur des Guides MICHELIN Par Fabien Nègre

Par Alain Fusion
A la vitesse des Lumières, montmartrois depuis sept générations, Jean-Luc NARET, James Bond globe trotter des délices planétaires, convoité, exposé, préside aux formidables destinées des guides du leader mondial clermontois. D’un minuscule fascicule rouge carmin de quatre cents pages comportant en quatrième de couverture « Le guide Michelin ne doit pas être vendu », offert gracieusement aux rares chauffeurs et vélocipédistes, contenant une foule d’informations pratiques (comment changer un pneu notamment) à la centième édition de plus de deux mille pages disponible le 7 mars 2009, la saga du Guide Michelin double un siècle d’aventures, automobile, touristique et gastronomique.

Enfant de la Butte, sa grand-mère paternelle lui mettait l’eau à la bouche par ses déjeuners légers et ses dîners gourmands. Adolescent, il feuilletait la bible pourpre sur la banquette arrière de la berline familiale qui sillonnait la France, songeant avec délectation à la prochaine étape gustative parentale. Bien avant sa majorité éclairée, il rêve des minorités invisibles. Il ne réside pas encore dans le merveilleux 7ème mais il passe, fasciné, devant les glorieux palaces lutéciens. Un seul désir l’envahit : diriger l’un d’entre eux, un jour. Monsieur « haut de gamme » défie son for intérieur, se jure d’occuper un poste de Directeur Général avant 30 ans. Beau et sagace, polyglotte et aimable, humble et élégant, courtois et éduqué, l’homme exaspère forcément. Charmeur, déconcertant. Mystérieux et accessible, drôle et sérieux, agaçant et plaisant, il cultive déjà le secret à la perfection. 007, matricule luxe. Jean-Luc NARET a une tête à chasser les chasseurs de têtes, un parcours-éclair voire déroutant.

18 ans : Diplômé de l’Ecole hôtelière Jean Drouant (75017). D’autres angoissent face au baccalauréat. 21 ans : maître d’hôtel puis Directeur du train « The Venice-Simplon-Orient Express ». Le glamour absolu. Crée en 1883, cette suite de luxe ambulante mythique comporte 17 voitures-lits, transporte 195 happy few choyés par 95 salariés. 23 ans : Directeur F&B (Food and Beverage) de l’Hôtel Bora-Bora (Tahiti). L’onirisme rageant. 25 ans : numéro 2 de l’Hôtel Bristol. 29 ans : Directeur Général de l’Hôtel « One & Only ». Eludons, par correction, l’Afrique du Sud, les Bahamas, Maurice (créateur et DG du « Residence »), la Barbade (The Sandy Lane). 41 ans : Directeur des opérations pour le Groupe Aga Khan. 43 ans : Nouveau Directeur du Guide Rouge. Somme toute, l’histoire d’une fulgurance d’entrevues irréfragables, d’accolements pellucides, de passions françaises.

A la petite cinquantaine, Jean-Luc NARET, homme d’influence bien plutôt que maître en tyrannie, révolutionne la manière de communiquer dans le pré carré du palais. Dynamiteur ambitieux et inclassable des offres éclatantes, manager impliqué, il estime le « cœur des êtres » qui travaillent. L’esprit des lieux le hante, l’âme de la culture géographique l’accompagne. Ce passionné de voyages évoque humblement la chance qui sourit, les rencontres bouleversantes qui sculptent les horizons d’existence. Il avoue, du bout des lèvres, cabotin discret, qu’il initia de belles ouvertures de part le monde et le beau monde. Il évoque, les yeux bordés de sourire, ses « Trophées de golf » dans les somptueux hôtels qui rythment sa vie, la lune de miel d’Anne-Sophie PIC, Michel GUERARD et sa singulière épouse. Comme par enchantement miroité, il retient la corde des guides avec une aisance de star de cinéma, barbe de trois jours. Pourtant, il visite deux établissements quotidiennement.

Son office du temps bouscule tous les garde-temps. L’usage du mois effraie, en arlequin : une semaine parisienne (bleue), européenne (mauve), asiatique (jaune), américaine (rouge). Un carnet de codes, un kaléidoscope arc en ciel. Non pas un homme, un tourbillon. D’octobre à mars, les sorties éditoriales crayonnent la mappemonde, les « séances étoile » bariolent les paysages. Jean-Luc NARET jongle avec les coloris. En Arsène Lupin des pianos, il sait raison garder, il cultive ses jardins secrets : ses enfants (code gris) et ses destinations « exotiques ». Avec un sens de l’humour so british, il connaît sa chance, savoure son privilège incommensurable. « Les chefs, les hommes d’affaires se couchent le matin de bonne heure puis se couchent le matin de bonne heure ». Comparé aux 1200 rapports par an pour un seul inspecteur, il tempère : « On n’est pas à la mine ». Jamais lassé, toujours enthousiaste, il s’étonne encore de « révéler des talents avec la même émotion ».

Loin des palmes d’or cannoises, distant des sentences à huit clos, il défend un cosmopolitisme éclairé. « Nous regardons les restaurants aux cas par cas. Nos inspecteurs se souviennent toujours des grands moments ». Que le débat porte sur la qualité des produits, sur la nature des faits ou sur l’évaluation des nombreux inspecteurs pays, les plats créeront toujours la vibration. « En l’absence de décision, partout dans le monde, nous renvoyons trois inspecteurs différents ». Tout faire avant tout le monde à la vitesse de la lumière, un condensé de la méthode NARET. En 2008, lors d’une conférence devant des Directeurs Généraux de palaces du monde entier, un homme ému s’avance : Claude GINELLA. Jean-Luc NARET, mémoire éléphantesque en action, l’alpague : « Comment vous oublier, vous m’avez donné ma première chance au poste de directeur de l’Orient Express sur une simple annonce de l’Hôtellerie ! ». Une histoire de fidélité virile, de clan d’hommes, d’amitiés indéfectibles et de reconnaissance infinie.

Les attentes de la clientèle des hôtels de faste intriguent encore l’homme du 46 avenue de Breteuil qui se rend à son bureau en vélo et en repart en vélo. Fair play, son leitmotiv ignore la durée : « réunir pour réussir ». Tout le jour, en « gentleman cambrioleur » tel le héros d’une fameuse série TV, il décide gravement d’investissements de 40 à 500 millions de dollars sans jamais se prendre au sérieux. Pourtant, rien ne lui monte à la tête, il la conserve froide. « Savoir et avoir le flair dans les courants. ». Il ne se lasse pas d’observer « la richesse humaine autour de nous ». A 43 ans, un chasseur, mandaté par Edouard MICHELIN et René SINGRAF, le convoite pour diriger le plus prestigieux guide du monde. Contrairement aux cinq patrons précédents (Pierre Bourdon-Michelin, René Pauchet, André Trichot, Bernard Naegellen et Derek Brown), il n’appartient pas au sérail pneumatique.

Il anticipe malicieusement : « Je ne veux pas me faire baiser l’anneau papal par la profession. J’ai une envie internationale de communication, faire bien les choses et bien le faire savoir ». Sa toute première décision consista à inviter tous les inspecteurs au siège parisien pour une chasse au trésor. Sur les planches de Deauville, il travailla les rêves, les visions, les utopies pour inventer d’autres manières de voir les guides, un magazine, une perspective mondiale avec des équipes uniques. Orchestré par le Pierce Brosnan d’un polar palpitant, seul le petit guide rouge fait rêver les jeunes chefs contemporains. En quatre ans, abattant un travail pharaonique, Jean-Luc NARET, par son énergie d’émulation, fit sortir plus de 38 titres de terre. Jeune homme amusé, il ne revient pas du coup de génie des frères Michelin : offrir à 3 500 voitures 30 000 outils de communication, aides à la mobilité, éclaireurs de traversée du siècle dans 109 pays.

Les inspecteurs préservent l’anonymat, incarnent le secret bien gardé, espions bienveillants sans identité, plongés dans les conditions du client sans qualités. Sans ailes ni cuisse, phasmes phantasmatiques et fantastiques aguerris à tous les environnements, œil du détail qui tue aux sens sensuellement aiguisés, benchmark de France et d’ailleurs, ils passent inaperçus tels des évènements étincelants. Amoureux de son épouse et de l’art de recevoir, du café et du 7ème arrondissement, en dandy grand amateur de mâtins, il s’évade en Normandie pour méditer en sa douce campagne. Au vrai, tout en élégance, en silence, la richesse infinie de son métier d’exception le galvanise autant pour perdre ses rares kilos superflus que pour sprinter après les avions. Fin et raffiné, il pèse « sa lourde responsabilité ». Ancrée dans un pragmatisme à toutes épreuves, aucune décision ne survient à la hâte. « L’octroi d’une étoile impose un effet immédiat mais il n’existe pas de légion d’honneur ni d’étoile de complaisance, l’étoile ne se fige pas dans le marbre ; lorsqu’elle ne brille plus, elle est ôtée ».

Dans un microcosme passionnel, peuplé d’affects et de tourments, Jean-Luc NARET dialogue ouvertement avec les Chefs. Ebahi par la pertinence de ses inspecteurs, humain, présent, dans le moment délicat de la perte, il n’exerce aucun pouvoir mais une éthique : conserver le calme des séances de travail dans une institution qui lui survivra. Même sous les mystérieux projecteurs, Jean-Luc NARET ne cède jamais. En homme de goût, il efface les lacunes de transparence en céleste hommage à l’hôtellerie et à la gastronomie partout dans le monde. Dans un « métier de métiers », le patron du centenaire Guide Rouge ne suit pas sa partition mais parie sa mélodie. Dans la galaxie, quand des étoiles brillent, d’autres meurent.

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